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façon particulière de se cravater, et comment d'un coup d'œil, à la cravate seule, vous pouvez deviner le caractère d'un homme, son passé, son présent, son avenir. Je n'ai pas rencontré ce savant livre, mais j'en imagine volontiers les deux principales divisions d'une part, les hommes soi-disant sérieux, portant des cols droits et se plaisant à être guillotinés par leur cravate; de l'autre, les gens naturels, tolérant à grand'peine le col brisé, et encore pour se conformer à l'usage, qui ne nous laisse que le choix des carcans!-là les diplomates, ici les artistes; dans ces deux genres rentreraient aisément toutes les espèces sociales....

Louis XIV ne paraissait jamais qu'en perruque : il en avait une petite, courte, pour le matin, pendant qu'on lui faisait la barbe ou qu'il était sur sa chaise d'affaires (Voir, pour ce dernier mot et pour tout ce qui s'y rattache, le Dictionnaire de l'Académie et l'Index des Mémoires de Saint-Simon); et une autre, grande, majestueuse, pour l'apparat, lequel commençait dès le petit lever, tout de suite après la chaise d'affaires.

<< Pourquoi, dit Buffon, la tête d'un docteur estelle environnée d'une quantité énorme de cheveux empruntés, et pourquoi celle d'un homme du bel air en est-elle si légèrement garnie? L'un veut que l'on juge de l'étendue de sa science par la capacité physique de cette tête, dont il grossit le volume apparent, et l'autre ne cherche qu'à le diminuer, pour nous donner l'idée de la légèreté de son esprit. »

Je lis dans des Mémoires que M. de Sartines, lieutenant-général de police et homme du monde, avait toutes sortes de perruques, de tous les caractères et de toutes les dimensions: perruque pour le négligé, perruque pour le conseil, perruque à bonnes fortunes, perruque à interrogatoires. La perruque des rendez-vous galants était à cinq petites boucles flottantes. Celle dont le magistrat s'affublait pour interroger les criminels était terrible, elle faisait des serpents on l'appelait l'inexorable.

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Les orateurs athéniens portaient des couronnes de feuilles d'olivier, et tenaient un bâton, comme dans Homère. Nos avocats ont la robe, le rabat et le bonnet le bonnet joue le rôle que jouait le bâton, et leur sert à faire mille singeries de vivacité ou de majesté. -Les prédicateurs ont des surplis blancs, dont les ailes voudraient simuler des anges. Ainsi tout signe a son effet dans la grande mascarade humaine. Le costume exprime le caractère, et tour à tour le modifie: témoin les prêtres, les moines, les béguines, les soldats. L'uniforme, quel qu'il soit, comprime l'individualité et la façonne à son image. Il ne faut donc point s'étonner si le costume lui-même se marque dans le style. Habits et habitudes, costumes et coutumes, la ressemblance des mots exprime le voisinage des idées.

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Comme je m'étendrais, si je voulais, sur les rapports de l'habit et du style, et sur toutes leurs analogies, volontaires ou involontaires ! Il y a, dans la

littérature courante comme dans les modes, des articles d'été et des articles d'hiver. Les articles d'été sont plus légers, plus lâches; les articles d'hiver sont plus serrés, plus solides.... Mais c'est assez pousser la plaisanterie.

Sérieusement, chaque chose, grande ou petite, a son influence, bonne ou mauvaise, qui se marque souvent dans le style. Aucune circonstance n'est indifférente; tout a son importance relative, qu'il est possible de constater.

« Un cheveu même a son ombre,» dit Mahomet. Comment donc le corps tout entier, avec tout ce qui s'y rapporte, n'aurait-il pas la sienne aussi? Et comment donc, par conséquent, la physiologie pourrait-elle être séparée de la critique?

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RÉCAPITULATION ET SUITE.

Pour récapituler ce que nous avons dit jusqu'à présent, je crois, par cette série de détails et d'exemples, avoir suffisamment fait voir ce que j'avais avancé : comme quoi, dans une page et quelquefois moins, mais en général dans le style et dans la manière d'un écrivain véritable, on peut très-souvent reconnaître son tempérament et son caractère; ses habitudes, sa profession; son sexe, son âge, sa santé; sa famille, sa race; son pays, son siècle; son climat physique et moral.

C'est tout ce que j'ai voulu indiquer, me contentant de donner un aperçu sommaire et rapide de l'application de la physiologie à la critique et à l'analyse des œuvres littéraires.

Bien entendu, ce procédé n'exclut nullement tous les autres: il ne rejette ni la critique des mots et du langage, qui va de la grammaire à la rhétori

que, et de la rhétorique à la philologie; ni la critique philosophique, qui, sous le nom particulier d'esthétique, remonte aux principes de l'art et se flatte de pénétrer l'essence même de la beauté; ni la critique historique et morale, qui éclaire l'œuvre par la vie de l'auteur et la vie de l'auteur par l'œuvre, les replace dans leur siècle comme dans leur cadre et dans leur vrai jour, ou plutôt les reconstitue vivants, et ressuscite ensemble et l'œuvre et l'homme, et les contemporains, non d'un seul pays, mais de tous, par les littératures comparées et par l'histoire universelle.

A vrai dire, la critique physiologiste n'est qu'un département de celle-ci. Il est à noter, toutefois, que ce département menace de devenir à lui seul un empire, comme l'Ile-de-France est devenue la France.

Au reste, si autrefois la physiologie tenait moins de place dans la critique, c'est que, même en dehors de la critique, la physiologie existait à peine.

A présent, elle existe et s'accroît chaque jour, et pénètre partout. Pourquoi s'en plaindre? C'est un instrument de recherche et de précision ajouté aux autres. Tous, loin de s'exclure, se contrôlent entre eux. Est-ce que l'on a jamais un trop grand nombre de pierres de touche, de contre-épreuves et de vérifications? En chimie, quand on veut connaître un corps, est-ce qu'on le traite par un seul réactif? Non, mais par deux, par trois, par quatre, et par tous ceux dont on dispose. Pourquoi ne pas

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