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sçavoir si chascun de ses amis s'estoit retiré en seureté, se print si profondement à dormir, que ses valets de chambre l'entendoient ronfler. La mort de cet empereur a beaucoup de choses pareilles à celle du grand Caton, et mesme cecy car Caton estant prest à se desfaire, ce pendant qu'il attendoit qu'on luy rapportast nouvelles si les senateurs qu'il faisoit retirer s'estoient eslargis du port d'Utique, se meit si fort à dormir qu'on l'oyoit souffler, de la chambre voisine; et celuy qu'il avoit envoyé vers le port l'ayant esveillé pour luy dire que la tormente empeschoit les senateurs de faire voile à leur ayse, il y en renvoya encores un aultre, et se r'enfonçant dans le lict, se remeit encores à sommeiller iusques à ce que ce dernier l'asseura de leur partement. Encores avons nous de quoy le comparer au faict d'Alexandre, en ce grand et dangereux orage qui le menaceoit par la sedition du tribun Metellus voulant publier le decret du rappel de Pompeius dans la ville avecques son armee, lors de l'esmotion de Catilina; auquel decret Caton seul insistoit, et en avoient eu Metellus et luy de grosses paroles et grandes menaces au senat: mais c'estoit au lendemain, en la place, qu'il falloit venir à l'execution, où Metellus, oultre la faveur du peuple et de Cesar conspirant lors aux advantages de Pompeius, se debvoit trouver accompaigné de force esclaves estrangiers et escrimeurs à oultrance, et Caton, fortifié de sa seule constance; de sorte que ses parents, ses domestiques et beaucoup de gents de bien en estoient en grand soulcy, et en y eut qui passerent la nuict ensemble sans vouloir reposer, ny boire, ny manger, pour le dangier qu'ils luy voyoient preparé; mesme sa femme et ses sœurs ne faisoient que pleurer et se tormenter en sa maison: là où luy, au contraire, reconfortoit tout le monde; et, aprez avoir soupé comme de coustume, s'en alla coucher, et dormir de fort profond sommeil iusques au matin, que l'un de ses compaignons au tribunat le veint esveiller pour aller à l'escarmouche. La

cognoissance que nous avons de la grandeur de courage de cet homme, par le reste de sa vie, nous peult faire iuger, en toute seureté, que cecy luy partoit d'une ame si loing eslevee au dessus de tels accidents, qu'il n'en daignoit entrer en cervelle, non plus que d'accidents ordinaires. En la battaille navale que Augustus gaigna contre Sextus Pompeius en Sicile, sur le poinct d'aller au combat il se trouva pressé d'un si profond sommeil, qu'il fallut que ses amis l'esveillassent pour donner le signe de la battaille : cela donna occasion à M. Antonius de luy reprocher, depuis, qu'il n'avoit pas eu le cœur seulement de regarder les yeulx ouverts l'ordonnance de son armee, et de n'avoir osé se presenter aux soldats, iusques à ce qu'Agrippa luy veinst annoncer la nouvelle de la victoire qu'il avoit eu sur ses ennemis. Mais quant au ieune Marius, qui feit encores pis, car le iour de sa derniere iournee contre Sylla, aprez avoir ordonné son armee et donné le mot et signe de la battaille, il se coucha dessoubs un arbre à l'ombre pour se reposer, et s'endormit si serré qu'à peine se peut il esveiller de la route et fuitte de ses gents, n'ayant rien veu du combat; ils disent que ce feut pour estre si extremement aggravé de travail et de faulte de dormir, que nature n'en pouvoit plus. Et à ce propos, les medecins adviseront si le dormir est si necessaire, que nostre vie en despende : car nous trouvons bien qu'on feit mourir le roy Perseus de Macedoine prisonnier à Rome, luy empeschant le sommeil; mais Pline en allegue qui ont vescu long temps sans dormir. Chez Herodote, il y a des nations ausquelles les hommes dorment et veillent par demy annees. Et ceulx qui escrivent la vie du sage Epimenides disent qu'il dormit cinquante sept ans de suitte.

L

CHAPITRE XL V.

De la battaille de Dreux.

Il y eut tout plein de rares accidents en nostre battaille de Dreux (1): mais ceulx qui ne favorisent pas fort la reputation de M. de Guyse mettent volontiers en avant qu'il ne se peult excuser d'avoir faict alte et temporisé avecques les forces qu'il commandoit, ce pendant qu'on enfonçoit monsieur le connestable chef de l'armee avecques l'artillerie; et qu'il valoit mieulx se hazarder, prenant l'ennemy par flanc, que, attendant l'advantage de le veoir en queue, souffrir une si lourde perte. Mais, oultre ce que l'yssue en tesmoigna, qui en debattra sans passion me confessera ayseement, à mon advis, que le but et la visee, non seulement d'un capitaine, mais de chasque soldat, doibt regarder la victoire en gros; et que nulles occurrences particulieres, quelque interest qu'il y ayt, ne le doibvent divertir de ce poinct là. Philopomen, en une rencontre de Machanidas, ayant envoyé devant, pour attaquer l'escarmouche, bonne trouppe d'archers et gents de traict; et l'ennemy, aprez les avoir renversez, s'amusant à les poursuyvre à toute bride, et coulant, aprez sa victoire, le long de la battaille où estoit Philopomen, quoyque ses soldats s'en esmeussent, il ne feut d'advis de bouger de sa place, ny de se presenter à l'ennemy pour secourir ses gents; ains les ayant laissé chasser et mettre en pieces à sa veue, commencea la charge sur les ennemis au battaillon de leurs gents de pied, lors qu'il les veid tout à fait abandonnez de leurs gents de cheval;

(1) Donnée en 1562, sous le regue de Charles IX, et gagnée par la conduite et la valeur du duc de Guise. C.

que

et bien ce feussent Lacedemoniens, d'autant qu'il les print à l'heure que pour tenir tout gaigné ils commenceoient à se desordonner, il en veint ayseement à bout; et, cela fait, se meit à poursuyvre Machanidas. Ce cas est germain à celuy de monsieur de Guyse.

En cette aspre battaille d'Agesilaus contre les Bootiens, que Xenophon, qui y estoit, diet estre la plus rude qu'il eust oncques veu, Agesilaus refusa l'advantage, que fortune luy presentoit, de laisser passer le battaillon des Bootiens et les charger en queue, quelque certaine victoire qu'il en preveist, estimant qu'il y avoit plus d'art que de vaillance; et, pour montrer sa prouesse, d'une merveilleuse ardeur de courage choisit plustost de leur donner en teste: mais aussi feut il bien battu et blecé, et contrainct enfin de se desmesler, et prendre le party qu'il avoit refusé au commencement, faisant ouvrir ses gents pour donner passage à ce torrent de Bootiens; puis, quand ils feurent passez, prenant garde qu'ils marchoient en desordre comme ceulx qui cuidoient bien estre hors de tout dangier, il les feit suyvre et charger par les flancs: mais pour cela ne les peut il tourner en fuitte à val de route; ains se retirerent le petit pas, montrants tousiours les dents, iusques à ce qu'ils se feurent rendus à sauveté.

CHAPITRE XLVI.

Des noms.

QUELQUE UELQUE diversité d'herbes qu'il y ait, tout s'enveloppe sous le nom de salade : de mesme, sous la consideration des noms, ie m'en voys faire icy une galimafree de

divers articles.

Chasque nation a quelques noms qui se prennent, ie

ne sçais comment, en mauvaise part: et à nous Iehan, Guillaume, Benoist. Item, il semble y avoir, en la genealogie des princes, certains noms fatalement affectez: comme des Ptolomees à ceulx d'Aegypte, des Henrys en Angleterre, Charles en France, Baudoins en Flandres, et en nostre ancienne Aquitaine, des Guillaumes, d'où l'on dict que le nom de Guienne est venu, par un froid rencontre, s'il n'en y avoit d'aussi cruds dans Platon mesme. Item, c'est une chose legiere, mais toutesfois digne de memoire pour son estrangeté, et escripte par tesmoing oculaire, que Henry duc de Normandie, fils de Henry second roy d'Angleterre, faisant un festin en France, l'assemblee de la noblesse y feut si grande, que, pour passetemps, s'estant divisee en bandes par la ressemblance des noms; en la premiere troupe qui feut des Guillaumes, il se trouva cent dix chevaliers assis à table portants ce nom, sans mettre en compte les simples gentilshommes et serviteurs. Il est autant plaisant de distribuer les tables par les noms des assistants, comme il estoit à l'empereur Geta de faire distribuer le service de ses mets par la consideration des premieres lettres du nom des viandes: on servoit celles qui se commenceoient par mouton, marcassin, merlus, marsoin, ainsi des aultres, Item, il se dict qu'il faict bon avoir bon nom, c'est à dire credit et reputation: mais encores, à la verité, est il commode d'avoir un nom beau et qui ayseement se puisse prononcer et retenir; car les roys et les grands nous en cognoissent plus ayseement et oublient plus mal volontiers; et de ceulx mesme qui nous servent, nous commandons plus ordinairement et employons ceulx desquels les noms se presentent le plus facilement à la langue. T'ay veu le roy Henry second ne pouvoir nommer à droict un gentilhomme de ce quartier de Gascoigne; et à une fille de la royne il feut luy mesme d'advis de donner le nom general de la race, parce que celuy de la maison paternelle luy sembla trop revers. Et Socrates estime digne

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