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services et de travaux pour l'État. Sa vie tout entière l'environne, et répand sur lui un éclat qui attire tous les regards. Magistrats, courtisans, tout l'honorait, tout faisait des voeux pour lui;

mais la nature ne fait que prêter les grands hommes à la terre; ils s'élèvent, brillent et disparaissent. Les maux de la vieillesse attaquent D'Aguesseau; et son ame n'habite plus que parmi des ruines.

Dans cet état, il se compare à ses devoirs, et rougit d'être encore puissant, lorsqu'il ne peut plus être utile. Il sait que l'homme est aux dignités, et que les dignités ne sont pas à l'homme. Il a accepté les honneurs en citoyen ; il les a remplis en sage; il les quitte en héros dès qu'il ne peut plus les remplir, et donne encore un grand exemple, lorsqu'il ne peut plus rendre de grands services (31).

Dès ce moment, libre des liens qui l'attachaient à la terre, il ne s'occupe plus que des sentiments augustes de la religion. Cette vertu, si capable de nous élever l'ame, si nécessaire pour la consoler, avait accompagné D'Aguesseàu dans tout le cours de sa vie (32). Chrétien sans ostentation et sans faiblesse, il voit la mort d'un œil serein, et l'attend avec confiance. Un Ancien dit en mourant : « O nature, je te rends un esprit plus parfait « que je ne l'avais reçu. Être éternel, j'ai ajouté

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«‹ à ton ouvrage ». D'Aguesseau, après quatrevingts ans de vertus et de gloire, pouvait se rendre le même témoignage; mais il eut une grandeur modeste à sa mort comme pendant sa vie (33).

Tous ceux qui meurent sont honorés par des larmes. L'ami est pleuré par son ami, l'époux par l'épouse, le père de famille par ses enfants; un grand homme est pleuré par le genre humain. Lorsque la pompe funèbre de D'Aguesseau traversait Paris, l'admiration et la douleur étaient le sentiment général de tous les citoyens. Le corps où avait habité cette ame vertueuse, quoique froid et inanimé, imprimait encore le respect; semblable à ces temples qui long-temps ont servi de demeure à la divinité, la vue de leurs débris porte encore dans l'ame un sentiment involontaire de religion. Le vieillard disait à ses enfants : « Mes fils, l'homme juste est mort. » Le faible et le malheureux s'écriaient : « Nous n'avons plus d'appui. >>

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Des milliers d'hommes meurent et sont aussitôt remplacés: mais la mort d'un grand homme laisse un vide dans l'univers, et la nature est des siècles à le remplir. Que du moins l'exemple de cet homme illustre qui n'est plus, vive parmi nous. Il n'est pas donné à tout le monde d'être grand; mais chacun peut apprendre de lui à être juste.

M'est-il permis, en finissant, de faire un vœu pour le bonheur de la patrie? Je souhaiterais qu'au milieu du palais sacré qui sert de temple à la Justice, on élevât la statue de ce grand homme. Ce serait parmi nous un monument éternel de religion, de simplicité et de vertu. Ce marbre muet exercerait sans cesse une censure utile sur les mœurs des magistrats; et, lorsque nous ne serions plus, il annoncerait encore la vertu à nos derniers neveux.

NOTES HISTORIQUES.

(1) Page 195.

Henri-François D'Aguesseau naquit à Limoges le 27 novembre 1668. Sa mère, Claude le Picard de Périgny, était fille d'un maître des requêtes. Du côté de son père, il descendait d'une ancienne famille, qui a possédé des terres en Saintonge et dans l'île d'Oleron. L'histoire fait mention en 1495, d'un Jacques D'Aguesseau, gentilhomme de la reine Anne de Bretagne, femme de Charles VIII. Antoine D'Aguesseau, aïeul du chancelier, fut successivement maître des requêtes, président du grand conseil, conseiller au conseil d'État, intendant de Picardie, enfin premier président du parlement de Bordeaux. La réputation qu'il y a laissée, s'est perpétuée jusqu'à présent. Son éloge est consacré dans l'histoire de Saintonge.

(2) Ibid.

Henri D'Aguesseau, père du chancelier, fut d'abord conseiller au parlement de Metz, ensuite maître des requêtes, président du grand conseil, intendant de Limoges, de Bordeaux, de Languedoc, conseiller d'État, conseiller au conseil royal des finances, et enfin conseiller au conseil de régence. Il mourut âgé de plus de quatre-vingt-un ans, en 1716. Il avait tout le mérite que les grandes places suppo

sent, mais qu'elles ne donnent pas. Juste, désintéressé, bienfaisant, ami des peuples, homme d'État, excellent père de famille; à tous ces titres il en joignait encore un, qui était commun à tous les grands magistrats, celui de

savant.

(3) Page 196.

On sait combien les places d'intendant de provinces sont difficiles à remplir. Il faut soutenir les droits du prince et ne point opprimer les sujets, être juste sans être dur. La ligne qui marque les limites du devoir, est quelquefois imperceptible; un intendant marche sans cesse entre la haine des peuples et la crainte de la disgrace. Cette place si difficile par elle-même, le devenait encore plus par les circonstances, dans un pays où les peuples étaient révoltés par esprit de religion. On connaît la sévérité des édits de Louis XIV contre l'hérésie; il fallait les faire exécuter, et cependant ménager des sujets utiles; poursuivre des rebelles, et ramener ceux qui pouvaient l'être; joindre la fidélité que l'on doit aux ordres du prince, avec la pitié que l'on doit à des fanatiques. Telle fut la conduite que tint le père du chancelier. Aussi était-il adoré dans une place où c'est beaucoup que de n'être point haï. A la première nouvelle de sa mort, toutes les provinces où il avait été intendant, firent célébrer un service en son honneur. Cette marque de l'attachement des peuples après sa mort, le loue mieux que toutes les oraisons funèbres. Il avait beaucoup contribué à la construction du fameux canal de Languedoc, qu'on peut citer parmi le petit nombre d'ouvrages où l'utilité se joint à la grandeur.

(4) Ibid.

M. le chancelier n'eut presque d'autre maître que son père. Celui-ci s'appliquait à l'instruire au milieu de ses

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