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LE CLIMAT.

Si, la plupart du temps, il ne faut qu'une page, ou moins encore, pour reconnaître à quelle époque appartient un écrit, parfois il n'en faudra pas beaucoup plus pour dire également sous quel climat, dans quel pays, telle œuvre de style s'est produite.

Cependant ce point-ci, comme le précédent, le climat physique comme le climat moral, se marquera plutôt dans l'ensemble que dans les détails.

Hippocrate, Platon, Aristote et les plus savants esprits de l'antiquité ont reconnu et proclamé l'influence du climat sur l'homme, - et par conséquent sur ses œuvres. Varron, dans son traité de l'Agriculture, cite un ouvrage d'Eratosthènes, perdu pour nous, dans lequel celui-ci cherchait à établir que le caractère de l'homme et de la nation, et la forme du gouvernement, dépendent de la distance plus ou moins grande du soleil. Ne croit-on

pas déjà lire l'Esprit des Lois, au livre des Climats, où Montesquieu exagérant cette doctrine vit se réunir contre elle les critiques de Rousseau et de Voltaire, de Voltaire qui, toutefois, dans maint passage de ses œuvres et de sa correspondance, exprime des idées analogues, et de Rousseau, qui en émet aussi de pareilles pour son compte dans ses fragments sur les Institutions politiques.

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Herder, après Montesquieu, exagéra encore plus la même théorie, dans ses Idées sur la philosophie de l'histoire, auxquelles, dit M. P.-J. Proudhon, je ne trouve qu'un défaut, c'est que les idées n'y sont absolument pour rien. Tout le système repose sur le fatalisme géographique, chimique et organique : sol, climat; plaines et montagnes; rivières, lacs et mers; d'où se déduisent successivement, pour chaque latitude et méridien, la flore et la faune, puis l'homme; finalement, la société et son histoire. Rien à y reprendre; seulement on se demande ce que la liberté et le progrès ont à faire là-dedans; on ne voit pas même de quoi y sert l'intelligence.

Cette doctrine d'Hippocrate, de Platon, d'Aristote, d'Eratosthènes, de Varron, de Montesquieu, de Voltaire, de Rousseau, de Herder, a été reprise et continuée de nos jours avec beaucoup d'éclat. Elle est devenue la base de la critique naturiste, qui est la critique naturelle poussée à l'extrême.

La terre, selon cette doctrine, est la prophétie de l'histoire. Dis-moi d'où tu sors, je te dirai qui tu es. Et réciproquement, voyant qui tu es, je te dirai d'où tu sors.

Après tout, soit qu'on dise: « La Providence avait partout disposé le sol pour l'idée ; » soit qu'on dise : « Partout l'idée, résultant du sol et du climat, ne fait que traduire la Nature; » si l'explication diffère, le fait est le même. Or, c'est le fait que nous étudions.

Si la flore d'un pays, la faune d'un pays, l'humanité d'un pays, s'expliquent les unes par les autres, et s'accordent dans une harmonie intime, comme choses qui ne sont, au fond, que la même essence sous diverses formes, produites par les différents degrés d'influence du climat, du sol, en un mot du milieu, il suit de là que les œuvres de l'homme, volontaires ou instinctives, les langues, les littératures, les arts, les législations, les religions et les philosophies, ne sont à leur tour que des formes émanant des précédentes, et exprimant encore les mêmes choses, et répondant aux mêmes harmonies.

Les langues d'abord, comme le démontre M. Renan dans son beau livre de l'Origine du Langage, ne sont, dans leur diversité originelle, que le résultat instinctif de la diversité des races et des climats. « A chaque époque apparaît le merveilleux accord de la psychologie et de la linguistique; nous sommes donc fondés à considérer les langues comme les formes successives qu'a revêtues l'esprit humain aux différentes périodes de son existence, comme le produit des forces humaines agissant à tel moment donné et dans tel milieu. L'harmonie non moins parfaite des langues et des climats con

firme cette manière de voir. Tandis que les langues du Midi abondent en formes variées, en voyelles sonores, en sons pleins et harmonieux, celles du Nord, comparativement plus pauvres et ne recherchant que le nécessaire, sont chargées de consonnes et d'articulations rudes. On est surpris de la différence que produisent à cet égard quelques degrés de latitude.... »

Voltaire écrit à Mme du Deffand : « Savez-vous le latin, madame? Non. Voilà pourquoi vous me 'demandez si j'aime mieux Pope que Virgile. Ah! madame, toutes nos langues modernes sont sèches, pauvres et sans harmonie, en comparaison de celles qu'ont parlées nos premiers maîtres, les Grecs et les Romains. Nous ne sommes que des violons de village. »

Ce que disent Voltaire et M. Renan de la rudesse des langues du Nord, en général, est incontestable. Quant à la pauvreté de ces idiomes, il y a lieu, ce me semble, de faire une distinction, que M. Renan admettrait sans doute: c'est que, dans les langues du Nord, la profondeur, l'intensité du caractère sentimental, pensif, humain, est aussi une richesse qui, certes, compense bien cette autre richesse, presque purement sensitive, cette musique un peu vaine, des langues du Midi. Cela soit dit encore en général, sauf les exceptions d'une et d'autre part.

Sans sortir d'un même climat, on a remarqué, en Suisse par exemple, que la même langue, douce dans la plaine, s'aspire à mesure qu'on avance dans la montagne.

En, tout pays, les gens de la montagne et ceux de la plaine ne forment-ils pas comme deux races distinctes? De même, ceux des champs et ceux des forêts; ceux de terre et ceux de mer autant de caractères différents, autant de races diverses dans une seule. Eh bien! comment toutes ces différences ne perceraient-elles pas dans les idiomes?

Mais, sans aller jusqu'aux racines, observons les fleurs et les fruits : - la littérature et les arts.

Si, à cause de cette hypothèse, que l'homme est composé de matière et d'esprit, on se refuse à admettre qu'il soit tout entier le produit du milieu où il respire (aussi bien la matière, ce semble, ne saurait produire l'esprit), du moins on ne peut contester que l'homme prend toujours quelque chose du milieu dans lequel il vit. Boileau lui-même le reconnaît:

Les climats font souvent les diverses humeurs.

Est-il donc étonnant que ces humeurs diverses se manifestent jusque dans les ouvrages de l'esprit? « Qui ne sait, dit M. de Sacy, que les teintes du climat se reflètent, en quelque sorte, dans les monuments de la littérature? »

La même observation que nous avons faite tout à l'heure à propos du siècle, doit se répéter ici à propos du climat : C'est tantôt par la ressemblance, et tantôt c'est par le contraste, que le climat se peint dans les écrits.

Un poëte se plaît-il à célébrer, comme un idéal

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