Imágenes de página
PDF
ePub

Mais, de grâce, est-ce vous ou moi que vous aimez?
Je parais à vos yeux bien faite, belle, aimable,
Vous me cherchez; de quoi vous suis-je redevable?
Forcez-vous en cela votre inclination?

Et quand vous me parlez d'ardeur, de passion,
Si le secret penchant qui pour moi vous inspire
Ne vous attirait pas autant qu'il vous attire,
Ne trouvant rien en moi qui vous pût enflammer,
Pour mes seuls intérêts de pourriez-vous aimer?
De vos prétentions voyez l'abus extrême;

Parce que je vous plais, il faut que je vous aime,
Et je dois vous payer de la nécessité

Qui vous tient malgré vous dans mes fers arrêté.
Tâchez de les briser si leur poids vous étonne;
Sinon mon cœur est libre, attendez qu'il se donne ;
Et quoi qu'enfin pour vous sa conquête ait d'appas,
N'exigez point de lui ce qu'il ne vous doit pas.

Cette dernière tirade est pleine de mouvement; elle est d'autant plus remarquable qu'elle critique les sentiments romanesques que Thomas Corneille employa trop souvent dans ses autres pièces. Cette comédie, restée longtemps au théâtre, fut reprise pour la dernière fois aux fêtes que l'on donna lors de l'arrivée de la dauphine, femme de Louis XVI.

Thomas Corneille remplaça son illustre frère à l'Académie française il n'affecta point une douleur fastueuse; son discours de réception porta le caractère d'une tristesse qui se renferme en elle-même, et qui craint, pour ainsi dire, de diminuer en se communiquant: celui qui rend le public confident de ses regrets n'est jamais profondément affligé; en se donnant en spectacle, il cherche des ornements oratoires qui ne se concilient pas avec le véritable chagrin : ce sera, si l'on veut, un bon comédien ; mais l'illusion cessera aussitôt que le rôle sera achevé. On sent que cette réflexion ne saurait s'appliquer aux oraisons funèbres dont les auteurs remplissent un ministère sacré; elle regarde spécialement les écrivains modernes qui, étalant une sensibilité orgueilleuse, entretiennent sans cesse le lecteur de leurs affaires particulières.

Le nouvel académicien s'imposa de grands travaux : il ajouta

des notes aux remarques de Vaugelas sur la langue française; et cet ouvrage devint classique. Comme l'Académie avait décidé que les mots de sciences et d'arts n'entreraient pas dans le dictionnaire, Thomas Corneille y suppléa par un dictionnaire particulier où il donna la définition de tous ces mots. Il fit aussi un dictionnaire géographique. Ces deux derniers ouvrages, qu'il entreprit à un âge avancé, forment cinq volumes in-folio. Ce laborieux écrivain devint aveugle dans sa vieillesse ; cette infirmité ne changea point son caractère plein de douceur et d'aménité, et ne diminua point son aptitude au travail : la dernière année de sa vie, il corrigeait encore son dictionnaire géographique.

Thomas Corneille travailla longtemps, avec Visé, au Mercure galant.

Outre ses œuvres dramatiques, il a encore laissé les Métamorphoses d'Ovide, traduites en vers.

Thomas Corneille mourut à Andeli, le 9 décembre 1709, à l'âge de 84 ans.

Catherine Bernard.

Catherine Bernard, native de Rouen, parente des deux Corneille et de Fontenelle, donna deux tragédies, Laodamie et Brutus, dont on ne manqua pas d'attribuer les bons endroits à ce dernier. On lui fit surtout honneur de l'interrogatoire que Brutus fait subir à son fils, et que Voltaire n'a pas dédaigné d'imiter :

BRUTUS.

N'achève pas dans l'horreur qui m'accable,

Laisse encore douter à mon esprit confus

S'il me demeure un fils ou si je n'en ai plus.

TITUS.

Non, vous n'en avez point, etc.

Voici l'imitation :

Arrête téméraire,

De deux fils que j'aimai le Ciel m'avait fait père.
J'ai perdu l'un; que dis-je? Ah! malheureux Titus!
Parle, ai-je encore un fils?

TITUS.

Non, vous n'en avez plus.

On a de Catherine Bernard plusieurs poésies fugitives, parmi lesquelles on remarque son placet à Louis XIV, pour lui demander les 200 écus qu'il lui faisait tous les ans. Elle publia aussi trois romans, les Malheurs de l'amour, le Comte d'Amboise et Inès de Cordoue, qui sont oubliés et qui méritent de l'être. Mademoiselle Bernard mourut en 1712.

Campistron.

Jean Gilbert Campistron naquit à Toulouse, en 1656. Il paraît que sa jeunesse fut très-orageuse. Après avoir obtenu de grands succès dans ses études, il témoigna pour les fonctions d'un état sérieux cette indifférence qui n'est que trop commune parmi les jeunes gens. Des passions violentes se développèrent de bonne heure dans le cœur de Campistron: à seize ans, il aimait éperdûment une demoiselle de Toulouse, qu'il voulait épouser, et il se battit pour elle. Il eut à combattre un rival moins impétueux, mais plus exercé que lui aussi fut-il dangereusement blessé.

:

Les suites de cette affaire, la passion des vers, l'ambition de déployer ses talents sur un grand théâtre, le décidèrent à venir à Paris. Il fréquenta beaucoup les spectacles, et il se lia bientôt d'amitié avec plusieurs comédiens. Le célèbre Raisin fut celui qui lui témoigna le plus d'intérêt sa femme, jeune et belle, n'avait pas encore une grande réputation dans la tragédie; Campistron lui donna les principaux rôles de ses pièces, et contribua à la faire.connaitre avantageusement du public. L'amitié du poète et du comédien devint si forte, qu'ils ne purent plus vivre séparés, et que Campistron, s'établit dans la maison de Raisin. Ce comédien, doué d'un caractère aimable et enjoué, recevait beaucoup de monde, et procura à son ami des connaissances utiles.

La tragédie de Virginie, qui fut le coup d'essai de Campistron, n'eut pas un grand succès; mais elle annonça dans le poète un esprit juste, quelque entente de la scène, et surtout

un dessein très-marqué d'imiter Racine. On espéra que son style, faible et sans couleur, pourrait se former par le travail. Telles furent les causes des encouragements que reçut Campis

tron.

La tragédie d'Arminius, qui suivit immédiatement Virginie, lui est très-supérieure; quoique le style offrit encore fréquemment les mêmes défauts, on admira une intrigue bien conçue, bien conduite, et bien dénouée, et l'on remarqua des progrès dans l'art de peindre et de soutenir les caractères. D'après les conseils de Raisin, Campistron dédia cette pièce à la duchesse de Bouillon, qui fut très-flattée d'une épitre en vers que lui adressa le poète. La même tragédie procura à Campistron l'honneur d'être présenté au prince de Conti, qui, malheureusement pour le poète, mourut deux ans après de la petite vérole. Ces protections puissantes ne tirèrent pas l'auteur de l'espèce de détresse qui le forçait à recevoir des secours de Raisin.

L'occasion d'une fête que le duc de Vendôme voulait donner, et la recommandation de Racine, changèrent entièrement la fortune de Campistron. Le duc avait prié Racine de composer un divertissement pour M. le Dauphin; ce grand poète, qui commençait à fuir le monde, offrit ses excuses, et proposa Campistron comme celui qui lui paraissait le plus propre à le suppléer. L'auteur d'Arminius justifia, sous plusieurs rapports, l'opinion de Racine; et l'opéra d'Acis et Galatée fut, comme le disent les historiens du Théâtre français, l'un des plus beaux ornements de cette superbe fête. Le duc de Vendôme, pour témoigner sa reconnaissance à Campistron, lui envoya cent louis le poète, soit par un point d'honneur bien estimable dans un homme qui manquait de tout, soit par l'espoir d'obtenir une récompense plus digne de lui, refusa cette gratification pécuniaire. Le duc, étonné de ce désintéressement, attacha Campistron à sa personne, et lui donna la place de secrétaire de ses commandements. Les fonctions de cette place étaient peu laborieuses; et le poète, dont le principal emploi était de partager les plaisirs du prince, et de les rendre plus piquants par les grâces de son esprit, ne s'occupait que rarement de choses sérieuses. Un trait de courage augmenta l'estime que le duc

avait pour lui : à la bataille de Steinkerque, dans un moment où le prince, chargeant lui-même, faisait des prodiges de valeur, où le feu était très-vif, et le danger extrême, Vendôme fut très-étonné de voir Campistron à côté de lui : « Que faites-vous ici, Campistron? lui dit-il. Monseigneur, lui répond froidement le poète, voulez-vous vous en aller?» Le duc fit quelque temps après donner à Campistron le marquisat de Penango dans le Montferrat; et Philippe V ayant été instruit qu'il s'était conduit avec autant de courage à Luzzara, le nomma sur le champ de bataille chevalier de l'ordre de Saint-Jacques de l'épée, dont la princesse des Ursins lui procura dans la suite une commanderie.

Reprenons la suite des travaux littéraires de Campistron. Achille et Alcide, opéras, n'eurent aucun succès. Le dernier donna lieu à cette épigramme:

A force de forger on devient forgeron;

Il n'en est pas ainsi du pauvre Campistron;

Au lieu d'avancer il recule :
Voyez Hercule.

La comédie de l'Amante Amant fut représentée la même année qu'Arminius elle annonça dans l'auteur un talent marqué pour ce genre, et fut un heureux présage qui se trouva réalisé lorsque Campistron donna le Jaloux, pièce restée au théâtre. La nouvelle de D. Carlos, par l'abbé de Saint-Réal, faisait alors une grande sensation : Campistron voulut traiter ce sujet; mais des ordres secrets l'obligèrent à dépayser ce trait historique, et à changer les noms des personnages. La tragédie d'Andronic, qui est considérée comme la meilleure de Campistron, retrace les intrigues secrètes de la cour de Philippe II.

Lorsqu'un poète dramatique est obligé de traiter, sous des noms supposés, un sujet déjà connu, il perd un grand nombre d'avantages; il ne peut employer les couleurs locales que lui présentent l'époque à laquelle l'action s'est passée, les mœurs du peuple qui en a été le témoin, les caractères de ceux qui y ont pris part, et les circonstances particulières qui l'ont accompagnée; sa fable est dépourvue d'une partie de son intérêt; les développements en deviennent vagues et peu atta

« AnteriorContinuar »