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ses attributs distinctifs; mot vulgaire, mais ennobli en faveur de deux hommes rares, Henri IV et La Fontaine. Le bon homme, voilà le nom qui lui est resté, comme on dit en parlant de Henri, le bon roi. Ces sortes de dénominations, consacrées par le temps, sont les titres les plus sûrs et les plus authentiques. Ils expriment l'opinion générale, comme les proverbes attestent l'expérience des siècles.

On a dit que La Fontaine n'avait rien inventé. Il a inventé sa manière d'écrire, et cette invention n'est pas devenue commune; elle lui est demeurée tout entière: il en a trouvé le secret et l'a gardé. Il n'a été dans son style, ni imitateur, ni imité : c'est là son mérite. Comment s'en rendre compte? Il échappe à l'analyse, qui peut faire valoir tant d'autres talents, et qui ne peut pas approcher du sien. Définit-on bien ce qui nous plalt? Peut-on discuter ce qui nous charme? Quand nous croirons avoir tout dit, le lecteur ouvrira La Fontaine, et se dira qu'il en a senti cent fois davantage; et si ce génie heureux et facile pou vait lire tout ce que nous écrivons à sa louange, peut-être nous dirait-il avec son ingénuité accoutumée : vous vous donnez bien de la peine pour expliquer comment j'ai su plaire: il m'en coùtait bien peu pour y parvenir.

Son épitaphe, faite par lui-même, suffirait pour nous en convaincre. C'est à coup sûr celle d'un homme heureux; mais qui croirait que ce fût celle d'un poète ? Ce pourrait être celle de Desyvetaux. Il partagea sa vie en deux parts, dormir et ne rien faire. Ainsi ses ouvrages n'avaient été pour lui que des rêves agréables. O l'homme heureux que celui qui, en faisant de si belles choses, croyait passer sa vie à ne rien faire!

Ce serait donc une entreprise mal entendue, que celle d'analyser ses écrits: mais heureusement c'est toujours un plaisir de s'entretenir de lui. Ne cherchons point autre chose, en nous occupant de cet écrivain enchanteur, plus fait pour être goûté avec délices que pour être admiré avec transport, à qui nul n'a ressemblé dans sa manière de raconter, de donner de l'attrait à la morale et de faire aimer le bon sens; sublime dans sa naiveté, et charmant dans sa négligence; homme modeste, qui a vécu sans éclat en produisant des chefs-d'œuvre ; homme d'une

simplicité extraordinaire, qui, sans doute, ne pouvait pas ignorer son talent, mais ne l'appréciait pas ; qui n'a jamais rien prétendu, rien envié, rien affecté; qui devait être plus relu que célébré, et obtint plus de renommée que de récompenses; et qui, peut-être, s'il était aujourd'hui témoin des honneurs qu'on lui rend tous les jours, serait étonné de sa gloire, et aurait besoin qu'on lui révélât le secret de son mérite.

A la moralité simple et nue des récits d'Esope, Phèdre joignit l'agrément de la poésie. On connaît sa pureté, sa précision, son élégance. Le livre de l'indien Pilpay n'est qu'un tissu assez embrouillé de paraboles mêlées les unes dans les autres, et surchargées d'une morale prolixe qui manque souvent de justesse et de clarté. Les peuples qui ont une littérature perfectionnée sont les seuls chez qui l'on sache faire un livre. Si jamais on est obligé d'avoir rigoureusement raison, c'est surtout lorsqu'on se propose d'instruire. Vous voulez que je cherche une leçon sous l'enveloppe allégorique dont vous la couvrez : j'y consens; mais si l'application n'y est pas très-juste, si vous n'allez pas directement à votre but, je me ris de la peine gratuite que vous avez prise, et je laisse là votre énigme qui n'a point de mot. Quand La Fontaine puise dans Pilpay, dans Aviénus et dans d'autres fabulistes moins connus, les récits qu'il emprunte, rectifiés pour le fond et la morale, et embellis de son style, forment souvent des résultats nouveaux qui suppléent chez lui le mérite de l'invention. On y remarque presque partout une raison supérieure; cet esprit, si simple et si naïf dans la narration, est très-juste et souvent même très-fin dans la pensée; car la simplicité du ton n'exclut point la finesse du sens; elle n'exclut que l'affectation de la finesse. Veut-on un exemple d'un éloge singulièrement délicat, et de l'allégorie la plus ingénieuse, lisez cette fable adressée à l'auteur du livre des Maximes, au célèbre La Rochefoucauld. Nous la citons de préférence comme étant la seule qui appartienne notoirement à La Fontaine. Quoi de plus spirituellement imaginé pour louer un livre d'une philosophie piquante, qui plait même à ceux qu'il a censurés, que de le comparer au cristal d'une eau transparente, où l'homme vain, qui craint tous les miroirs qu'il n'a jamais trouvés assez flatteurs,

aperçoit malgré lui ses traits tels qu'ils sont, dont il veut enfin s'éloigner, et vers laquelle il revient toujours? Peut-on louer avec plus d'esprit? Mais à quoi pensons-nous? Nous pardonnera-t-on de louer l'esprit dans La Fontaine? Quel homme fut jamais plus au-dessus de ce que l'on appelle l'esprit ? Oh! qu'il possédait un don plus éminent et plus précieux! cet art d'intéresser pour tout ce qu'il raconte, en paraissant s'y intéresser si véritablement; ce charme singulier qui nait de l'illusion complète où il paraît être, et que vous partagez. Il a fondé parmi les animaux des monarchies et des républiques. Il en a composé un monde nouveau, beaucoup plus moral que celui de Platon. Il y habite sans cesse ; et qui n'aimerait à y habiter avec lui? Il en a réglé les rangs, pour lesquels il a un respect profond dont il ne s'écarte jamais. Il a transporté chez eux tous les titres et tout l'appareil de nos dignités. Il donne au roi Lion un Louvre, une cour, des pairs, un sceau royal, des officiers, des courtisans, des médecins; et, quand il nous représente le loup qui daube au coucher du roi son camarade absent, le renard, il est clair qu'il a assisté au coucher, et qu'il en revient pour nous conter ce qui s'y est passé ; c'est un art inconnu à tous les fabulistes. Ce sérieux si plaisant ne l'abandonne jamais jamais il ne manque à ce qu'il doit aux puissances qu'il a établies; c'est tou jours nos seigneurs les ours, nos seigneurs les chevaux, sultan leopard, dom coursier, et les parents du loup, gros messieurs qui l'ont fait apprendre à lire. Ne voit-on pas qu'il vit avec eux, qu'il se fait leur concitoven, leur ami, leur confident? Oui, sans doute, leur ami : il les aime, il entre dans tous leurs intérêts, il met la plus grande importance à leurs débats. Ecoutez la belette et le lapin plaidant pour un terrier, est-il possible de mieux discuter une cause? Tout y est mis en usage, coutume, autorité, droit naturel, généalogie; on y invoque les dieux hospitaliers. C'est ainsi qu'il excite en nous ce rire de l'âme que ferait naitre la vue d'un enfant heureux de peu de chose, ou gravement occupé de bagatelles. Ce sentiment doux, l'un de ceux qui nous font le plus chérir l'enfance, nous fait aussi aimer La Fontaine. Ecoutez cette bonne vache se plaignant de l'ingratitude du maitre qu'elle a nourri de son lait. :

Enfin me voilà vieille : il me laisse en un coin,
Sans herbes; s'il voulait encor me laisser paître!
Mais je suis attachée; et si j'eusse eu pour maître
Un serpent, eût-il pu jamais pousser plus loin
L'ingratitude?

Est-ce qu'on ne plaint pas cette pauvre bête? N'est-ce pas là ce qu'elle dirait, si elle pouvait dire quelque chose?

La plupart de ses fables sont des scènes parfaites pour les caractères et le dialogue. Tartufe parlerait-il mieux que le chat pris dans les filets, qui conjure le rat de le délivrer, l'assurant qu'il l'aime comme ses yeux, et qu'il était sorti pour aller faire sa prière aux dieux, comme tout dévot chat en use les matins? Dans cette fable admirable des Animaux malades de la peste, quoi de plus parfait que la confession de l'ane? Comme toutes les circonstances sont faites pour atténuer sa faute qu'il semble vouloir aggraver si bonnement !

En un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.

Et ce cri qui s'élève :

Manger l'herbe d'autrui!

L'herbe d'autrui ! comment tenir à ces traits-là ? On en citerait mille de cette force. Mais il faut s'en rapporter au goût et à la mémoire de ceux qui aiment La Fontaine; et qui ne l'aime pas!....

Nous ne pouvons cependant résister au plaisir de revoir en détail quelques-unes de ses tables, et sans doute on nous le pardonnera. Nous ne sommes embarrassés que du choix; sur plus de trois cents fables qu'il a faites, il n'y en a pas dix de médiocres, et plus de deux cent cinquante sont des chefsd'œuvre. Voyons le Rat retiré du monde.

Les Levantins, en leur légende,

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Disent qu'un certain rat, las des soins d'ici-bas,

Dans un fromage de Hollande

Se retira loin du tracas.

La solitude était profonde :
S'étendant partout à la ronde,

Notre ermite nouveau subsistait la-dedans.
Il fit tant des pieds et des dents,
Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage.
Le vivre et le couvert que faut-il davantage?
Il devint gros et gras: Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font vou d'être siens.

Un jour, au dévot personnage
Les députés du peuple rat

S'en vinrent demander quelque aumône légère.
Ils allaient en terre étrangère,

Chercher quelque secours contre le peuple chat.
Ratopolis était bloquée.

On les avait contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent

De la république attaquée.

Ils demandaient fort peu, certains que le secours
Serait prêt dans quatre ou cinq jours.
Mes amis, dit le solitaire,

Les choses d'ici-bas ne me regardent plus.
En quoi peut un pauvre reclus
Vous assister? que peut-il faire,

Que de prier le ciel qu'il vous aide en ceci?
J'espère qu'il aura de vous quelque souci.
Ayant parlé de cette sorte,

Le nouveau saint ferma sa porte.

Qui désigné-je, à votre avis,
Par ce rat si peu secourable?

Un moine? non, mais un dervis.

Je suppose qu'un moine est toujours charitable.

La fin de cet apologue n'est-elle pas d'une tournure fine et délicate, qui prouve ce que nous avons avancé tout à l'heure, qu'il avait dans l'esprit une finesse d'autant plus réelle, qu'il la cache sous cette bonhomie qui était en lui habituelle? Et dans les ouvrages, comme dans la société, ceux-là ne sont pas les moins fins qui ne veulent pas le paraître. Observons encore que, pour substituer avec plus de vraisemblance un dervis à un moine, il feint d'avoir pris la fable dans la Légende des Levantins, quoique assurément il n'en soit rien. Le bon

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