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LUCAS.

>> Pourquoi toutes ces fraimes-là? à quoi est-ce que ça vous

sart?

SGANARELLE.

» Messieurs, en un mot autant qu'en deux mille, je vous dis que je ne suis point médecin.

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» Puisque vous le voulez, il faut s'y résoudre.

(Ils prennent chacun un bâton et le frappent).

SGANARELLE.

>> Ah! ah! ah! messieurs, je suis tout ce qu'il vous plaira.

VALÈRE.

» Pourquoi, monsieur, nous obligez-vous à cette violence?

LUCAS.

» A quoi bon nous bailler la peine de vous battre?

VALÈRE.

» Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde.

LUCAS.

» Par mafigué ! j'en sis fâché, franchement.

SGANARELLE.

Que diable est ceci, messieurs? De grâce, est-ce pour rire, ou si tous deux vous extravaguez, de vouloir que je sois médecin.

VALÈRE.

» Quoi ! vous ne vous rendez pas encore, et vous vous défendez d'être médecin ?

SGANARELLE.

>> Diable emporte si je le suis!

LUCAS.

» Il n'est pas vrai qu'ous sayez médecin ?

SGANARELLE.

>> Non, la peste m'étouffe! (Ils recommencent à le battre). Ah! ah! Eh bien! messieurs, oui, puisque vous le voulez, je suis médecin; apothicaire encore, si vous le trouvez bon. J'aime mieux consentir à tout que de me faire assommer.

VALÈRE.

» Ah! voilà qui va bien, monsieur; je suis ravi de vous voir raisonnable.

LUCAS.

>> Vous me boutez la joie au cœur, quand je vous vois parler

comme ça.

VALÈRE.

» Je vous demande excuse de toute mon âme.

LUCAS.

» Je vous demandons pardon de la liberté que j'avons prise.

SGANARELLE, à part,

Ouais, serait-ce bien moi qui me tromperais, et serais-je devenu médecin sans m'en être aperçu ?

VALÈRE.

» Monsieur, vous ne vous repentirez pas de nous montrer ce que vous êtes; et vous verrez assurément que vous en serez satisfait.

SGANARELLE.

» Mais, messieurs, dites-moi, ne vous trompez-vous point vous-mêmes? Est-il bien assuré que je sois médecin?

» Oui, par mafigué!

LUCAS.

SGANARELLE.

» Tout de bon ?

VALÈRE,

» Sans doute.

SGANARELLE.

» Diable emporte si je le savais?

VALÈRE.

» Comment! vous êtes le plus habile médecin du monde.

SGANARELLE.

» Ah! ah!

LUCAS.

» Un médecin qui a guéri je ne sais combien de malades.

SGANARELLE.

» Tudieu !

VALÈRE.

» Une femme était tenue pour morte il y avait six heures; elle était prête à ensevelir, lorsque avec une goutte de quelque chose vous la fites revenir et marcher d'abord par la chambre.

>> Peste !

SGANARELLE.

LUCAS.

» Un petit enfant de douze ans se laissit choir du haut d'un clocher, d'quoi il eut la tête, les jambes et les bras cassés; et vous, avec je ne sais quel cnguent, vous fites qu'aussitôt il se relevit sur ses pieds, et s'en fut jouer à la fossette.

SGANARELLE.

» Diantre !

VALÈRE.

» Enfin, monsieur, vous aurez contentement avec nous, et vous gagnerez ce que vous voudrez, en vous laissant conduire où nous prétendons vous mener.

SGANARELLE.

Je gagnerai ce que je voudrai?

VALÈRE.

» Oui.

SGANARELLE.

» Ah! je suis médecin, sans contredit. Je l'avais oublié, mais je m'en ressouviens. De quoi est-il question? où faut-il se transporter?

VALÈRE.

» Nous vous conduirons. Il est question d'aller voir une fille qui a perdu la parole.

SGANARELLE.

» Ma foi, je ne l'ai pas trouvée.

VALÈRE, bas à Lucas.

» Il aime à rire. (à Sganarelle) Allons, Monsieur,

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SCANARELLE, présentant sa bouteille à Valère.

>> Tenez cela, vous: voilà où je mets mes juleps. (puis se tournant vers Lucas en crachant): Vous, marchez là-dessus par ordonnance du médecin.

LUCAS.

Palsanguenne! v'là un médecin qui me plaît; je pense qu'il réussira, car il est bouffon. »>

DIVERS PORTRAITS DE MOLIÈRE.

Les poètes et les prosateurs ont tracé à l'envi le portrait de Molière.

Jean-Baptiste Rousseau parlant de la comédie:

De son génie éteint avec les grâces,
Il ne restait ni vestiges ni traces,
Avant qu'Armand, heureux à tout tenter,
Eût entrepris de le ressusciter.

Mais ce génie alors en son enfance,
Dans son berceau dépourvu d'assistance,
Faute d'un maître habile à l'essayer,
N'avait encore appris qu'à bégayer,
Lorsque assisté de Térence et de Plaute,
Molière vint, dont la voix ferme et haute
Lui fit d'abord, par de justes leçons,
Articuler et distinguer ses sons :
Bientôt après, sur ses avis fidèles,
S'apprivoisant avec ces grands modèles,
Et, dans leur lice instruit à s'exercer,
Il apprit d'eux l'art de les devancer.
Sous ce grand homme enfin la Comédie
Sut arriver, justement applaudie,
A ce point fixe où l'art doit aboutir,
Et dont sans risque il ne peut plus sortir.
Ce fut alors que la scène féconde
Devint l'école et le miroir du monde,
Et que chacun, loin d'en être choqué,
Fit son plaisir de s'y voir démasqué.
Là le marquis, figuré sans emblème,
Fut le premier à rire de lui-même,
Et le bourgeois apprit, sans nul regret,
A se moquer de son propre portrait.
Le sot savant, la docte extravagante,
La précieuse et la prude arrogante,
Le faux dévot, l'avare, le jaloux,
Le médecin, le malade, enfin tous,
Chez une Muse en passe-temps fertile,
Vinrent chercher un passe-temps utile.

Les beaux discours, les grands raisonnements,
Les lieux communs et les beaux sentiments,
Furent bannis de son joyeux domaine,
Et renvoyés à sa sœur Melpomène.
Bref, sur un trône au seul rire affecté,
Le rire seul eut droit d'être exalté.
C'est par cet art qu'elle charma la ville,
Et que toujours, renfermée en son style,
A la Cour même, où surtout elle plut,
Elle atteignit son véritable but.

Marmontel dans son Epitre aux Poètes :

Mais à mes yeux encor plus familière,
Plus près de moi, plus facile à saisir,
La vérité, dans les jeux de Molière,
De ses leçons sait me faire un plaisir.
Enseigne-nous où tu trouves la rime,
Lui dit Boileau, sans doute en badinant :
Est-ce donc là ce que ton art sublime,
Divin Molière, a de plus étonnant?
Enseigne-nous plutôt quel microscope,
Depuis Agnès jusqu'au fier Misanthrope,
Te dévoila les plis du cœur humain ;
Quel Dieu remit ses crayons dans ta main?
Dans tes écrits, quelle sève féconde,
Quelle chaleur, quelle ame tu répands!
La Cour, la ville, et le peuple et le monde,
Tu fais de tout une étude profonde,
Et nous rions toujours à nos dépens.
Le jaloux rit d'un sot qui lui ressemble;
Le médecin se moque de Purgon;
L'ayare pleure et sourit tout ensemble
D'avoir payé pour entendre Harpagon;
Le seul Tartufe a peu ri, ce me semble.
Moi qui n'ai point le masque d'un dévôt,
Quand la vapeur d'une bile épaissie
S'élève autour de mon âme obscurcie,
Quand de l'ennui j'ai bu le froid pavot,
Ou que la sombre et vague inquiétude
Trouble mes sens fatigués de l'étude,
J'appelle à moi Sottenville et Dandin,

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