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A mon cœur enivré venaient sans cesse offrir
Plaisirs purs et nouveaux, qui ne pouvaient tarir!
Hélas! que ces douceurs pour moi semblent taries!
Loin de vous je languis, rien ne peut me guérir :
Mes espérances sont pérics,
Moi-même je me sens périr.
Collines, hâtez-vous, hâtez-vous de fleurir!
Hâtez-vous, paraissez, venez me secourir.
Montrez-vous à mes yeux, ô campagnes chéries!
Puissé-je encore un jour vous revoir, et mourir!

FABLE.

LE BOUFFON ET LE PAYSAN.

Un grand seigneur voulant plaire à la populace,
Assembla les faiseurs de tours de passe-passe,
Leur promettant des prix,

S'ils pouvaient inventer quelque nouveau spectacle.
Un bouffon dit : Chacun sera surpris

En me voyant faire un miracle.
Aussitôt on accourt; tout le peuple empressé
Crie, pousse, se bat pour être bien placé.
Le bouffon paraît seul : on attend en silence.
Il met le nez sous son manteau,
Imite le cri d'un pourceau;
Et déjà tout le peuple pense
Qu'en son sein il porte un cochon.
Secouez vos habits, dit-on.

Sans que rien tombe, il les secoue.

On l'admire, on le loue.
J'en ferai demain autant,
S'écria d'abord un paisan.

Qui, vous? Oui, moi. La suivante journée,
On vit grossir l'assemblée.

Chacun, se prévenant en faveur du bouffon,
De l'étourdi paisan se préparait à rire.
Le bouffon recommence à faire le cochon,

Derechef on l'admire.

Le paisan, comme l'autre, avait mis son manteau
En homme chargé d'un pourceau.

Mais qui l'eût soupçonné, voyant l'autre merveille?
Un vrai cochon pourtant était dans son giron;
Il le faisait crier en lui pinçant l'oreille.
Chacun, se récriant, soutint que le bouffon

Contrefaisait mieux le cochon.

On voulait chasser le rustique.
Alors, en montrant l'animal :

Faut-il donc, leur dit-il, que pour juger si mal,
De juger on se pique?

SIMONIDE.

FABLE.

Un athlète vainqueur, pour chanter sa victoire,
Offrit à Simonide un prix.

Simonide s'enferme, et l'éloge promis
Lui semble un vil sujet. Pour rehausser sa gloire,
Il l'enrichit d'ornements étrangers,
Peint les brillants Gémeaux de la voûte céleste;
Par leurs travaux, leurs combats, leurs dangers,
Il tâche d'ennoblir le reste.
L'ouvrage plut: mais, malgré ses beautés,
Les deux tiers de son prix retranchés par l'athlète,
Qui me les payera? s'écriait le poëte.

Les deux dieux, répond-il, que ta muse a chantés.
Si tu n'es point fâché, viens souper, je te prie,
Avec tous mes parents ce soir :

Comme un d'entre eux je te convie. Pour cacher sa douleur, il va se faire voir Chez l'athlète à l'heure marquée.

Tout est riant, tout brille en ces riches lambris;

Ils résonnent de mille cris.

Des mets les plus exquis la table est couronnée.
Mais tout à coup voilà qu'aux esclaves servants,
D'un air plus que mortel, deux jeunes combattants,
Tout fondants en sueur, tout couverts de poussière,
Font entendre une voix sévère :

Que Simonide vienne, et qu'il ne tarde pas!
A peine est-il sorti, que les murs qui s'affaissent
Écrasent en tombant la troupe et le repas;
Et les deux fils de Lède aussitôt disparaissent.
La renommée en tous lieux,

Par cette histoire, publie
Que Simonide tient la vie,
Comme en récompense des dieux.

FABLE.

LE VIEILLARD et l'ane.

Qui change de gouvernement,
Sans nul profit change de maître.

Un timide vieillard, dans un pré faisant paître
Son âne, l'ennemi donne l'alarme au camp.
Fuyons, s'écria-t-il à la bête; autrement
Nous serons pris. Pourquoi nous enfuir de la sorte?
Dit l'animal fourrageant en repos;

Le vainqueur mettra-t-il double faix sur mes os?
Non, dit l'homme. Eh bien! que m'importe,
Reprit l'âne, par qui le bât est sur mon dos?

ABRÉGÉ DES VIES

DES

ANCIENS PHILOSOPHES,

AVEC UN RECUEIL DE LEURS PLUS BELLES MAXIMES 1.

LETTRE DE M. RAMSAI,

A MESSIEURS LES JOURNALISTES DE PARIS,
Sur le livre intitulé

Abrégé de la vie des anciens Philosophes.

Il paraît depuis peu, messieurs, un livre imprimé à Paris, chez Estienne, qui a pour titre : Abrégé de la vie des anciens Philosophes, qu'on dit avoir reçu des mains de feu M. le duc de Chevreuse: on ajoute que ce seigneur a assuré qu'il était du célèbre M. de Fénelon, archevêque de Cambrai.

vrages ne font point honneur à la mémoire des personnes auxquelles on les attribue. Tous les membres de la république des lettres sont intéressés à empêcher et à désavouer une semblable supercherie. C'est ce qui me fait espérer, messieurs, que vous voudrez bien faire insérer cette lettre dans votre journal. J'ai l'honneur d'être avec toute la considération possible, messieurs,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

A Paris, ce 29 avril 1726.

LIBRAIRE DE PARIS,

RAMSAI.

Comme je n'y ai trouvé ni son style, ni son esprit, ni ses LETTRE ÉCRITE A M. ESTIENNE, sentiments, j'ai demandé à tous ses parents et à ses amis s'ils avaient quelque connaissance de cet ouvrage : tous le désavouent, et surtout M. le duc de Chaulnes, fils de M. le duc de Chevreuse; M. l'abbé de Beaumont, évêque de Saintes, et M. le marquis de Fénelon, ambassadeur de Hollande, neveu de feu M. de Cambrai.

Ils souhaitent tous qu'on détrompe le public, non-seulement pour rendre justice à la mémoire de cet illustre prélat, mais aussi pour se conformer à ses dernières volontés, marquées par son testament. On ne doit, dit-il, m'attribuer aucun des écrits qu'on pourrait publier sous mon nom. Je ne reconnais que ceux qui auront été imprimés par mes soins, ou reconnus par moi pendant ma vie. Les autres pourraient ou n'être pas de moi et m'être attribués sans fondement, ou être mêlés avec d'autres écrits étrangers, ou étre altérés par des copistes.

Le public doit regarder avec indignation ceux qui osent emprunter ainsi des noms respectables, pour débiter des ouvrages supposés ou estropiés, surtout lorsque ces ou

1 L'Abrégé de la vie des anciens Philosophes se trouvant dans toutes les éditions des œuvres de Fénelon, a dû être inséré dans celle-ci; mais nous croyons devoir le faire précéder de la polémique à laquelle sa première publication a donné lieu; peut-être en conclura-t-on que si l'Abrégé de la vie des anciens Philosophes n'a point été écrit par Fénelon, au moins on a pu l'imprimer en le lui attribuant, puisque le manuscrit a été formé des notes que Fénelon avait lui-même dictées.

Pour lui servir d'apologie contre un écrit qui a paru dans plusieurs journaux, au sujet d'un livre qu'il a imprimé, intitulé Abrégé des vies des anciens Philosophes, etc. par M. de Fénelon, archevêque de Cambrai.

MONSIEUR,

Celui qui vous a remis le manuscrit de l'Abrégé des vies des Philosophes devrait lui-même vous fournir la preuve dont vous avez besoin pour persuader au public que feu M. de Fénelon, archevêque de Cambrai, en est véritable. ment l'auteur, et pour vous mettre à couvert des reproches qu'on vous fait avec si peu de ménagement. L'état où était l'ouvrage qu'il vous confiait devait lui faire pressentir qu'il trouverait des contradicteurs; que la critique et la censure que l'on en ferait retomberaient sur vous, et qu'il était de son équité et de sa prudence de ne pas vous exposer à de telles attaques, sans vous mettre en main les moyens de vous défendre. Je souhaite que mon témoignage puisse suppléer à son défaut, et rendre inutiles et sans effets les coups qu'on a voulu porter à votre réputation. Voici où se réduit l'éclaircissement que vous me demandez par votre lettre du 26 juillet 1726.

Pendant six ans que j'ai eu l'honneur d'être auprès de M. le duc de Luynes, j'ai toujours été fort uni avec feu M. l'abbé Quinot, précepteur de MM. de Beauvilliers, et

qui fut avec eux jusqu'à leur mort. Nous nous communiquions volontiers tout ce qui pouvait contribuer au bien et à l'avancement de nos élèves. M. le duc de Beauvilliers avait mis entre les mains de M. Quinot un grand nombre d'excellents traités, qui avaient été faits pour l'éducation des princes, et d'autres que M. Colbert avait fait composer par les plus habiles gens de son temps pour l'instruction de M. de Seignelay. J'eus la permission de lire ces écrits, et d'en copier quelques-uns des principaux, du nombre desquels est l'Abrégé des vies des Philosophes, que M. Quinot m'assura être un ouvrage de M. de Cambrai. J'ai encore cette copie, et elle n'est point sortie de mon cabinet depuis qu'elle y est entrée.

Cet écrit me parut d'autant plus beau, que l'auteur développe avec beaucoup de netteté et de précision les principes de physique et de métaphysique des philosophes, et que le choix qu'il fait des maximes de leur morale et de leur politique est très-propre à former le cœur et l'esprit d'un prince et d'un grand seigneur. Je comparai même ces vies avec celles de Diogène Laërce, et la différence, qui saute aux yeux dès la première lecture, confirma l'idée avantageuse que j'en avais conçue.

Je ne pus cependant, monsieur, me dispenser de former deux objections contre cet écrit, qui sont : 1o qu'il me paraissait un peu négligé, et trop rempli de longs textes latins, que l'auteur aurait dû traduire, et lier mieux qu'ils n'étaient; 2° et qu'il n'aurait pas dû omettre dans ce recueil les vies de Socrate et de Platon, qui y méritaient place, avec d'autant plus de justice que je savais qu'ils étaient fort du goût de M. de Cambrai.

M. Quinot répondit à ces deux difficultés que MM. de la Chapelle et Charpentier avaient donné la vie de Socrate, et M. l'abbé Fleury celle de Platon, et qu'ils avaient épargné ce travail à M. de Cambrai ; que cet ouvrage était un abrégé qui était assez bien pour l'usage qu'il en voulait faire; que dans ces sortes d'écrits, qu'il ne composait que pour l'éducation des princes, ou pour l'utilité de quelques particuliers, il jetait d'abord ses pensées et ses preuves originales sur le papier; qu'ensuite il les remaniait, et leur donnait le tour et la liaison nécessaire, lorsqu'il jugeait à propos de les communiquer et de les laisser paraître; et, pour m'en donner une preuve sur-le-champ, il me montra une Démonstration de l'Existence de Dieu, à peu près dans le goût de celle que l'on trouve dans le second livre De natura Deorum de Cicéron, écrite de la main de M. de Cambrai, où je remarquai en effet la même négligence et le même tour. Cet écrit était plein de longs passages d'auteurs latins et de Pères de l'Église, qui n'étaient ni traduits ni ajustés au corps de l'ouvrage; défauts que l'on ne trouve plus dans cet excellent traité que l'on a donné au public.

Mais voici, ce me semble, monsieur, une preuve décisive en votre faveur, et qui démontre invinciblement que M. de Cambrai est l'auteur de l'Abrégé des vies des Philosophes, que vous avez imprimé sous son nom. Feu M. le duc de Beauvilliers avait exigé de M. Quinot un ordre général par écrit des études de messieurs ses fils, année par année. M. de Fénelon, à qui ce seigneur communiqua cet écrit, le lut, l'examina, y fit ses notes et ses réflexions. M. Quinot place la lecture des vies des philosophes dans la treizième année

de ses élèves, en ces termes: Monsieur le comte lira pendant une demi-heure, aux jours de congé, les vies des anciens philosophes de Diogène Laërce, d'Eunapius, et celle de M. de Cambrai. Voici la note de ce savant prélat sur cet article : Les vies des philosophes méritent place dans les études les plus sérieuses.

Or, si cet écrit n'était pas sorti de sa plume, il était naturel que la première réflexion qui se présentait sur cet article fût de corriger cette erreur, et de détromper M. Quinot. Son silence me paraît une reconnaissance authentique ; et l'on doit trouver étrange qu'on veuille enlever aujour d'hui à ce célèbre écrivain un ouvrage qu'il a adopté luimême, et que l'on voit après sa mort plus délicat sur sa réputation qu'il ne l'a été pendant sa vie.

J'ai dans mon cabinet, monsieur, une copie fidèle de cet ordre général des études de MM. de Beauvilliers, avec les notes et réflexions de M. de Fénelon. Feu M. le duc de Chevreuse m'en avait fait présent. J'y ai même fait, par son ordre, des remarques qui me donnèrent occasion de composer une espèce de traité de l'éducation d'un jeune seigneur, dont je lui remis une copie, qu'il lut avec attention, qu'il honora de son approbation, et que l'on a dû trouver parmi ses papiers après sa mort. J'espère donner incessamment cet ouvrage au public.

Mais l'on ne reconnaît point, dit-on, dans ces vies des philosophes, le style du Télémaque, ni de son auteur. Je suis surpris que l'on méconnaisse un écrivain à des traits qui sont autant de marques sensibles de la justesse de son goût et de son discernement. M. de Fénelon, maître de sa plume et de son style plus qu'aucun auteur de son temps, le savait varier suivant les divers sujets qu'il avait à traiter. Télémaque est un poëme en prose, et il y a employé tout ce que la poésie a de plus vif, de plus grand et de plus élevé dans ses expressions. La lecture des philosophes, selon lui, mérite place dans les études les plus sérieuses; et par une suite nécessaire, il a cru devoir écrire leurs vies, et faire un recueil de leurs principaux dogmes, d'un style uni, pur et sérieux. Un talent si rare et si bien marqué ne fait-il pas honneur à la mémoire d'un auteur? En penser et en juger autrement, n'est-ce pas se déshonorer soi-même, et faire tort à son propre jugement?

Pour peu, d'ailleurs, que l'on ait d'idée du génie et du caractère de M. de Cambrai, il est aisé de le retrouver dans cet écrit. Tout le monde sait que la métaphysique la plus fine et la plus déliée était de son goût. Que l'on parcoure avec quelque attention ces vies les unes après les autres, et l'on verra partout que c'est toujours le premier objet qui le saisit; qu'il développe avec une noble simplicité, et avec cette netteté et cette précision qui règnent dans tous ses ouvrages, ce qu'il trouve de principes de la plus pure métaphysique dans ce qui nous est resté des écrits de ces philosophes, sans oublier cependant les maximes les plus pures de leur morale et de leur politique, pour les inspirer insensiblement aux princes dont on lui avait confié l'éducation. Que l'on fasse même, si l'on veut, le parallèle de ces vies avec les dialogues que l'on a publiés sous son nom, et l'on y apercevra partout, au tour près, le même but, les mêmes pensées et les mêmes principes. S'il n'y a pas mis la dernière main, il faut s'en prendre aux af

ABRÉGÉ DES VIES DES

faires importantes qui ont emporté toute son application, et qui, loin de lui permettre de donner à cet ouvrage sa dernière perfection, le lui ont fait perdre de vue, et oublier entre les mains de ceux à qui il l'avait communiqué.

Je n'ai aucune connaissance que ce manuscrit fût dans le cabinet de feu M. le duc de Chevreuse; mais on l'a dù trouver relié in 4o dans celui de M. le duc de Beauvilliers, à moins qu'il ne soit demeuré entre les mains de M. l'abbé Quinot. Au reste, monsieur, il n'est pas surprenant que M. Ramsai, qui n'a été auprès de M. de Cambrai que les quatre ou cinq dernières années de sa vie, ne soit pas au fait des ouvrages qu'il a composés vingt-cinq ou trente ans auparavant. Combien ce grand et fertile génie a-t-il fait d'écrits et de dissertations pour éclaircir les doutes et les difficultés de ses amis et d'autres particuliers, dont il ne retenait point de copies, et qui seront ensevelis.dans l'obscurité de leurs cabinets, jusqu'à ce que l'amour du bien public force ceux qui en seront saisis de les produire au grand jour! Je ne sais, par exemple, si M. de Ramsai a trouvé parmi les papiers de cet illustre prélat une traduction de l'Énéide de Virgile. Il y a bien de l'apparence que non. L'ouvrage est trop intéressant pour n'en pas faire part au public. Il est cependant certain qu'il en avait fait une pour les princes. Je l'ai vue manuscrite entre les mains de M. de Beauvilliers: je n'en ai lu que le IX livre ; et s'il est permis de juger du tout par une de ses parties, je ne sais si Virgile ressuscité n'aimerait pas mieux être le tra- | ducteur que l'auteur original de son propre ouvrage.

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M. de Cambrai déclare dans son testament, ajoute M. de Ramsai, qu'on ne lui doit attribuer aucun des écrits qu'on pourrait publier sous son nom, que ceux qui auront été imprimés par ses soins, ou reconnus de lui pendant sa vie; que les autres pourront ou n'être pas de lui, ou lui être attribués sans fondement, ou étre mélés avec d'autres écrits étrangers, ou élre altérés par des copistes.

Cette disposition me semble, monsieur, plutôt regarder les ouvrages dogmatiques que les philosophiques. Ce grand prélat avait éprouvé, pendant sa vie, la censure des critiques jusque sur des instructions familières qu'il faisait aux nouvelles converties, et que des copistes ignorants avaient fait imprimer sans sa participation. Il était de sa prudence de se précautionner contre leur malignité après sa mort. Je veux même que cette déclaration s'étende généralement à tous ses écrits, sans en exempter aucun. L'impression de celui dont il est ici question n'a rien de contraire à cet article du testament.

Je crois avoir assez bien prouvé qu'il l'a reconnu pendant sa vie, et qu'on ne le lui attribue qu'avec fondement, aux textes latins près qu'on a retranchés. Il est conforme à ma copie; il n'est point altéré par des copistes : et s'il n'est pas si fini qu'il l'aurait indubitablement été s'il avait eu le temps de le rendre parfait, au moins doit-on le regarder comme une noble esquisse qui part de main de maître, et qui ne fait qu'honneur à son auteur.

Voilà, monsieur, l'éclaircissement que vous avez souhaité de moi, sans avoir l'honneur d'être connu de vous. J'ai cru que je ne pouvais vous le refuser sans blesser la vérité et la justice. Je vous l'abandonne, dans la persuasion où je

ANCIENS PHILOSOPHES.

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suis que vous n'en ferez qu'un bon usage. Je suis avec une parfaite estime,

Monsieur,

Votre très-humble, etc. BAUDOUIN, chanoine de Laval.

A Laval, ce 8 août 1726.

M. l'abbé Bourgeois, chanoine et principal du collége de Dreux, est en état de faire voir l'original de la Vie des Philosophes, dicté par M. de Fénelon, et écrit de la main de M. Rotrou, qui écrivait sous cet illustre auteur, lorsqu'il était chargé de l'éducation des princes.

LETTRE DE M. RAMSAI

A M. L'ABBÉ BIGNON, BIBLIOTHÉCAIRE DU ROI, Au sujet du livre intitulé

Abrégé des vies des anciens Philosophes. Vous avez eu la bonté, monsieur, de faire insérer dans le Journal de Paris, au mois de juillet dernier, une de mes lettres que j'écrivis pour désavouer, au nom de M. le duc de Chaulnes, de M. l'évêque de Saintes et M. le marquis de Fénelon, un livre qu'on attribue faussement à M. l'archevêque de Cambrai.

J'ai cru que ce désaveu formel et authentique, en détrom. pant le public de son erreur, arrêterait la témérité du libraire Estienne. Il a osé cependant faire insérer dans le journal, au mois d'octobre passé, une lettre de M. l'abbé Baudouin, pour donner le démenti à ces trois messieurs; et il cite M. l'abbé Bourgeois, principal du collége de Dreux, comme ayant le manuscrit original dicté par feu M. de Cambrai.

Pour détromper le public de ces erreurs, c'est au nom de ces trois seigneurs déjà nommés que je vous supplie de vouloir bien insérer dans votre journal le récit simple de ce que j'ai fait pour démêler et éclaircir la vérité.

Sitôt que je fus de retour à Paris, au mois de décembre dernier, je parlai et j'écrivis à toutes les personnes intéressées, pour en tirer quelques lumières. Voici ce que me répondit M. l'abbé Bourgeois, par une lettre datée de Dreux le 6 de ce mois :

« Pour ce qui regarde, monsieur, le livre en question, « voici dans la vérité et dans la dernière simplicité ce que j'en puis dire. Dans le temps que M. de Cambrai était

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<< personne n'en pouvant mieux décider, puisque personne << ne sait mieux que lui quels ouvrages sont véritablement « de M. de Cainbrai, et quels sont ceux qu'on lui attribue, « pour les avoir seulement approuvés, après les avoir hono« rés de sa révision. J'ai l'honneur d'être, etc. »

Je montrai cette lettre à M. l'évêque de Saintes, qui se souvient du fait; il m'a dit que M. de Cambrai employait quelquefois M. Rotrou à faire des extraits pour servir à l'instruction des princes, et pour rappeler les principaux faits et époques, lorsque ce prélat entretenait nosseigneurs les enfants de France de ces sortes de matières; il croit que M. Rotrou est l'auteur de l'ouvrage. Voilà ce qui a donné occasion aux uns de croire trop facilement qu'il est émané de M. de Cambrai, et aux autres de séduire le public.

Je mandai en même temps à M. l'abbé Baudouin que la lettre du mois d'octobre, qui paraissait sous son nom, était pleine de conjectures vagues et frivoles fondées uniquement sur le ouï-dire d'un homme mort, dont l'opinion n'était d'aucun poids auprès de celle des amis, des parents et de la famille de feu M. de Fénelon, qui ont seuls le droit, après sa mort, de reconnaître ses ouvrages.

M. l'abbé Baudouin, touché d'un vif et sincère repentir de la faute qu'il avait commise, me manda, par deux lettres différentes, qu'étant enseveli dans le fond d'une province, où il vit dans une grande retraite sans lire les journaux, le libraire Estienne avait tendu un piége à sa droiture et à sa simplicité, en lui cachant le désaveu que j'avais fait de l'ouvrage; il abandonne entièrement ses conjectures dans les termes les plus formels. Voici ses paroles, mot pour mot, dans une lettre qu'il m'écrit, datée de Laval, le 20 décembre dernier :

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« Le respect que j'ai pour les trois seigneurs que vous « nommez aurait certainement retenu ma plume, et me « l'aurait arrachée de la main, si j'avais pu prévoir qu'ils « eussent désapprouvé l'éclaircissement que j'ai donné sur l'ouvrage dont il est question; c'est de quoi je vous supplie, monsieur, de vouloir bien les assurer, et de croire, << pour ce qui vous regarde personnellement, que je n'ai « jamais eu intention de vous faire de la peine. Si mes ex«< pressions ne sont pas aussi justes et aussi mesurées qu'el« les auraient dû l'être, pardonnez-le à l'ignorance où j'é<< tais de votre lettre imprimée dans le journal, à ma vivacité naturelle, qui aura conduit ma plume avec trop de pré

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«< cipitation, et aux infirmités dont j'étais accablé lorsque

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« je l'écrivis. Si ma prévention pour ce que je croyais être parti de la plume de l'illustre auteur m'a fait excéder << dans le jugement que j'ai porté de l'ouvrage imprimé, ce << n'a nullement été par l'envie téméraire de contredire ni « de démentir ces trois seigneurs dont j'ignorais le jugement. « Je me soumets très-volontiers à leurs lumières très-au<< dessus des miennes, et aux vôtres, monsieur, que je res«pecte et que j'honore infiniment. J'espère que si mon in« discrétion m'a attiré vos reproches, elle m'aura en même «<temps procuré un ami et un protecteur auprès de ces sei<< gneurs. Si vous jugez qu'il soit nécessaire de m'en excuser << directement auprès d'eux, je suis disposé à faire ce que « vous jugerez à propos. »

M. l'abbé Baudouin continue les mêmes sentiments dans une seconde lettre datée du 15 de ce mois.

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J'instruisis enfin M. le marquis de Fénelon de la nouvelle hardiesse du libraire : il m'envoya pour monsieur le garde des sceaux la lettre suivante, qu'il vous prie d'insérer dans votre journal; monsieur le garde des sceaux m'en a donné la permission.

« A la Haye, le 27 décembre 1726.

« J'ose espérer, monsieur, que vous ne me refuserez pas « d'user de votre autorité pour réprimer la licence punissa<< ble d'un libraire, dont j'ai l'honneur de vous porter mes << plaintes.

«

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Estienne, rue Saint-Jacques, a fait imprimer un livre qui a pour titre : Abrégé de la vie des anciens Philosophes en même temps il a cherché à prévenir le public << en faveur de cet ouvrage, en supposant que le manuscrit << en serait venu d'une main respectable qui aurait assuré << que feu M. l'archevêque de Cambrai, mon oncle, en était << l'auteur.

« J'avais mis ce libraire en état de n'imposer pas au public << avant mon départ pour ce pays-ci. Il m'avait communi«< qué le manuscrit en question, en vue de s'autoriser de « mon suffrage pour pouvoir l'imprimer, comme étant en << effet un ouvrage de feu mon oncle. Après avoir gardé « quelque temps ce manuscrit, je le rendis au libraire « Estienne, en l'assurant que le style de feu mon oncle, sur « lequel il ne me serait pas facile de me méprendre, ne s'y « faisait pas reconnaître; que je devais de plus dire qu'après la mort de ce prélat, j'avais eu entre mes mains tous «< ses manuscrits, tant de ses ouvrages imprimés que de «< ceux qui ne l'avaient pas été, et qu'il ne s'y était rien « trouvé qui eût rapport au manuscrit en question : qu'en

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fin, pendant le grand nombre d'années que j'avais pas«<sées auprès de lui, et surtout pendant les derniers temps, « où il n'avait guère de secrets pour moi, je ne lui avais «< jamais rien ouï dire qui me permit de supposer qu'il eût composé un tel ouvrage. C'est après cette déclaration

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<< de ma part que ce libraire n'a pas laissé d'aller son che<< min pour en imposer au public.

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J'apprends même qu'il a encore en dernier lieu cher« ché à fortifier l'illusion, en publiant une lettre pour au

« toriser ce qu'il avait avancé sans preuves et sans fonde

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<<< ment; et que lors, monsieur, que vous l'en avez fait réprimander, il a osé me citer comme si je l'eusse mis «< en quelques droits d'en user comme il a fait.

J'espère, monsieur, que vous voudrez bien réprimer

<< tant d'infidélités et de témérités, et mettre ce libraire «< hors d'état d'imposer à la mémoire de feu mon oncle, en « lui attribuant un ouvrage qui n'est reconnu d'aucun de « ceux à qui il appartiendrait de le reconnaître, s'il était « de lui.

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« M. de Ramsai, qui aura l'honneur de vous rendre cette lettre, pourra vous entretenir encore plus en détail de

<< tout ce qui démontre l'infidélité dont je me plains. Je «< suis avec respect, etc. »

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