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consolent, et conseillent à regler ma vie et ma mort :

tacitum sylvas inter reptare salubres,

Curantem quidquid dignum sapiente bonoque est. (1)

Les gents plus sages peuvent se forger un repos tout spirituel, ayant l'ame forte et vigoreuse: moy qui l'ay commune, il fault que i'ayde à me soustenir par les commoditez corporelles ; et l'aage m'ayant tantost desrobe celles qui estoient plus à ma fantasie, i'instruis et aiguise mon appetit à celles qui restent plus sortables à cette aultre saison. Il fault retenir, à tout nos dents et nos griffes, l'usage des plaisirs de la vie, que nos ans nous arrachent des poings les uns aprez les aultres:

carpamus dulcia; nostrum est

Quod vivis : cinis et manes et fabula fies. (2)

Or, quant à la fin que Pline et Cicero nous proposent de la gloire, c'est bien loing de mon compte. La plus contraire humeur à la retraicte, c'est l'ambition: la gloire et le repos sont choses qui ne peuvent loger en mesme giste. A ce que ie veois, ceulxcy n'ont que les bras et les iambes hors de la presse; leur ame, leur intention y demeure engagee plus que iamais :

Tun', vetule, auriculis alienis colligis escas? (3)

ils se sont seulement reculez pour mieulx saulter, et pour d'un plus fort mouvement faire une plus vifve faulsee

(1) Me promenant en silence dans les bois, appliqué à tout ce qui mérite les soins d'un homme sage et vertueux. Horat. epist. 4. 1. I, v. 4, 5.

(2) Prenons du bon temps : les seuls jours que nous donnons au plaisir sont à nous. Tu ne seras bientôt qu'un peu de poussiere, une ombre, une fable, Pers. sat. 5, v. 151, etc.

(3) Vieux radoteur, ne travailles-tu que pour amuser et entretenir le peuple? Pers. sat, 1, v 19.

dans la troupe. Vous plaist il veoir comme ils tirent court d'un grain? mettons au contrepoids l'advis de deux philosophes, et de deux sectes tresdifferentes, escrivant l'un à Idomeneus, l'aultre à Lucilius, leurs amis, pour, du maniement des affaires et des grandeurs, les retirer à la solitude. « Vous avez, disent ils, vescu nageant et flottant iusques à present; venez vous en mourir au port. Vous avez donné le reste de vostre vie à la lumiere; donnez cecy à l'ombre. Il est impossible de quitter les occupations, si vous n'en quittez le fruict: à cette cause, desfaictes vous de tout soing de nom et de gloire ; il est dangier que la lueur de vos actions passees ne vous esclaire que trop, et vous suyve iusques dans vostre taniere. Quittez avecques les aultres voluptez celle qui vient de l'approbation d'auitruy : et quant à vostre science et suffisance, ne vous chaille; elle ne perdra pas son effect, si vous en valez mieulx vous mesmes. Souvienne vous de celuy à qui, comme on demanda à quoy faire il se peinoit si fort en un art qui ne pouvoit venir à la cognoissance de gueres de gents: I'en ay assez de peu, respondit il; i'en ay assez d'un; i'en ay assez de pas un. Il disoit vray. Vous et un compaignon estes assez suffisant theatre l'un à l'aultre, ou vous à vous mesmes: que le peuple vous soit un, et un vous soit tout le peuple. C'est une lasche ambition de vouloir tirer gloire de son oysifveté et de sa cachette: il fault faire comme les animaux qui effacent la trace à la porte de leur taniere. Ce n'est plus ce qu'il vous fault chercher, que le monde parle de vous; mais comme il fault que vous parliez à vous mesmes. Retirez vous en vous; mais preparez vous premierement de vous y recevoir: ce seroit folie de vous fier à vous mesmes si vous ne vous sçavez gouverner. Il y a inoyen de faillir en la solitude, comme en la compaignie. Iusques à ce que vous vous soyez rendu tels devant qui vous n'osiez clocher, et iusques à ce que vous ayez honte et respect de vous mesmes, obversentur species

honestæ animo (1), presentez vous tousiours en l'imagination Caton, Phocion et Aristides, en la presence desquels les fols mesmes cacheroient leurs faultes; et establissez les contreroolleurs de toutes vos intentions: si elles se detraquent, leur reverence vous remettra en train; ils vous contiendront en cette voye de vous contenter de vous mesmes, de n'emprunter rien que de vous, d'arrester et fermir vostre ame en certaines et limitees cogitations où elle se puisse plaire, et, ayant entendu les vrays biens desquels on iouït à mesure qu'on les entend, s'en contenter, sans desir de prolongement de vie ny de nom ». Voylà le conseil de la vraye et naïfve philosophie, non d'une philosophie ostentatrice et parliere, comme est celle des deux premiers.

CHAPITRE XXXIX.

ENCORES

Consideration sur Ciceron.

NCORES un traict à la comparaison de ces couples.

Il se tire, des escripts de Cicero et de ce Pline peu retirant à mon advis aux humeurs de son oncle, infinis tes moignages de nature oultre mesure ambitieuse; entre aultres, qu'ils solicitent au sceu de tout le monde les historiens de leur temps de ne les oublier en leurs registres : et la fortune, comme par despit, a fait durer iusques à nous la vanité de ces requestes, et pieça faict perdre ces histoires. Mais cecy surpasse toute bassesse de cœur, en personnes de tel reng, d'avoir voulu tirer quelque principale gloire du caquet et de la parlerie, iusques à y employer les lettres privees escriptes à leurs amis; en maniere

(1) Remplissez-vous l'esprit d'images nobles et vertueuses. Cic. tusc. quæst. 1. 2, c. 21.

que aulcunes ayant failly leur saison pour estre envoyees, ils les font ce neantmoins publier, avecques cette digne excuse qu'ils n'ont pas voulu perdre leur travail et veillees. Sied il pas bien à deux consuls romains, souverains magistrats de la chose publicque emperiere du monde, d'employer leur loisir à ordonner et fagotter gentiement une belle missive, pour en tirer la reputation de bien entendre le langage de leur nourrice! Que feroit pis un simple maistre d'eschole qui en gaignast sa vie? Si les gestes de Xenophon et de Cesar n'eussent de bien loing surpassé leur eloquence, ie ne crois pas qu'ils les eussent iamais escripts: ils ont cherché à recommender non leur dire, mais leur faire. Et si la perfection du bien parler pouvoit apporter quelque gloire sortable à un grand personnage, certainement Scipion et Laelius n'eussent pas resigné l'honneur de leurs comedies, et toutes les mignardises et delices du langage latin, à un serf africain: car que cet ouvrage soit leur, sa beauté et son excellence le maintient assez, et Terence l'advoue luy mesme; et me feroit on desplaisir de me desloger de cette creance. C'est une espece de mocquerie et d'iniure de vouloir faire valoir un homme par des qualitez mesadvenantes à son reng, quoyqu'elles soyent aultrement louables, et par les qualitez aussi qui ne doibvent pas estre les siennes principales; comme qui loueroit un roy d'estre bon peintre ou bon architecte, ou encores bon arquebuzier, ou bon coureur de bague. Ces louanges ne font honneur, si elles ne sont presentees en foule et à la suitte de celles qui lui sont propres ; à sçavoir de la iustice, et de la science de conduire son peuple en paix et en guerre. De cette façon faict honneur à Cyrus l'agriculture, et à Charlemaigne l'eloquence et cognoissance des bonnes lettres. l'ay veu de mon temps, en plus forts termes, des personnages, qui tiroient d'escrire et leurs tiltres et leur vocation, desadvouer leur apprentissage, corrompre leur plume, et affecter l'ignorance de qualité

si vulgaire, et que nostre peuple tient ne se rencontrer gueres en mains sçavantes, se recommendants par meilleures qualitez. Les compaignons de Demosthenes, en l'ambassade vers Philippus, louoient ce prince d'estre beau, eloquent, et bon beuveur : Demosthenes disoit que c'estoient louanges qui appartenoient mieulx à une femme, à un advocat, à une esponge, qu'à un roy;

Imperet bellante prior, iacentem

Lenis in hostem. (1)

Ce n'est pas sa profession de sçavoir ou bien chasser, ou bien danser:

Orabunt causas alii, colique meatus

Describent radio, et fulgentia sidera dicent;
Hic regere imperio populos sciat. (2)

Plutarque dict davantage, que de paroistre si excellent en ces parties moins necessaires, c'est produire contre soy le tesmoignage d'avoir mal dispensé son loisir et l'estude qui debvoit estre employé à choses plus necessaires et utiles. De façon que Philippus, roy de Macedoine, ayant ouï ce grand Alexandre son fils chanter en un festin à l'envy des meilleurs musiciens: « N'as tu pas honte, luy dict il, de chanter si bien » ? Et à ce mesme Philippus, un musicien contre lequel il debattoit de son art: << Ia à Dieu ne plaise, sire, dict il, qu'il t'advienne iamais tant de mal, que tu entendes ces choses là mieulx que moy »>! Un roy doibt pouvoir respondre comme Iphicrates respondit à l'orateur qui le pressoit, en son invective, de cette maniere : « Eh bien! qu'es tu, pour faire

(1) Qu'il soit brave au combat, humain dans la victoire.

Horat.in Carm. sæcul. v. 51, 52.

(2) D'autres s'appliqueront à l'éloquence, et à décrire le cours des astres pour lui, son occupation est de savoir gouverner les peuples soumis à son empire. Aeneid. 1. 6, v. 849, e

etc.

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