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riger de cette dernière façon, quand il n'est question | question que des faits sur la discussion desquels je que de consoler, d'avertir, de reprendre, de mettre les âmes dans de certaines pratiques de perfection, ou de retrancher certains soutiens de l'amour-propre. La supérieure, pleine de grâce et d'expérience, peut le faire très-utilement; mais elle doit renvoyer aux ministres de l'Église toutes les décisions qui ont rapport à la doctrine.

Si madame Guyon a passé cette règle, elle est inexcusable; si elle l'a passée seulement par zèle indiscret, elle ne mérite que d'être redressée charitablement, et cela ne doit pas empêcher qu'on ne puisse la croire bonne; si elle y a manqué avec obstination et de mauvaise foi, cette conduite est incompatible avec la piété. Les choses avantageuses qu'elle a dites d'elle-même ne doivent pas être prises, ce me semble, dans toute la rigueur de la lettre. Saint Paul dit qu'il accomplit ce qui manquait à la passion du fils de Dieu. On voit bien que ces paroles seraient des blasphèmes, si on les prenait en toute rigueur, comme si le sacrifice de Jésus-Christ eût été imparfait, et qu'il fallût que saint Paul lui donnât le degré de perfection qui lui manquait. A Dieu ne plaise que je veuille comparer madame Guyon à saint Paul! mais saint Paul est encore plus loin du Fils de Dieu que madame Guyon ne l'est de cet apôtre. La plupart de ces expressions pleines de transport sont insoutenables, si on les prend dans toute la rigueur de la lettre. Il faut entendre la personne, et ne se point scandaliser de ces sortes d'excès, si d'ailleurs la doctrine est innocente et la personne docile.

La bienheureuse Angèle de Foligni, que saint François de Sales admire, sainte Catherine de Sienne et sainte Catherine de Gênes ont dirigé beaucoup de personnes avec cette subordination de l'Église, et elles ont dit des choses prodigieuses de l'éminence de leur état. Si vous ne saviez pas que ce qu'elles disent vient d'être canonisé, vous en seriez encore plus scandalisée que de madame Guyon. Saint François d'Assise parle de lui-même dans des termes aussi capables de scandaliser. Sainte Thérèse n'a-t-elle pas dirigé, non-seulement ses filles, mais des hommes savants et célèbres, dont le nombre est assez grand? n'a t-elle pas même parlé assez souvent contre les directeurs qui gênent les âmes? L'Église ne demande-t-elle pas à Dieu d'être nourrie de la céleste doctrine de cette sainte? Les femmes ne doivent point enseigner ni décider avec autorité; mais elles peuvent édifier, conseiller et instruire avec dépendance pour les choses déjà autorisées. Tout ce qui va plus loin me paraît mauvais; et il n'est plus

'Coloss. 1, 24.

puis me tromper innocemment et sans conséquence. Permettez-moi de vous dire, madame, qu'après avoir paru entrer dans notre opinion de l'innocence de cette femme, vous passâtes tout à coup dans l'opinion contraire. Dès ce moment, vous vous défiâtes de mon entêtement, vous eûtes le cœur fermé pour moi des gens qui voulurent avoir occasion d'entrer en commerce avec vous, et de se rendre nécessaires, vous firent entendre, par des voies détournées, que j'étais dans l'illusion, et que je deviendrais peut-être un hérésiarque. On prépara plusieurs moyens de vous ébranler : vous fútes frappée; vous passâtes de l'excès de simplicité et de confiance à un excès d'ombrage et d'effroi. Voilà ce qui a fait tous nos malheurs ; vous n'osâtes suivre votre cœur ni votre lumière. Vous voulûtes (et j'en suis édifié) marcher par la voie la plus sûre, qui est celle de l'autorité. La consultation des docteurs vous a livrée à des gens qui, sans malice, ont eu leur prévention et leur politique. Si vous m'eussiez parlé à cœur ouvert et sans défiance, j'aurais en trois jours mis en paix tous les esprits échauffés de Saint-Cyr, dans une parfaite docilité, sous la conduite de leur saint évêque. J'aurais fait écrire par madame Guyon les explications les plus précises de tous les endroits de ses livres qui paraissent ou excessifs ou équivoques. Ces explications ou rétractations (comme on voudra les appeler) étant faites par elle, de son propre mouvement, en pleine liberté, auraient été bien plus utiles pour persuader les gens qui l'estiment, que des signatures faites en prison, et des condamnations rigoureuses faites par des gens qui n'étaient certainement pas encore instruits de la matière, lorsqu'ils vous ont promis de censurer. Après ces explications ou rétractations écrites et données au public, je vous aurais répondu que madame Guyon se serait retirée bien loin de nous, et dans le lieu que vous auriez voulu, avec assurance qu'elle aurait cessé tout commerce et toute écriture de spiritualité.

Dieu n'a pas permis qu'une chose si naturelle ait pu se faire. On n'a rien trouvé contre ses mœurs, que des calomnies. On ne peut lui imputer qu'un zèle indiscret, et des manières de parler d'elle-même qui sont trop avantageuses. Pour sa doctrine, quand elle se serait trompée de bonne foi, est-ce un crime? Mais n'est-il pas naturel de croire qu'une femme qui a écrit sans précaution avant l'éclat de Molinos a exagéré ses expériences, et qu'elle n'a pas su la juste valeur des termes? Je suis si persuadé qu'elle n'a rien cru de mauvais, que je répondrais encore de lui faire donner une explication très-précise et très-elaire

de toute sa doctrine pour la réduire aux justes bornes, et pour détester tout ce qui va plus loin. Cette explication servirait pour détromper ceux qu'on prétend qu'elle a infectés de ses erreurs, et pour la décréditer auprès d'eux, si elle fait semblant de condamner ce qu'elle a enseigné.

victorieux, et qu'il m'ait ramené de toute sorte d'égarements: il n'est pas question de moi, mais de la doctrine qui est à couvert; il n'est pas question des termes, que je ne veux employer qu'à son choix, pour ne le point scandaliser, mais seulement du fond des choses, où je suis content de ce qu'il me donne. Il paraîtra en toutes choses que je ne parle que son langage, et que je n'agis que de concert et par son esprit : sincèrement je ne veux avoir que déférence et docilité pour lui.

Je n'ai point vu de ce voyage-ci madame la comtesse de G. (Grammont) à loisir; mais je dois la voir demain. Dans mon dernier voyage, elle me tâta de tous les côtés. Je ne m'ouvris sur rien; mais je vis clairement qu'elle avait su de trop bonnes nouvelles, par des gens à qui vous vous êtes apparemment confiée. Vous pouvez compter, madame, que nos bonnes duchesses (de Beauvilliers, de Chevreuse, etc.) ne s'ouvriront point à elle, et qu'elles demeureront fidèlement dans les bornes. Pour moi, je parlerai selon vos intentions à madame la comtesse de G. Si je croyais que vous fussiez dans la disposition où vous étiez quand vous me fites l'honneur de m'écrire la dernière fois à Cambrai, de l'envie que vous aviez de recevoir de mes lettres, je vous écri

Peut-être croirez-vous, madame, que je ne fais cette offre que pour la faire mettre en liberté. Non: je m'engage à lui faire faire cette explication précise et cette réfutation de toutes ses erreurs condamnées, sans songer à la tirer de prison. Je ne la verrai point; je ne lui écrirai que des lettres que vous verrez, et qui seront examinées par les évêques ses réponses passeront tout ouvertes par le même canal; on fera de ces explications l'usage que l'on voudra. Après tout cela, laissez-la mourir en prison. Je suis content qu'elle y meure, que nous ne la voyions jamais, et que nous n'entendions jamais parler d'elle. Il me paraît que vous ne me croyez ni fripon, ni menteur, ni traître, ni hypocrite, ni rebelle à l'Église. Je vous jure devant Dieu qui me jugera, que voilà les dispositions du fond de mon cœur. Si c'est là un entêtement, du moins c'est un entêtement sans malice, un entêtement pardonnable, un entêtement qui ne peut nuire à personne, ni causer aucun scandale; un entêtement qui ne don-rais avec mon ancienne simplicité, et je crois que nera jamais aucune autorité aux erreurs de madame Guyon, ni à sa personne. Pourquoi donc vous resserrez-vous le cœur à notre égard, madame, comme si nous étions d'une autre religion que vous? Pourquoi craindre de parler de Dieu avec moi, comme si vous étiez obligée en conscience à fuir la séduction? Pourquoi croire que vous ne pouvez avoir le cœur en repos et en union avec nous ? Pourquoi défaire ce que Dieu avait fait si visiblement? Je pars avec l'espérance que Dieu qui voit nos cœurs les réunira, mais avec une douleur inconsolable d'être votre croix.

J'oubliais à vous dire, madame, que je suis plus content que je ne l'ai jamais été de M. l'évêque de Chartres. Je l'ai cru trop alarmé; mais je n'ai jamais cru qu'il agît que par un pur zèle de religion, et une tendre amitié pour moi. Nous eûmes ces jours passés une conversation très-cordiale, et je suis assuré qu'il sera bientôt très-content de moi. Je m'expliquerai si fortement vers le public, que tous les gens de bien seront satisfaits, et que les critiques n'auront rien à dire. Ne craignez pas que je contredise M. de Meaux ; je n'en parlerai jamais que comme de mon maître, et de ses propositions, comme de la règle de la foi. Je consens qu'il soit

1 Les XXXIV Articles d'Issy.

vous n'y trouveriez aucun venin. Je fus ravi de voir lundi le goût que vous conservez pour les œuvres de saint François de Sales; cette lecture vous est bien meilleure que celle de M. Nicole, qui a voulu décider, d'un style moqueur, sur les voies intérieures, sans traiter ni de l'amour désintéressé, ni des épreuves des saints, ni de l'oraison passive. Il a combattu l'oraison de présence de Dieu, qui est la contemplation, sans respecter ni la tradition des saints, ni les propositions de nos évêques. Rien ne serait si aisé que de confondre cet ouvrage : mais l'esprit de contention n'est pas celui des enfants de Dieu. Tout ce que je prends la liberté de vous dire, madame, pour vous rassurer, est dit sans intérêt. Je ne veux rien de vous que votre bonté pour moi; je ne puis laisser rompre des liens que Dieu a formés pour lui seul.

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souvent avec une confiance sans réserve, dans des temps où elle était plus libre qu'elle ne l'est. Je suis très-assuré qu'on a pris ses expressions dans un sens qui n'est pas le sien, et qu'elle détestera sans peine. Je suis assuré, sans savoir de ses nouvelles, qu'elle n'hésitera jamais à condamner les erreurs qu'on lui impute: et que, d'un autre côté, elle n'avouera jamais, contre sa conscience, qu'elle ait jamais cru ces erreurs, quelque intérêt qu'elle eût, si elle était de mauvaise foi, à avouer qu'elle s'est trompée comme une femme, pour adoucir son état.

que je voie pendant le carême, j'aurais été diligent à, que ceux qui l'examinent, parce qu'elle m'a parlé vous en rendre compte. Dès que je serai débarrassé, je partirai pour aller à Versailles recevoir vos ordres. En attendant, je vous supplie de croire, monseigneur, que je n'ai besoin de rien pour vous respecter avec un attachement inviolable. Je serai toujours | plein de sincérité pour vous rendre compte de mes pensées, et plein de déférence pour les soumettre aux vôtres. Mais ne soyez point en peine de moi, Dieu en aura soin : le lien de la foi nous tient étroitement unis pour la doctrine; et pour le cœur je n'y ai que respect, zèle et tendresse pour vous. Dieu m'est témoin que je ne ments pas. La métaphysique ne peut marcher dans les embarras où je me trouve. Je n'entends parler que des maux de la guerre et de ceux de l'Église sur cette frontière. J'en ai le cœur en amertume, et ma tête n'est guère libre pour les choses que j'ai le plus aimées. Encore une fois, monseigneur, je vous suis dévoué avec tous les sentiments respectueux que je vous dois.

Pour moi, j'ai toujours cru qu'il fallait seulement lui faire expliquer ses écrits d'une manière si précise, qu'il n'y pût rester aucune ombre d'équivoque, et lui faire condamner toutes les erreurs damnables qu'on lui avait imputées. Cette conduite était charitable et propre à la ramener, si elle eût été effectivement dans l'illusion. D'ailleurs, si elle avait enseigné secrètement à ses amis les erreurs en ques

Avez-vous vu, monseigneur, l'ouvrage du pèretion, c'était le moyen de la décréditer auprès d'eux, Lamy contre Spinosa? Auriez-vous la bonté de me mander ce que vous en pensez?

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J'ai entrevu, à la simple ouverture des cahiers de M. de Meaux, sans les lire, des citations du Moyen court à la marge. Cela me persuade qu'il attaque, au moins indirectement dans son ouvrage, ce petit livre. C'est ce qui me met hors d'état de pouvoir l'approuver; et comme je ne veux point le lire, pour lui refuser ensuite mon approbation, je prends la résolution de n'en rien lire, et de le rendre tout au plus tôt. Le moins que je puisse donner à une personne de mes amies qui est malheureuse, que j'estime toujours, et de qui je n'ai jamais reçu que de l'édification, c'est de me taire pendant que les autres la condamnent. On doit être content de mon procédés puisque je ne la défends ni ne l'excuse ni directement ni indirectement. J'ajoute que je condamnerais plus rigoureusement qu'aucun autre et sa personne et ses écrits, si j'étais convaincu qu'elle eût cru réellement les erreurs qu'on lui impose. N'y eût-il que moi au monde en autorité, je la censurerais sans pitié, si je voyais qu'elle désavouât de mauvaise foi ce qu'elle aurait cru; mais je puis dire sans présomption que je sais mieux ses sentiments

Fénelon avait donné son approbation à cet ouvrage.

en leur montrant sa mauvaise foi. C'était encore un
moyen assuré pour la déshonorer chez tous les hon-
nêtes gens qui avaient bonne opinion d'elle, en cas
qu'elle eût recommencé à enseigner les erreurs
qu'elle aurait détestées
écrit. Voilà donc ce que
par
j'aurais mieux aimé faire, que de la tourmenter pour
lui faire avouer ce qu'elle ne peut jamais avouer en
conscience, puisqu'il n'est pas vrai.

Quand l'Église jugera nécessaire de dresser un formulaire contre cette femme, pour flétrir sa personne et ses écrits, on ne me verra jamais distinguer le fait d'avec le droit. Je serai le premier à signer, et à faire signer tout le clergé de mon diocèse. Personne ne surpassera ma fidélité et ma soumission aveugle hors de là, je n'ai d'autre parti à prendre que celui d'un profond silence sur tout ce qui a rapport à elle. M. de Meaux n'a pas besoin d'une aussi faible approbation que la mienne. Il ne me la demande que pour montrer au public que je pense comme lui, et je lui suis bien obligé d'un soin si charitable; mais cette approbation aurait de ma part l'air d'une abjuration déguisée qu'il aurait exigée de moi, et j'espère que Dieu ne me laissera pas tomber dans cette lâcheté. Qu'il ne soit point en peine de ma doctrine, ni de ce que certaines gens trop échauffés en peuvent penser; j'en ai assez rendu compte à des personnes non suspectes, pour être en paix. A l'égard du public, je suis prêt à dire sur les faits ce que je n'ai dit ici qu'à l'oreille. Je suis bien assuré que M. de Meaux, qui est éclairé et équitable, approuvera tous mes sentiments. Je sais assez les siens pour n'en pouvoir douter; et s'il avait pu

connaître assez précisément les miens de bonne heure, il ne se serait pas donné tant de peine.

J'ose dire que personne au monde n'est moins en droit que lui de douter de ma bonne foi et de ma docilité. Pour les soupçons que certaines personnes ont pu répandre sourdement contre moi, je ne suis pas en peine sur la manière de dissiper ce nuage, et me déclarer. Je le ferai, s'il plaît à Dieu, dans des occasions plus naturelles que celle d'approuver les controverses personnelles de M. de Meaux contre madame Guyon. S'il était question seulement d'un livre qui contiendrait tout le système des voies intérieures, je suis persuadé que nous serions lui et moi bientôt d'accord, parce que je suis assuré de ne croire que ce qu'il a déclaré lui-même qu'il croit. Ainsi je serais ravi de témoigner au public, par une approbation, notre unanimité parfaite. Mais, encore une fois, en quelque occasion que je puisse exposer mes sentiments sur cette matière, je le ferai avec des égards infinis pour tout ce que M. de Meaux aura écrit. Je suis par avance fort assuré de sa doctrine par les trente-quatre Propositions, dont je ne m'écarterai en rien. Loin de donner aucune scène au public, je ferai voir à tout le monde la déférence et le respect que j'ai pour ce prélat, que j'ai toujours regardé depuis ma jeunesse comme mon maître.

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J'ai été très-fâché, monseigneur, de ne pouvoir emporter à Cambrai ce que vous m'avez fait l'honneur de me confier: mais M. le duc de Chevreuse s'est chargé de vous expliquer ce qui m'a obligé à tenir cette conduite. Il a bien voulu, monseigneur, se charger aussi du dépôt, pour le remettre ou dans vos mains à votre retour de Meaux, ou dans celles de quelque personne que vous aurez la bonté de lui nommer. Ce qui est très-certain, monseigneur, c'est que j'irais au-devant de tout ce qui peut vous plaire et vous témoigner mon extrême déférence, si j'étais libre de suivre mon cœur en cette occasion. J'espère que vous serez persuadé des raisons qui m'arrêtent, quand M. le duc de Chevreuse vous les aura expliquées. Comme vous n'avez rien désiré que par bonté pour moi, je crois que vous voudrez bien entrer dans des raisons qui me touchent d'une manière capitale. Elles ne diminuent en rien la reconnaissance, le respect, la déférence et le zèle avec lesquels je vous suis dévoué.

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J'ai dit en même temps à MM. de Paris et de Chartres, et à M. Tronson, que je ne voyais aucune ombre de difficulté entre M. de Meaux et moi sur le

fond de la doctrine; mais que, s'il voulait attaquer personnellement dans son livre madame Guyon, je ne pouvais pas l'approuver. Voilà ce que j'ai déclaré il y a six mois. M. de Meaux vient de me donner son livre à examiner. A l'ouverture des cahiers, j'ai trouvé qu'ils sont pleins d'une réfutation personnelle; aussitôt j'ai averti MM. de Paris et de Chartres, et M. Tronson, de l'embarras où me mettait M. de Meaux.

On n'a pas manqué de me dire que je pouvais condamner les livres de madame Guyon, sans diffamer sa personne, et sans me faire tort. Mais je conjure ceux qui parlent ainsi, de peser devant Dieu les raiso..s que je vais leur représenter. Les erreurs qu'on impute à madame Guyon ne sont point excusables par l'ignorance de son sexe. Il n'y a point de villageoise grossière qui n'eût d'abord horreur de ce qu'on veut qu'elle ait enseigné. Il ne s'agit pas de quelques conséquences subtiles et éloignées, qu'on pourrait, contre son intention, tirer de ses principes spéculatifs, et de quelques-unes de ses expressions; il s'agit de tout un dessein diabolique, qui est, dit-on, l'âme de tous ses livres. C'est un système monstrueux qui est lié dans toutes ses parties, et qui se soutient avec beaucoup d'art d'un bout jusqu'à l'autre. Ce ne sont point des conséquences obscures, qui puissent avoir été imprévues à l'auteur; au contraire, elles sont le formel et unique but de tout son système. Il est évident, dit-on, et il y aurait de la mauvaise foi à le nier, que madame Guyon n'a écrit ́que pour détruire, comme une imperfection, toute la foi explicite des attributs et des personnes divines, des mystères de Jésus-Christ et de son humanité. Elle veut dispenser les chrétiens de tout culte sensible, de toute invocation distincte de notre unique médiateur; elle prétend éteindre dans les fidèles toute vie intérieure et toute oraison réelle, en sup

primant tous les actes distincts que Jésus-Christ et les apôtres ont commandés, et en réduisant pour toujours les âmes à une quiétude oisive qui exclut toute pensée de l'entendement, et tout mouvement de la volonté. Elle soutient que quand on a fait d'abord un acte de foi et d'amour, cet acte subsiste perpétuellement pendant toute la vie, sans avoir jamais besoin d'être renouvelé; qu'on est toujours en Dieu sans penser à lui, et qu'il faut bien se garder de réitérer cet acte. Elle ne laisse aux chrétiens qu'une indifférence impie et brutale entre le vice et la vertu, entre la haine éternelle de Dieu et son amour éternel, pour lequel il est de foi que chacun de nous a été créé. Elle défend comme une infidélité toute | résistance réelle aux tentations les plus abominables: elle veut que l'on suppose que, dans un certain état de perfection où elle élève les âmes, on n'a plus de concupiscence; qu'on est impeccable, infaillible, et jouissant de la même paix que les bienheureux; qu'enfin tout ce qu'on fait sans réflexion, avec facilité, et par la pente de son cœur, est fait passivement et par une pure inspiration. Cette inspiration, qu'elle attribue à elle et aux siens, n'est pas l'inspiration commune des justes, elle est prophétique, elle renferme une autorité apostolique au-dessus de toutes lois écrites. Elle établit une tradition secrète sur cette voie, qui renverse la tradition universelle de l'Église. Je soutiens qu'il n'y a point d'ignorance assez grossière pour pouvoir excuser une personne qui avance tant de maximes monstrueuses. Cependant on assure que madame Guyon n'a rien écrit que pour accréditer cette damnable spiritualité, et pour la faire pratiquer : c'est là l'unique but de ses ouvrages. Otez-en cela, vous ôtez tout; elle n'a pu penser autre chose. L'abomination évidente de ses écrits rend donc évidemment sa personne abominable : je ne puis donc séparer sa personne d'avec ses écrits.

Pour moi, j'avoue que je ne comprends rien à la conduite de M. de Meaux. D'un côté, il s'enflamme avec indignation, si peu qu'on révoque en doute l'évidence de ce système impie de madame Guyon: de l'autre, il la communie de sa propre main, il l'autorise dans l'usage quotidien des sacrements, et il lui donne, quand elle part de Meaux, une attestation complète, sans avoir exigé d'elle aucun acte où elle ait rétracté formellement aucune erreur. D'où viennent tant de rigueur et tant de relâchement?

Pour moi, si je croyais ce que croit M. de Meaux des livres de madame Guyon, et, par une conséquence nécessaire, de sa personne même, j'aurais cru, malgré mon amitié pour elle, être obligé en

conscience à lui faire avouer et rétracter formellement, à la face de toute l'Église, les erreurs qu'elle aurait évidemment enseignées dans tous ses écrits.

Je croirais même que la puissance séculière devrait aller plus loin. Qu'y a-t-il de plus digne du feu qu'un monstre qui, sous une apparence de spiritualité, ne tend qu'à établir le fanatisme et l'impureté, qui renverse la loi divine, qui traite d'imperfections toutes les vertus, qui tourne en épreuves et en perfections tous les vices, qui ne laisse ni subordination ni règle dans la société des hommes, qui, par le principe du secret, autorise toute sorte d'hypocrisies et de mensonges; enfin qui ne laisse aucun remède assuré contre tant de maux ? Toute religion à part, la seule police suffit pour punir du dernier supplice une personne si empestée. S'il est donc vrai que cette femme ait voulu manifestement établir ce système damnable, il fallait la brûler, au lieu de la congédier; comme il est certain que M. de Meaux l'a fait, après lui avoir donné la communion fréquente, et une attestation authentique, sans qu'elle ait rétracté ses erreurs.

Pour moi, je ne pourrais approuver le livre où M. de Meaux impute à cette femme un système si horrible dans toutes ses parties, sans me diffamer moi-même, et sans lui faire une injustice irréparable. En voici la raison : je l'ai vue souvent, tout le monde le sait; je l'ai estimée, et l'ai laissé estimer par des personnes illustres, dont la réputation est chère à l'Église, et qui avaient confiance en moi. Je n'ai pu ni dû ignorer ses écrits. Quoique je ne les aie pas examinés tous à fond dans le temps, du moins j'en ai su assez pour devoir me défier d'elle, et pour l'examiner en toute rigueur. Je l'ai fait avec plus d'exactitude que ses examinateurs ne le sauraient faire; car elle était bien plus libre, bien plus dans son naturel, bien plus ouverte avec moi, dans des temps où elle n'avait rien à craindre. Je lui ai fait expliquer souvent ce qu'elle pensait sur les matières qu'on agite; je l'ai obligée à m'expliquer la valeur de chacun des termes de ce langage mystique dont elle se servait dans ses écrits. J'ai vu clairement, en toute occasion, qu'elle les entendait dans un sens très-innocent et très-catholique. J'ai voulu même suivre en détail et sa pratique, et les conseils qu'elle donnait aux gens les plus ignorants et les moins précautionnés : jamais je n'y ai trouvé aucune trace de ces maximes infernales qu'on lui impute. Pourrais-je en conscience les lui imputer par mon approbation, et lui donner le dernier coup pour sa diffemation, après avoir vu de près si clairement son innocence?

Que les autres qui ne connaissent que ses écrits

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