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Les droits de l'homme étaient dans la tête de Solon; il ne les écrivit point, mais il les consacra et les rendit pratiques.

On a paru penser que cet ordre pratique devait résulter de l'instruction et des mœurs; la science des mœurs est dans l'instruction, les mœurs résultent de la nature du gouvernement

Sous la monarchie, les principes des mœurs ne servaient qu'à raffiner l'esprit aux dépens du cœur. Alors, pour être un homme de bien, il fallait fouler aux pieds la nature. La loi faisait un crime des penchans les plus purs; le sentiment et l'amitié étaient des ridicules; pour être sage, il fallait être un monstre. La prudence dans l'âge mûr était la défiance de ses semblables, le désespoir du bien, la persuasion que tout allait et devait aller mal; on ne vivait que pour tromper ou que pour l'être, et l'on regardait comme attachés à la nature humaine ces affreux travers qui ne dérivaient que du prince et de la nature du gouvernement. La monarchie française a péri parce que la classe riche a dégoûté l'autre du travail. Plus il y a de travail ou d'activité dans un état, plus cet état est affermi; aussi la mesure de la liberté et des mœurs est-elle moindre dans le gouvernement d'un seul que dans celui de plusieurs, parce que dans le premier le prince enrichit beaucoup de gens à ne rien faire, et que dans le second l'aristocratie répand moins de faveurs; et de même dans le gouvernement populaire les mœurs s'établissent d'elles-mêmes, parce que le magistrat ne corrompt personne, et que tout le monde y travaille.

Si vous voulez savoir combien de temps doit durer votre République, calculez la somme de travail que vous y pouvez introduire, et le degré de modestie compatible avec l'énergie du magistrat dans un grand domaine.

Dans la constitution qu'on vous a présentée, ceci soit dit sans offenser le mérite, que je ne sais ni outrager, ni flatter, il y a peut-être plus de préceptes que de lois, plus de pouvoir que d'harmonie, plus de mouvement que de démocratie; elle est l'image sacrée de la liberté, elle n'est point la liberté même.

Voici son plan; une représentation fédérative qui fait les lois,

un conseil représentatif qui les exécute; une représentation générale formée de représentations particulières de chacun des départemens n'est plus une représentation, mais un congrès. Des ministres qui exécutent les lois ne peuvent point devenir un conseil. Ce conseil est contre nature; les ministres exécutent en particulier ce qu'ils délibèrent en commun, et peuvent transiger sans cesse ; ce conseil est le ministre de ses propres volontés ; sa vigilance sur lui-même est illusoire.

Un conseil et des ministres sont deux choses hétérogènes et séparées; si on les confond, le peuple doit chercher des dieux pour être ses ministres; car le conseil rend les ministres inviolables, et les ministres rendent le peuple sans garantie contre le conseil. La mobilité de ce double caractère en fait une arme à deux tranchans : l'un menace la représentation, l'autre les citoyens; chaque ministre trouve dans le conseil des voix toujours prêtes à consacrer réciproquement l'injustice. L'autorité qui exécute gagne peu à peu dans le gouvernement le plus libre qu'on puisse imaginer; mais, si cette autorité délibère et exécute, elle est bientôt une indépendance. Les tyrans divisent le peuple pour régner; divisez le pouvoir si vous voulez que la liberté règne à son tour ; la royauté n'est pas le gouvernement d'un seul, elle est dans toute puissance qui délibère et qui gouverne. Que la constitution qu'on vous présente soit établie deux ans, et la représentation nationale n'aura plus le prestige que vous lui voyez aujourd'hui; elle suspendra ses sessions lorsqu'il n'y aura plus matière à législation: alors je ne vois plus que le conseil şans règle et sans frein.

Ce conseil est nommé par le souverain; ses membres sont les seuls et véritables représentans du peuple. Tous les moyens de corruption sont dans leurs mains; les armées sont sous leur empire; l'opinion publique est ralliée facilement à leurs attentats par l'abus légal qu'ils font des lois; l'esprit public est dans leurs mains avec tous les moyens de contrainte et de séduction. Considérez en outre que, par la nature du scrutin de présentation et d'épuration qui les a formés, cette royauté de ministres n'ap

partient qu'à des gens célèbres; et si vous considérez de quel poids est leur autorité combinée sur leur caractère de représentation, sur leur puissance, sur leur influence personnelle, sur la rectitudede leur pouvoir immédiat, sur la volonté générale qui les constitue, et qu'ils peuvent opposer sans cesse à la résistance particulière de chacun; si vous considérez le corps législatif dépouillé de tout ce prestige, quelle est alors la garantie de la liberté? Vous avez éprouvé quels changemens peuvent s'opérer en six mois dans un empire; et qui peut vous répondre dans six mois de la liberté publique abandonnée à la fortune comme un enfant et son berceau sur l'onde?

Tel est le spectacle que me présente dans l'avenir une puissance exécutrice contre laquelle la liberté est dénuée de sanction. Si je considère la représentation nationale telle que votre comité l'a conçue, je le répète, elle ne me semble qu'un congrès.

Le conseil des ministres est en quelque sorte nommé par la République entière; la représentation est formée par départemens. N'aurait-il pas été plus naturel que la représentation, gardienne de l'unité de l'état et dépositaire suprême des lois, fût élue par le peuple en corps, et le conseil de toute autre manière pour sa subordination et la facilité des suffrages?

Lorsque j'ai lu avec l'attention dont elle est digne l'exposition des principes et des motifs de la constitution offerte par le comité, j'ai cherché dans cette exposition quelle idée on avait eue de la volonté générale, parce que de cette idée seule dérivait tout le reste.

La volonté générale proprement dite, et dans la langue de la liberté, se forme de la majorité des volontés particulières, individuellement recueillies sans une influence étrangère; la loi ainsi formée consacre nécessairement l'intérêt général, parce que chacun réglant sa volonté sur son intérêt, de la majorité des volontés a dù résulter celle des intérêts.

Il m'a paru que le comité avait considéré la volonté générale sous son rapport intellectuel, en sorte que la volonté générale purement spéculative, résultant plutôt des vues de l'esprit que

de

l'intérêt du corps social, les lois étaient l'expression du goût plutôt que de la volonté générale.

Sous ce rapport, la volonté générale est dépravée; la liberté n'appartient plus en effet au peuple; elle est une loi étrangère à la prospérité publique ; c'est Athènes votant vers sa fin, sans démocratie, décrétant la perte de sa liberté.

Cette idée de la volonté générale, si elle fait fortune sur la terre, en bannira la liberté. Cette liberté sortira du cœur, et deviendra le goût mobile de l'esprit. La liberté sera conçue sous toutes les formes de gouvernemens possibles; car dans l'imagination tout perd ses formes naturelles et tout s'altère, et l'on y crée des libertés comme les yeux créent des figures dans les nuages. En restreignant donc la volonté générale à son véritable principe, elle est la volonté matérielle du peuple, sa volonté simultanée; elle a pour but de consacrer l'intérêt actif du plus grand nombre, et non son intérêt passif.

La liberté ne doit pas être dans un livre; elle doit être dans le peuple, et réduite en pratique.

Ainsi, les représentans sortent du recensement de la volonté générale, par ordre de majorité (1).

—Lettre des administrateurs du département de Mayenne-etLoire, qui se plaignent des désordres auxquels se sont livrées les troupes de la République dans l'Ouest. Carra croit la situation de l'Ouest moins inquiétante que ne le pensent ces administrateurs: il atteste la bonne conduite des bataillons de Bordeaux, Marseille et La Rochelle; et pense que six mille hommes de renfort suffiront pour ramener la paix dans ces contrées. Châles se plaint de ce que le ci-devant baron de Menou est employé dans cette armée. Mellinet ne croit pas que six mille hommes soient suffisans pour pacifier le pays; il demande, et l'assemblée ordonne le renvoi de la lettre des administrateurs de Mayenne-etLoire au comité de salut public.

(4) A la suite de ce discours, Saint-Just lut un projet que nous n'avons trouvé dans aucun journal du temps, ni dans aucune collection. Nous supplérons à ce silence en imprimant plus tard la Constitution contenue dans les Institutions républicaines de ce conventionnel. (Note des auteurs.)

[David. Je demande, président, que vous fassiez part à la Com vention de ce que vous a dit à l'oreille le gendarme qui vient de vous parler pour la seconde fois.

On demande l'ordre du jour.

Quelques membres appuient la motion de David. Elle est dé

crétée.

Le président. Le gendarme qui vient de me parler m'a dit p qu'une foule de citoyens s'avançaient par la rue Saint-Honoré vers la Convention, sans cependant témoigner de desseins hostiles. J'ai ordonné à l'officier de garde de prendre des mesures pour qu'il n'arrivât aucun désordre.

-

Un assez grand nombre de membres sortent de la salle; d'autres demandent que la séance soit levée. Cette proposition est rejetée.

Robespierre. Il y a huit ou quinze jours que, sur ma proposition, la Convention a décrété que le ministre de la justice lui rendrait compte de l'exécution du décret philantropique qui ordonne l'élargissement des citoyens détenus pour dettes. Ce compte ne vous a pas été rendu. Je demande qu'il le soit, et pas plus tard que demain. Cette proposition est adoptée.

Des citoyens sont admis à la barre.

Le citoyen... (1) sapeur volontaire, porte la parole.

⚫ Citoyen président, je demande la parole pour annoncer que nous amenons ici le brave Marat. (Une partie de l'assemblée et tous les citoyens des tribunes applaudissent.) Marat a toujours été l'ami du peuple, et le peuple sera toujours pour Marat. On a voulu faire tomber ma tête à Lyon pour avoir pris sa défense. Eh bien ! s'il faut que la tête de Marat tombe, la tête du sapeur tombera avant la sienne. Nous vous demandons, président, la permission de défiler dans l'assemblée; nous espérons que vous ne refuserez pas cette faveur à ceux qui ont accompagné l'amidu peuple.

Le président. Citoyens, vous vous réjouissez de ce que la loi

(1) Il s'agit ici du sapeur Rocher, qui était revenu de Lyon avec les commissaires Bazire, Rovère et Legendre, (Note des auteurs.)

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