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CHAPITRE CXCII.

Comment le duc de Bourgogne alla devers l'empereur Sigismond; des serments que prit le comte de Charrolois, et du siége de Senlis, qui fut levé par les Picards.

Au commencement de cet an, Jean, duc de Bourgogne, après ce qu'il eut ordonné dedans Troyes l'état de la reine de France, et aussi qu'il eut commis plusieurs de ses capitaines, c'est à savoir Charlot de Deuilly, Jean de Clau, Jean d'Aubigny et plusieurs autres, atout (avec) deux mille combattants on environ, pour aller vers Senlis courre sur les gens du connétable, prenant congé à la reine, se partit de la ville de Troyes, et s'en alla à Dijon voir sa femme et ses filles. Et après qu'il eut là séjourné aucune espace, s'en alla à Montbéliart, devers l'empereur Sigismond, roi d'Allemagne ; auquel lieu* ils eurent grand parlement ensemble. Et depuis qu'ils eurent fait grand' révérence l'un à l'autre, se séparèrent ; et retourna ledit duc en son pays de Bourgogne.

Durant lequel temps, Philippe, comte de Charrolois, vint à Arras; auquel lieu, par le commandement de la reine et de son père le duc, convoqua tous les seigneurs, chevaliers et écuyers, le clergé et ceux des bonnes villes des pays de Picardie et

autres lieux de leur obéissance, à être à certain jour nommé audit lieu d'Arras. Auxquels là venus il fit requerre par la bouche de maître Philippe de Morvilliers, qu'ils jurassent de servir la reine et le duc son père, contre tous et envers tous, sauf et réservé la personne du roi. Lesquels devant dits le jurèrent; c'est à savoir messire Jean de Luxembourg, messire Jacques de Harcourt, le vidame d'Amiens, les seigneurs d'Antoing et de Fosseux le seigneur d'Auxois, messire Edmond de Lombers, et plusieurs autres, qu'ils les serviroient de corps et de biens, tout leur vivant. Et adonc fut requis aux bonnes villes qu'ils aidassent de certaine somme de pécune; et au surplus fut à tous les dessusdits assigné bref jour, pour être en la ville d'Amiens à l'encontre dudit de Charrolois, afin d'avoir avis et conseil ensemble pour bailler secours à ceux de Senlis. Et fut ordonné à tous les capitaines, chacun en son endroit, qu'ils assemblassent le plus gens d'armes et de trait que finer pourroient, à être prêts au jour dessusdit. Auquel lieu le comte de Charrolois avec son conseil fut à Amiens, aujour par lui ordonné ; et là vinrent devers lui tous les seigneurs devantdits, et grand' quantité de ceux des bonnes villes.

de

Entre lesquels y vinrent aussi aucuns bourgeois de Rouen, envoyés de par la ville devers ledit comte, pour lui requerre aide et conseil au lieu de son père, le duc de Bourgogne, disants que de jour en jour attendoient d'être assiégés de par

Henri, roi d'Angleterre, et sa puissance, remontrants plusieurs fois comment ils avoient fait obéissance audit duc de Bourgogne, en délaissant le roi, son fils le dauphin, le connétable, et tous les autres, et mis en lui principalement toute leur espérance, sachants que s'ils failloient à leur secours, ils avoient failli à tous autres. Auxquels fut répondu par le conseil dudit de Charrolois, et en sa présence, aux dessusdits, que bien ils s'entretinssent en leur bon propos, et qu'au plaisir de Dieu ils auroient bonne et briève aide. Et avec ce leur furent baillées lettres adressants aux capitaines et gouverneurs de ladite ville de Rouen, atout (avec) lesquelles ils s'en retournèrent. Et après, le comte de Charrolois, pour tous les affaires devant dits, fit proposer en la grand' salle de l'évêque, par ledit maître Philippe de Morvilliers, présents tous ceux qui étoient là venus, qu'il étoit nécessaire et expédient que les bonnes villes, chacune de leur franche volonté, fissent une aide de pécune, et pareillement le clergé aidât d'un demidixième.

Mais, pour tant que la besogne ne put pas être si en hâte expédiée, entre temps vint audit lieu d'Amiens certain messager de la ville de Senlis, lequel apportoit lettres au comte de Charrolois, contenants que s'ils n'étoient secourus le dix-neuvième jour d'avril, ou dedans, si puissamment que pour lever le siége du roi et du connétable, il falloit qu'ils rendissent la place, et de ce avoient

baillés leurs ôtages. Pourquoi le comte de Charrolois et son conseil, oyants ces nouvelles, conclurent d'y pourvoir; et finablement, jà-soit-ce que ledit comte eût grand désir d'y aller en sa personne, son conseil n'en fut pas content; ainçois furent ordonnés les principaux conducteurs de cette besogne, messire Jean de Luxembourg et le seigneur de Fosseux, et au-dessous d'eux tous. les capitaines de Picardie et autres frontières. Lesquels deux chevauchèrent jusques à Pontoise, et y vinrent bien hâtivement le dix-septième jour dudit mois d'avril. Auquel lieu tous ensemble prirent conclusion de partir le lendemain par nuit, pour aller et chevaucher vers la ville de Senlis ; et pouvoient être en tout bien huit mille combattants. Lesquels, comme dit est, se mirent aux champs tous ensemble, et là ordonnèrent certain nombre de chevaucheurs, pour aller en aucuns lieux et places vers ladite ville de Senlis, pour savoir aucunes nouvelles de leurs ennemis. Avec lesquels messire Jean de Luxembourg et le seigneur de Fosseux étoient, c'est à savoir le Veau de Bar, bailli d'Auxois, le sire de l'Ile-Adam, messire Edmond de Longbois, le seigneur d'Auxois, Hector et Philippe de Saveuse, frères; Ferry de Mailly, Louis de Wargnies, messire Philippe de Fosseux, Jacques et Jean de Fosseux, le sire de Cohen, messire Jennet de Poix, le seigneur de Longueval, le seigneur de Miraumont, et généralement la plus grand' partie de tous les nobles et gentilshommes

de Picardie; lesquels tous ensemble, en une moult belle ordonnance, ayant avant-garde, arrière-garde et bataille, chevauchèrent tant, qu'ils vinrent et approchèrent à une lieue près de la ville de Senlis.

Et adonc le comte d'Armagnac, connétable de France, tenant son siége devant ladite ville de Senlis, ouït certaines nouvelles par ses gens, qu'il avoit envoyés sur les champs, que les seigneurs de Picardie, par dessus nommés, s'approchoient à grand' puissance pour les combattre; et pour ce, sans délai, fit armer tous ses gens, et mettre en bataille aux pleins champs, afin qu'il ne fût envahi en son logis.

Et adonc ceux de la ville, voyant les assiégeants être en effroi, environ le point du jour, dont le lendemain devoient livrer la ville s'ils n'avoient secours, en grand' hardiesse et par ordonnance saillirent hors de ladite ville, et boutèrent le feu en plusieurs lieux ès tentes et logis dudit connétable; et avec ce prirent et tuèrent plusieurs malades, marchands et autres qu'ils trouvèrent audit logis, atout (avec) lesquels et foison de biens ils retournèrent sans perte dedans ladite ville, à la vue de leurs ennemis.

Pour laquelle envahie, ledit connétable, après ce que très matin les eut fait sommer de rendre ladite ville, comme promis l'avoient, et qu'ils eurent fait réponse que encore n'étoit pas heure passée de la rendre, fit couper les têtes à quatre des otagers, et puis les fit écarteler et pendre au gibet. Desquels

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