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l'accompagner plus loin, et il lui en donne la raison. Le duc lui représente vainement qu'il serait entièrement libre chez lui, Chapelle répond à toutes ses instances: Plutarque l'a dit; cela ne vient pas de moi. Ce n'est pas ma faute; mais Plutarque a raison. »

On assure que Chapelle a fourni plusieurs traits à la comédie des Plaideurs, de Racine, qui, s'il en faut croire la tradition, fut en partie composée à table. Racine lui demandant un jour ce qu'il pensait de Bérénice: « Ce que j'en pense, répondit-il :

Marion pleure, Marion crie,

Marion veut qu'on la marie. »

Cette critique plaisante fit, dit-on, beaucoup de peine à Racine, dont la susceptibilité était grande. Le bruit courait que Chapelle aidait beaucoup Molière dans la composition de ses comédies, et il ne démentait pas ce bruit assez fortement pour le faire tomber. Pressé pour sa comédie des Fâcheux, Molière le pria de lui faire la scène de Caritidès; celle qu'il apporta était si mauvaise que Molière le menaça de la montrer à tout le monde, s'il laissait encore croire qu'il travaillait à ses pièces.

Chapelle, comme tous les épicuriens, était très-adonné au vin; Boileau avait entrepris de le guérir de son penchant, et, le rencontrant un jour dans la rue, il commence à le prêcher et à lui faire de sérieux reproches. « J'ai résolu de me corriger, dit Chapelle; je sens la force de vos raisons; mais pour achever de me persuader, entrons ici ; vous moraliserez plus à votre aise. Il l'entraine dans un cabaret, et voilà Boileau qui, toujours prêchant et toujours buvant, s'enivre lui-même.

Chapelle, à la fin d'un repas, était fort éloquent, et formait alors les projets les plus extravagants. Il restait ordinairement le dernier à table, et se mettait à expliquer aux valets la philosophie d'Epicure. Un jour, s'étant enivré tête-à-tête avec în maréchal de France, ils formèrent le dessein d'aller prêcher la foi en Turquie, et de s'y faire martyriser; mais en discutant avec chaleur sur les prérogatives de leurs droits respectifs, ils s'envoyèrent des assiettes à la tête, et leurs beaux projets de conversion finirent par un combat à coups de poings. Chapelle

était de ce fameux souper d'Auteuil, où les convives, après avoir bien bu, moralisèrent sur les misères de la vie humaine, et résolurent d'aller chercher un meilleur sort au fond de la rivière, résolution qu'ils voulaient exécuter sur-le-champ, mais dont Molière, qui était alors au régime, les détourna, en leur représentant que le grand jour devait éclairer une action si héroïque. On sait que le lendemain aucun d'eux ne se pressa de tenir sa promesse. La conversation de Chapelle était si vive, si séduisante qu'on ne pouvait s'empêcher de prendre beaucoup de part à ce qu'il racontait. Un jour la femme de chambre de mademoiselle Chouars, son amie, surprend sa maitresse et lui tout en pleurs; effrayée d'abord, elle en demande la cause avec empressement; «Nous pleurons, dit Chapelle, la mort de ce « pauvre Pindare que les médecins ont tué; et là-dessus il recommence un récit si pathétique de la mort de ce poète, arrivée depuis plus de deux mille ans, que la femme de chambre elle-même se met de la partie et fond en larmes. On doit croire qu'un homme de l'humeur et de la conduite de Chapelle ne pouvait faire de la poésie une occupation sérieuse. Ses vers négligés et faciles portent l'empreinte de son caractère; ils paraissent inspirés par le plaisir et l'indolence; mais ils ont du naturel, de l'esprit et de l'enjouement: ces qualités se trouvent au plus haut degré

Dans le récit de ce voyage,

Qui du plus charmant badinage

Fut la plus charmante leçon.

C'est ainsi que Voltaire caractérise le Voyage à Montpellier. Sa vie voluptueuse et son peu de prétention, dit encore Voltaire, contribueront à la célébrité de ses petits ouvrages. ›

Chaulieu mourut à Paris en septembre 1686. Outre son Voyage, on a de lui quelques petites pièces fugitives en vers et en prose.

La méprise d'un éditeur qui avait confondu l'écrivain dont nous parlons avec Lachapelle, auteur du roman des Amours de Catulle et de Tibulle, de la tragédie de Cléopâtre, et d'autres ouvrages oubliés, donna occasion à cette épigramme de l'abbé de Chaulieu :

Lecteur, sans vouloir t'expliquer,
Dans cette édition nouvelle,
Ce qui pourrait t'alambiquer
Entre Chapelle et Lachapelle,

Lis leurs vers, et dans le moment
Tu verras que celui qui, si maussadement,

Fit parler Catulle et Lesbie,
N'est pas cet aimable génie
Qui fit ce voyage charmant,

Mais quelqu'un de l'Académie.

On ne sait pas ce qui appartient à Chapelle dans ce Voyage qu'il fit en commun avec Bachaumont, et qui est un petit chefd'œuvre. C'est encore un de ces morceaux qui prouvent que le siècle de Louis XIV eut, jusque dans les petites choses, une originalité et une richesse de talent qui lui sont propres : quoique nous ayons beaucoup de voyages, où des auteurs de beaucoup d'esprit ont essayé de rivaliser avec celui de Chapelle, aucun n'a pu en approcher. Mais c'est là tout Chapelle. Ses autres poésies sont très faibles. Il devait pourtant assez bien se tirer de l'impromptu, qui d'ailleurs est assez ami du vin, si l'on en juge par les deux suivants. Le premier est adressé à Boileau, qui venait aussi de s'égayer jusqu'à faire, entre deux vins, un petit quatrain contre Chapelle.

Qu'avec plaisir de ton haut style
Je te vois descendre au quatrain!
Bon Dieu! que j'épargnai de bile
Et d'injures au genre humain,
Quand, renversant ta cruche à l'huile,
Je te mis le verre à la main.

L'autre est sur le fameux gourmand Broussin, celui à qui le

Voyage fut adressé.

Broussin, dès l'âge le plus tendre,

Inventa la Sauce-Robert,

Mais jamais il ne put apprendre

Ni son Credo ni son Pater.

Hesnault.

Après avoir tenté la fortune dans les Pays-Bas, en Angleterre, en Sicile, Jean Hesnault, fils d'un boulanger de Paris et ami de Chapelle, revint en France, obtint un emploi de Fouquet, et le perdit à la disgrâce du surintendant. De là son fameux sonnet contre Colbert, plus énergique que vrai.

Ministre avare et làche, esclave malheureux,
Qui gémis sous le poids des affaires publiques,
Victime dévouée aux chagrins politiques,
Fantôme révéré sous un titre onéreux,

Vois combien des grandeurs le comble est dangereux !
Contemple de Fouquet les funestes reliques;
Et tandis qu'à sa perte en secret tu t'appliques,
Crains qu'on ne te prépare un destin plus affreux.
Il part plus d'un revers des mains de la Fortune;
La chute comme à lui te peut être commune:
Nul ne tombe innocent d'où l'on te voit monté.

Cesse donc d'animer ton prince à son supplice;
Et près d'avoir besoin de toute sa bonté,

Ne le fais pas user de toute sa justice.

La plupart des pièces qui composent les OEuvres diverses de Hesnault sont licencieuses.

Chaulieu.

Guillaume Amphyre, de Chaulieu, né l'an 1639, à Fontenay, dans le Vexin normand, dut à l'amitié des Vendôme l'abbaye d'Aumale et plusieurs prieurés, qui lui valaient trente mille livres de rente.

Cette fortune lui fit oublier son caractère d'ecclésiastique: il ne s'occupa plus que de ses plaisirs, et n'employa son talent qu'à les chanter. Il avait fixé son séjour au Temple, de là son surnom d'Anacréon du Temple. Voici en quels termes Voltaire, dans son Temple du Goût le caractérise :

Je vis arriver en ce lieu

Le brillant abbé de Chaulieu,

Qui chantait en sortant de table;
Il osait caresser le Dieu

D'un air familier, mais aimable;
Sa vive imagination

Prodiguait dans sa douce ivresse

Des beautés sans correction.

Dans le même ouvrage, le dieu du goût avertit Chaulieu de ne pas se croire le premier des bons poètes, mais le premier des poètes négligés. On voit en effet, dans ses vers, les négligences d'un esprit paresseux, mais en même temps le bon goût d'un esprit délicat, qui ne tombe jamais dans cette affectation, premier défaut d'un siècle de décadence; il a même des morceaux d'une poésie riche et brillante; malheureusement, ce qui domine surtout dans ses écrits, c'est la morale épicurienne et le goût de la volupté. Son Ode sur l'Inconstance est la chanson du plaisir et de la gaieté.

Sauf ses stances sur la solitude de Fontenai, et quelques autres pièces, les poésies de Chaulieu ne peuvent se lire sans danger pour la jeunesse et sans indignation pour les gens sages. Son épicuréisme est d'autant plus dangereux, qu'il a su le réduire en sentiment. Il n'est pas de moyen plus sûr pour s'attirer des lecteurs et se faire des prosélytes; et cependant rien de plus révoltant aux yeux d'une raison, nous ne disons pas austère, mais seulement éclairée, que ce penchant à faire consister tout le bonheur dans les plaisirs matériels.

ODE (abrégée et corrigée) SUR LA SOLITUDE DE FONTENAI.

Désert, aimable solitude,
Séjour du calme et de la paix,
Asile où n'entrèrent jamais
Le tumulte et l'inquiétude;

Quoi! j'aurai chanté tant de fois,
Aux tendres accords de ma lyre,
Tout ce qu'on souffre sous l'empire
Du sentiment et de ses lois :

Et rempli de reconnaissance

Pour tous les biens que tu m'as faits,

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