Imágenes de página
PDF
ePub

Au reste, ici encore, rien d'absolu. Je connais tels rhétoriciens adultes, j'en sais de classiques et de romantiques, qui prendront éternellement les métaphores pour des idées, et qui avec cela s'imaginent que la rhétorique leur est en horreur. Attacher aux images plus de prix qu'aux pensées, c'est faire comme les enfants, qui dans un livre ne cherchent que les enluminures. Il y a quelque chose de puéril dans un esprit qui, passé vingt-cinq ans, sacrifie encore à la phrase. Mais certains esprits ne mûrissent jamais, notamment ceux qu'on a mis en serre chaude, et qui, ayant fleuri trop vite, ne portent point de fruits.

L'importance qu'on attache aux mots est en raison inverse de celle qu'on met aux choses, et du nombre de rapports vrais que l'esprit saisit. Les mots ne doivent avoir précisément que la force même que les choses leur donnent. Autrement, c'est charlatanisme ou rhétorique, tromperie ou sottise. S'il était possible que le lecteur ne s'aperçût point qu'il y a des mots entre vos idées et lui, et ne vît que les idées, votre style serait parfait. Un trop beau style est comme une vitre colorée qui change l'aspect vrai des objets. Cette vitre, sans doute, est d'une couleur splendide; mais, en donnant sa couleur aux objets, elle en altère l'aspect réel, la physionomie, la vérité, et me force de penser aussi à elle. Il faut être bien écolier, bien enfant, quelque âge que l'on ait, pour se plaire à ces effets-là, et pour s'imaginer que les bons esprits s'y laissent prendre. La recherche excessive de

l'effet dans la forme décèle l'indifférence sur le fond. J'ai connu la fausseté et l'indifférence de bien des gens à la comédie de leur éloquence, et la faiblesse de beaucoup d'autres à cela seul qu'ils s'y laissaient tromper. Ces hypocrites de morale, grands faiseurs d'emphase, qui sont de flamme à la surface et de glace au fond, sont le contraire des volcans d'Islande qui sont tout de neige au dehors, tout de flamme au dedans.

Tel écrivain était vieux dès l'enfance, tel autre est jeune jusque dans la vieillesse aussitôt vous nommez Voltaire.

Et puis il y a toutes sortes de jeunesses: il en est quelques-unes dont les orages se continuent jusque dans l'âge mûr. Vous savez le mot qu'on attribue à Alexandre Dumas fils : « Mon père est un grand enfant, que j'ai eu quand j'étais tout petit. »>

Mais les exceptions confirment la règle. Ne dit-on pas pour chaque artiste première, seconde, troisième manière? - Naturellement, ces désignations se rapportent aux diverses saisons de sa vie.

Les esprits heureusement doués, et dont la croissance a été normale, développent diverses veines de talent à chaque époque de la vie; ils ont des renouvellements qui les surprennent eux-mêmes et le public. Ils ont des sources et des ressources, dans le sens propre et primitif du mot. Leur existence féconde et pleine, en tous ses degrés de maturité, a les fruits de chaque saison. Voyez George Sand et Sainte-Beuve !

Il faut aussi considérer l'âge et le temps dans les peuples, comme dans les personnes. Chaque peuple, comme chaque individu, vaut plus ou moins, selon son âge, ou bien a des mérites différents. La Grèce moderne n'est pas l'Hellade antique. La Rome impériale n'est pas la Rome républicaine; et celle des papes n'est pas celle des Césars, et celle de l'Italie moderne ressuscitée sera encore une autre Rome. Corneille, dans Cinna, a dit :

Il est vrai que du ciel la prudence infinie
Départ à chaque peuple un différent génie ;
Mais il n'est pas moins vrai que cet ordre des cieux
Change selon les temps comme selon les lieux.

Oui, ce que nous avons observé de chaque saison de la vie humaine peut se remarquer aussi, ou à peu près, de chaque saison de la vie d'un peuple. La poésie étant la langue de la jeunesse, tous les peuples parlent d'abord en vers; partout les chants et les poëmes précèdent la prose, qui ne peut naître qu'avec l'esprit d'analyse, de réflexion et de critique. On ne commence à bien écrire l'histoire qu'après les révolutions en d'autres termes, on ne mesure bien les monarchies et les religions que quand elles sont à terre.

Ainsi chaque chose a son temps, et ce temps donne le cachet à chaque chose, et réciproquement. L'éloquence est le cachet de notre dix-septième siècle; la philosophie est celui du dix-huitième ; la critique et l'histoire celui du dix-neuvième.

Ensuite il y a les rhabilleurs qui commencent les décadences. Ovide, par exemple, malgré tout son talent, fut un Chateaubriand versificateur, qui écrivit, sous le nom de Métamorphoses, un ouvrage analogue au Génie du Christianisme. Il vit dans une religion défaillante une matière à poésie témoignage irrespectueux, au fond, et compromettant.

C'est sur le terreau des mœurs corrompues et sous le fumier social qu'on fait pousser l'idylle, fleur d'arrière-saison, arrosée par l'art poétique. Églogues, sylves, bergeries, pastorales, bucoliques, berrichonades, - quelque nom qu'on leur donne, et même quand il s'y trouve de belles œuvres, comme dans Théocrite, dans Virgile et dans George Sand, - sont le régal des gens blasés, les plats sucrés et les fruits du dessert. Il arrive parfois que le poëte ou l'artiste met un sentiment vrai dans un genre faux, choisi pour réveiller un public fatigué.

[ocr errors]

LE TEMPÉRAMENT.

Outre le siècle, le climat, le pays, la race, le sexe même et l'âge de l'écrivain ou de l'artiste, l'œuvre nous révèle encore et surtout sa complexion, son tempérament. Elle en est l'expression directe. C'est ici le cœur même de notre sujet : la Physiologie appliquée à la Critique. Je demande donc la permission d'entrer préalablement dans quelques explications physiologiques très-brèves et trèsclaires.

Pour emprunter les définitions des auteurs spéciaux et compétents, on appelle tempérament l'état particulier de la constitution physique de chaque personne, causé par la proportion diverse des éléments qui entrent dans la composition de son corps.

Il est facile de comprendre que le tempérament exerce une grande influence sur l'énergie et l'ac

« AnteriorContinuar »