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note criarde au milieu d'un tou grave, nous avertit que Ronsard forçait son instrument. Une pompease description du Dieu vainqueur de l'Inde, par exemple, se terminera par ce trait :

Ses yeux étincelaient tout ainsi que chandelles.

Au lieu de remuer l'Olympe d'un froncement de sourcil, Jupiter n'aura qu'à secouer sa perruque. Le soleil lui-même, à la crinière d'or, sera l'astre perruqué de lumière. L'hiver enfarinera les champs, et un héros menacera son rival de lui escarbouiller la tête. Voilà ce qui nous choque à tout instant, mais ce qui ne choquait point sans doute les contemporains de Ronsard; il faut convenir qu'en semblable matière chaque siècle est un juge aussi compétent de ses propres goûts que la postérité ("). La noblesse des mots dans le style, comme celle des noms propres dans la société, est

(") Pour mettre à couvert notre responsabilité sur ce chapitre un peu paradoxal, on bous permettra d'alléguer deux témoignages, assez divers, qui s'accordent tout à fait avec notre opinon. Suard (lequel peut-être ici n'est autre que Mademoiselle de Meulau) dit en son Histoire du Théâtre Français:

• Garnier se sert quelquefois d'expressions qui peuvent nous paraître singulières. Par exemple il appelle le soleil le Dieu perruquier, c'est à dire le Dieu porte perruque, ce qui signifie simplement, dans le langage du temps, le Dieu chevelu, le mot perruque s'employant toujours alors pour chevelure, et les poètes de ces premiers ages pariant aussi souvent de la perruque d'Apollon que les nôtres de sa chevelure dorée. Hecube dit aussi en parlant de la manière dont Pyrrhus tua Priam :

Le bonhomme il tira par sa perruque grise

et perruque grise équivaut ici aux cheveux blancs, expression aussi noble qu'usitée. Mais qui s'en douterait? Il est fort simple aussi qu'on soit assez peu touché de cette image qui présente Phédre lorsque, dans les transports de sa passion, elle se peint Hippolyte.

Dégoutant de sueur et d'une honnête crasse.

Mais crasse était alors synonyme de poussière, et l'honnéte crasse n'est autre chose que la noble poussière de Racine.

Un personnage de Hardy, une femme, en se plaignant de l'insensibilité de celui qu'elle aime, lui dit qu'il a fait un fourneau de son cœur, un égout de ses yeux. C'est encore la Marianne de Hardy qui déclare qu'elle est pressée de mourir pour se trouver beourgeoise de l'éternel empire. Hardy emploie quelquefois aussi le mot d'estomac au lieu de cœur. Ce qui fait un plaisant effet dans ce vers que prononce, dans sa Chariclée, un chœur d'Ethiopiens pleurants :

Sa prière fendroit l'estomac d'une roche.

Mais c'est peut-être encore ici l'occasion de remarquer que tel mot, qui a pris pour Lous une ruance de ridicule en raison des idées et des images accessoires dont Lous l'avons environné, pouvait fort bien, il y a deux siècles, se présenter d'une tout autre manière à des esprits moins avancés dans la civilisation, et moins accoutumés par conséquent à joindre à la signification naturelle des mots et à l'image des choses en elles-mêmes ces attributs étrangers qu'elles doivent toujours aux combinaisons de la société. C'est nécessairement par l'effet de quelques-unes de ces combinaisons qu'on dit le cœr d'une roche, au lieu de l'estomac d'une roche, ce qui serait bien aussi naturel, et l'on ne voit pas pourquoi l'estomac de la cheminée ne vaudrait pas autant que le cœur de la cheminée. Si le mot d'égout, qui s'applique également

fille de l'opinion: il suffit qu'on y croie pour qu'elle existe; si, au XVIe siècle, chandelle n'avait rien de plus vulgaire que lumière ou flambeau; si enfariner ne présentait pas une idée plus ignoble que balayer, dont la haute poésie se sert encore, si perruque en ces temps respectables ne signifiait qu'une majestueuse chevelure, et, à l'anachronisme près, ne compromettait pas plus la divinité de Jupiter et du soleil qu'elle n'a compromis plus tard celle de Louis XIV (*), sommes-nous en droit de nier que Ronsard ait été de son temps réellement sérieux et sublime, et, tout en cessant de le goûter et de le lire, pouvons-nous lui reprocher autre chose que le malheur d'être venu trop tôt et le tort d'avoir marché trop vite? Un vocabulaire de choix n'existait pas en France : Ronsard en eut besoin et se mit à l'improviser. I créa des mots nouveaux, en rajeunit d'anciens; aux Latins, aux Grecs, il emprunta quelques expressions composées, quoiqu'il le fit

à tout écoulement d'eaux, ne nous offre plus, dans le langage ordinaire, que l'image dégoûtante d'un réservoir destiné à délivrer les villes de leurs plus sales immondices, ce n'est pas la faute de Hardy, qui, écrivant dans un temps où la signification de ce mot était moins restreinte, pouvait l'employer comme nous employons habituellement celui de ruisseau, qui pourra passer d'usage à son tour: Car si on vient à le borner, comme on a fait de celui d'égout, à signifier exclusivement les écoulements des rues de Paris, il ne sera pas plus permis de verser des ruisseaux de larmes que de faire de ses yeux un égout. C'est peut-être pour cela que les torrents de larmes commencent à remplacer les ruisseaux, dont on se servait beaucoup plus autrefois..

On lit dans une lettre de l'abbé Galiani à madame d'Epinay le passage suivant, dont la tournure peut paraître irrévérente, mais dont la justesse me semble incontestable (il s'agit de commentaires sur Corneille) :

Du mérite d'un homme, il n'y a que son siècle qui ait droit d'en juger; mais un siècle a droit de juger d'un autre siècle. Si Voltaire a jugé l'homme Corneille, il est absurdement envieux; s'il a jugé le siècle de Corneille, et le degré de l'art dramatique d'alors, il le peut, et notre siècle a le droit d'examiner le goût des siècles précédents. Je n'ai jamais lu les notes de Voltaire sur Corneille, ni voulu les lire, malgré qu'elles me crevassent les yeux sur toutes les cheminées de Paris, lorsqu'elles parurent; mais il m'a fallu ouvrir le livre deux ou trois fois, au moins par distraction, et toutes les fois je l'ai jeté par indignation, parce que je suis tombé sur des notes grammaticales qui m'apprenaient qu'un mot ou une phrase de Corneille n'était pas en bon français. Ceci m'a paru aussi absurde que si on m'apprenait que Cicéron et Virgile, quoique Italiens, n'écrivirent pas en aussi bon italien que Boccace et l'Arosite. Quelle impertinence! Tous les siècles et tous les pays ont leur langue vivante, et toutes sont également bonnes. Chacun écrit la sienne. (Note de M. Sainte-Beuve.)

D

(*) Il faut en dire autant de ces noms vulgaires de Toinon, Margot, Cassandre, Madelon, dont Ronsard et ses amis se servent dans leurs poésies bucoliques on érotiques. On peut affirmer que si ces noms avaient paru alors du même ridicule qu'aujour d'hui, des hommes d'esprit et de sens n'auraient pas même songé à les employer. Il est si vrai d'ailleurs que Ronsard était regardé comme un modèle de style qu'on disait proverbialement : Donner un soufflet à Ronsard pour indiquer une faute contre la pureté du langage.

avec plus de discrétion qu'on ne semble le croire (**). Aux vieux romans français, aux patois picard, wallon, manceau, lyonnais, limousin, ainsi qu'à divers arts et métiers, tels que la vénerie, la fauconnerie, la marine, l'orfèvrerie, etc., etc., il prit sans hésiter les termes qui lui parurent de bon aloi; et quant à ceux déjà en usage parmi le peuple, il tâcha de les relever par des alliances nouvelles. Le système était conçu en grand, et le succès qu'il obtint nous prouve qu'il fut habilement exécuté. Tout ce qu'il y avait de gens éclairés l'accueillirent, l'exaltèrent; il semblait que la langue française eût retrouvé ses titres, et qu'elle ne cédât plus à aucune autre le droit de préséance. Il se glissait dans la joie du triomphe quelque chose de l'enivrement d'un parvenu et de la morgue d'un anobli. (M Sainte-Beuve).

Par malheur, Ronsard luttait contre l'impossible. Les langues ne se font pas en un jour. Ce sont des terrains d'alluvion créés

(*) Il y a des vocables, disait Ronsard. qui sont françois naturels, qui sentent le vieux, mais le libre et le françois (et il en cite quelques-uns, par exemple bouger). Je vous recommande par testament que vous ne laissiez point perdre ces vieux termes, que vous les employiez et défendiez hardiment contre des marauds qui ne bescent pas élégant ce qui n'est point écorché du latin et de l'italien, et qui ament mieux dire collauder, contemner, blasonner, que louer, mépriser, blâmer: But cela est pour l'écolier limousin. Voilà les propres termes de Ronsard. Henri Estienne, dans sa Précellence du langage françois, dans ses Dialogues du nutrau langage françois italianisé, où il s'élève contre cette manie d'innovation, De l'impute jamais à Ronsard, non plus qu'à Des Portes ni aux excellents poètes du temps; il les propose au contraire en exemple et les loue de leur modération.

Nous reconnaissons néanmoins que Ronsard a dans ses vers des expressions composées très malheureuses. Pour lui géants sont serpent-pieds, les centaures dompte-poulains, les poètes mâche-lauriers; il se plaint d'être maltraité d'une personne qui l'attache, dit-il, avec des clous de fer so s le froid de sa glace; au lieu d'endurcir un cœur, de Tenflammer ou de le glacer, il se plait à l'empierrer, l'enfeuer on le renglacer; il Domme l'amour un fusil de toute rage, le temps un vilain mangeard, et ces troupes d'esclaves que les Oriantaux consacrent à la garde de leurs sérails, des hommesfemmes-troupeaux. Voici un passage où le pédantisme passe toutes les bornes ; Ronsard laisse échapper le grec tout pur: 0 Bacchus, s'écrie -t-il.

O cuisse-né; Archète, Hyménéen,
Bassare, roi, Rustique, Euboléon,
Nyctélien, Trigone, Solitaire,

Vengeur, Manie, germe des dieux et père,

Notien, double, hospitalier,

Beaucoup-forme, premier-dernier,

Leneau, porte-sceptre, Grandime,

Lysien, Baleur, Bonime.

Nourri-vigne, Aime-pampre, enfant,

Le Gange te vit triomphant!

On serait tenté de croire que cette risible compilation mythologique n'est qu'une plaisanterie du poète, un tour de force pour critiquer les abus de son système. Il est permis du moins de penser que s'il l'a fatte sérieusement, il en a plus tard senti le ridicule. C'est ce que prouvent les paroles si pleines de modération que nous avons citées plus haut.

par le temps, de hautes pyramides auxquelles chaque jour apporte sa pierre en passaut. Le peuple français en grandissant se fit à lui-même sa langue; en ennoblissant ses idées, comme le prescrivait Ronsard, il ennoblit progressivement leur expression; et cinquante ans plus tard, la tige populaire de Marot s'épanouissait naturellement sous la main de Malherbe, à côté des fleurs artificielles de Ronsard, déjà ternies et poudreuses.

Une seule chose aurait pu consolider sa révolution grammaticale: une œuvre immortelle qui, comme celle de Dante, eût fait vivre sa langue avec ses idées. Ronsard le comprit et essaya de l'accomplir. Il introduisit en France toutes les formes de la poésie antique, et au premier rang l'ode et l'épopée. Malheureusement il porta dans ces œuvres le même principe d'imitation que dans les innovations linguistiques, et ce système se trouva encore plus faux ici. Il créa ses poèmes comme Dieu créa l'homme : il fit en premier lieu le corps, se réservant d'y souffler ensuite une âme vivante. Ce n'est pas ainsi que procède la vraie poésie: elle produit un germe vivant qui rayonne au dehors et projette lui-même sa forme. Les odes de Ronsard ressemblent à ses panoplies de nos musées qui présentent à nos yeux l'armure complète d'un héros antique: casque, cuirasse, brassards, bouclier, rien n'y manque, que le guerrier qui doit s'en revêtir. Le sentiment se glace par cette inquiète imitation des grands maîtres Il faut à Ronsard, non pas un modèle, mais un calque dont il puisse suivre scrupuleusement les lignes. Sa pensée même la plus vraie, au lieu de suivre sa pente naturelle et de se creuser un lit sinueux, s'emprisonne dans le marbre antique où jaillissaient autrefois les eaux d'Horace et de Virgile. Imiter ainsi les anciens c'est un moyen sûr de ne pas leur ressembler.

Je rirais, dit La Bruyère, d'un homme qui voudrait sérieusement parler mon ton de yoix, ou me ressembler de visage. › Ronsard, épris de l'antiquité, voulut faire table rase des inœurs, des croyances, des sentiments modernes; il entreprit de faire passer de nouveau tout un siècle, toute une littérature, tout un ensemble de traditions à cet Olympe resplendissant et sensuel du paganisme. C'était jeter à une nation un défi trop au

dacieux. Un peuple peut à toute force apprendre une langue nouvelle, eucore avec quelle lenteur! Il ne saurait changer de mœurs, d'histoire et de climat.

Le génie de Ronsard l'eût mieux servi que tous ces larcins, que cet attirail latin, grec, espagnol, italien, que ces dépouilles de Platon, d'Ovide, de Bembo, de Virgile, de Pétrarque. Sous la confusion des trophées dont il se pare, il ressemble à ces acteurs grecs dont Lucien se moque, et qui, chargeant leur petite taille d'une peau de lion gigantesque, étouffés sous ce costume héroïque, traduisaient en ridicule le demi-dieu qu'ils voulaient représenter. (M. P. Chastes, Etudes sur le XVIe siècle.) Il y avait done quelque chose de factice dans la tentative de Ronsard, dans cet essai de greffer violemment la littérature antique sur la littérature française.

Ce n'est pas ainsi qu'il fallait imiter les chefs-d'œuvre de l'antiquité. La littérature ancienne, grecque ou latine, n'est pas seulement l'expression d'un peuple, latin ou grec; elle est le reflet et le développement de l'humanité; elle n'en représente pas seulement la partie changeante et relative, elle en donne encore la nature absolue et éternelle; à côté de l'intérêt contemporain et individuel, se trouve l'intérêt général qui seul fait vivre les productions de l'art. Au seizième siècle, la poésie déroba à l'antiquité des mots et des images, des coupes, toute cette partie périssable, toutes ces formes brillantes et éphémères qui couvrent et embellissent le génie d'un peuple et ne le constituent pas. Ce qu'il fallait enlever aux anciens, ce ne sont pas des épithètes, mais des idées, ni des souvenirs mythologiques, mais le secret et la peinture de la nature humaine. Voilà les dépouilles dont il fallait orner ses temples et ses autels, les trésors que l'on devait enlever du temp'e delphique; ou plutôt, dans le temple delphique, dans le sanctuaire de l'antiquité, on ne devait chercher que la présence et l'inspiration du dieu. Ronsard s'y méprit. I fit ce qu'avaient fait les poètes de Rome; il pilla les auteurs grecs ; il en traduisit les mots et non le génie. Son premier tort et sa faute irréparable, ce fut de méconnaître la nature de notre langue, et de la vouloir forcer; de la faire passer brusquement, elle

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