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Et plus que l'air marin la douceur angevine.

Qu'est-ce donc qui provoquait ses plaintes? Il faut souvent peu de chose pour affliger les poètes, comme il faut peu de chose pour les consoler; un rien les relève, un rien les abat. Du Bellay n'avait pas trouvé près du cardinal des occupations aussi riantes qu'il avait espéré; il lui fallait mener une vie toute prosaïque, ou du moins faire passer les affaires avant la poésie; voilà ce qui faisait le sujet de sa douleur; il s'en explique ainsi à son ami Panias :

Panias, veulx-tu sçavoir quels sont mes passe temps?

Je songe au lendemain, j'ay soing de la despence
Qui se fait chacun jour, et si fault que je pence
A rendre sans argent cent créditeurs contents.
Je vais, je viens, je cours, je ne perds point de temps,
Je courtise un banquier, et prens argent d'avance;
Quand j'ay despencé l'un, un autre recommence,
Et ne fais pas le quart de ce que je prétends.

Qui me présente un compte, une lettre, un mémoire,
Qni me dit que demain est jour de consistoire,
Qui me rompt le cerveau de cent propos divers,
Qui se plaint, qui se deult, qui murmure, qui crie:
Avec tout cela, dy, Panias, je te prie,

Ne t'esbahis-tu point comment je fais des vers?

Parmi les autres poésies que nous avons de Du Bellay, on peut citer encore la Musagnaomachie, ou Combat des Muses et de l'Ignorance, ouvrage de peu de mérite; le Recueil de poésie présenté à madame Marguerite sœur unique du roy; ses Divers poèmes partie inventions, partie traductions. Ses Odes, sans valoir ses sonnets, méritent d'être mentionnées. Voici quelques passages de celle qu'il adresse à Salmon Macrin, sur la mort de sa Gelonis.

La rose journalière
Mesure son vermeil
A l'ardente carière

Du renaissant soleil

L'an, qui en soy retourne,

Court en infinité :

Rien ferme ne séjourne
Que la divinité.

Cuides-tu par ta plainte
Soulever un tombeau,
Et d'une vie esteinte
R'allumer le flambeau?

Il faut que chacun passe
En l'éternelle nuict :

La mort qui nous menasse,
Comme l'ombre nous suit.

Le temps, qui toujours vire,
Riant de nos ennuis,

Bande son arc qui tire

Et noz jours, et noz nuictz.

Ses flèches empennées
Des siècles révolus
Emportent nos années

Qui ne retournent plus.

Plusieurs de ces strophes sont très belles, et il n'est pas impossible qu'elles aient inspiré Malherbe dans ses stances à Duperrier.

On a souvent cité, et il faut citer encore, comme un modèle de grâce et de légèreté, la villanelle du vanneur de blé s'adressant aux vents:

A vous troupe légère,
Qui d'aile passagère
Par le monde volez,

Et d'un sifflant murmure
L'ombrageuse verdure
Doucement ébranlez.

J'offre ces violettes,
Ces lis et ces fleurettes

Et ces roses ici,

Ces vermeillettes roses

Tout fraîchement écloses,
Et ces œillets aussi.

De votre douce haleine
Eventez cette plaine,

Eventez ce séjour,
Cependant que j'ahanne

A mon bled que je vanne,
A la chaleur du jour.

Quel charme inexprimable dans ce chant qui caresse l'oreille et qui rafraîchit le visage comme la brise à travers les feux dn jour! Ce poète si gracieux et si touchant sait aussi, dans l'occasion, prendre et soutenir un ton élevé. Dans son Ode sur la Vertu il s'écrie:

L'homme vertueux est riche.
Si sa terre tombe en friche,
Il en porte peu d'ennui :
Car la plus grande richesse,
Dont les dieux lui font largesse,
Est toujours avecque lui.

Il est noble, il est illustre,
Et il n'emprunte son lustre
D'une vitre ou d'un tombeau,
Ou d'une image enfumée,
Dont la face consumée
Rechigne dans un tableau.

S'il n'est due, ou s'il n'est prince
D'une ou d'une antre province;
Si est-il roi de son cœur,

Et de son coeur estre maistre
C'est plus grand'chose que d'estre
De tout le monde vainqueur..

Que me sert-il que j'embrasse
Pétrarque, Virgile, Horace,
Ovide et tant de secrets,

Tant de Dieux, tants de miracles,

Tant de monstres et d'oracles
Que nous ont forgé les Grecs :

Si pendant que ces beaux songes
M'appastent de leurs mensonges,
L'an qui retourne souvent,
Sur les ailes empennées

De mes meilleures années,
M'emporte avecqne le vent?
Que me sert-il que je suive
Les princes et que je vive
Aveugle, muet et sourd,
Si, après tant de services,
Je n'y gagne que les vices
Et le bonjour de la cour?

Dans celle sur l'immortalité :

L'un aux clameurs du palais s'étudie;
L'autre le vent de la faveur mendie :

Mais moi, que les grâces chérissent,
Je hais les biens que l'on adore ;
Je hais les honneurs qui périssent
Et le soin qui les cœurs dévore:
Rien ne me plaît, fors ce qui peut déplaire
Au jugement du rude populaire.

Mais c'est surtout par la grâce et la douceur qu'il paraît exceller, ainsi que l'avaient bien senti ses contemporains en le surnommant l'Ovide françois. L'éloge qu'il donne quelque part à un poète de ses amis s'applique tout à fait à lui-même :

L'amour se nourrit de pleurs,

Et les abeilles de fleurs;
Les prés aiment la rosée,
Phoebus aime les neuf Suurs,
Et nous aimons les douceurs
Dont la Muse est arrousée.

Dans plusieurs épîtres de Du Bellay, dans l'Hymne à la surdité et le Poèle courtisan, l'alexandrin est manié avec la gravité et surtout l'aisance qu'il avait durant ces premiers temps de rénovation. Malherbe ne lui avait pas encore imposé, comme loi de sa marche, le double repos invariable du milieu et de la fin du vers. Si le mouvement de la pensée était plus fort, la césure, obéissante et mobile, se déplaçait; et, bien qu'elle ne disparut jamais complètement après le premier hémistiche, elle ne faisait dans ce cas qu'y glisser en courant, y laisser un vestige d'elle-même, et s'en allait tomber et peser ailleurs selon

au

les inflexions du sens et du sentiment. La rime aussi, au lieu d'être un signal d'arrêt et de souner la halte, intervenait souvent dans le cours d'un sens à peine commencé, et alors, loin de l'interrompre, l'accélérait plutôt en l'accompagnant d'un son large et plein. Cet alexandrin primitif, à la césure variable, libre enjambement, à la rime riche, qui fut d'habitude celui de Du Bellay, de Ronsard, de D'Aubigné, de Regnier, celui de Molière dans ses comédies en vers, et de Racine en ses Plaideurs, que Malherbe et Boileau eurent le tort de mal comprendre et de toujours combattre, qu'André Chénier, à la fin du dernier siècle, recréa avec une incroyable audace et un bonheur inouï ; cet alexandrin est le même que la jeune école de poésie affectionne et cultive, et que tout récemment Victor Hugo par son Cromwell, Emile Deschamps et Alfred de Vigny par leur traduction en vers de Roméo et Juliette, ont visé à réintroduire dans le style dramatique. Nos vieux poètes ne s'en sont guère servis que pour l'épitre et la satire, mais ils en ont connu les ressources infinies et saisi toutes les beautés franches. On est heureux, en les lisant, de voir à chaque pas se confirmer victorieusement une tentative d'hier, et de la trouver si évidemment conforme à l'esprit et aux origines de notre versification.

Le Poète courtisan de Du Bellay est remarquable encore à d'autres égards; on peut considérer cette pièce comme une de nos premières et de nos meilleures satires régulières ou classiques. Elle est dirigée contre les poètes de cour, qui en voulaient à l'érudition de leurs jeunes rivaux et les traitaient de pédants. Du Bellay raiile la fatuité et l'ignorance de ces beaux esprits qui ne savent que flatter les grands seigneurs et les grandes dames; il les représente avec leur léger bagage poétique, un sonnet, un dizain, un rondeau bien troussé, ou bien une ballade (du temps qu'elle couroit), débitant mystérieusement leurs petits vers de ruelle en ruelle, déchirant sans pitié toute œuvre étrangère à leur coterie, et se gardant de rien publier eux-mêmes, de peur de représailles.

Dans l'Hymne à la surdité, le poète se félicite d'être devenu sourd comme Ronsard :

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