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tait montrer peu de discernement que de proposer en modèle cette froide allégorie. Le coq-à-l'âne, en devenant salire, changeait de nom plutôt que de nature, et l'on ne faisait que récuser, comme parrain du genre, Marot, qui, pour des Français, était aussi compétent que Thespis. A quel propos encore repousser la chanson et lui défendre de fleurir à distance respectueuse de l'ode? La tragédie nous manquait, sans doute; mais la farce était par moment de la bonne et franche comédie : comme étude dramatique, Palelin et quelques chapitres de Rabelais valaient bien l'Andrienne.

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L'épigramme, l'élégie, l'églogue, le sonnet, la satire et l'étude des chefs-d'œuvre anciens appartenaient déjà à Marot, à Saint-Gelais, et à leur école restait à Du Bellay l'honneur de proposer l'ode pindarique, la comédie et la tragédie grecques, aussi bien que le poème épique. Mais l'exécution a montré que lui et ses amis ont en cela méconnu et forcé le génie de leur époque. Ne trouvant point en France de vocabulaire poétique tout fait, ni même assez d'éléments dont on pût le composer à leur guise, ils se sont mis à exploiter en grammairiens le grec, le latin et l'italien; manœuvres avant d'être architectes, ce n'est qu'après la fatigue de ces doctes préliminaires qu'ils ont abordé la poésie. Surtout ils out évité d'en faire une chose accessible et populaire : Odi profanum vulgus était leur devise, et elle contrastait d'une manière presque ridicule avec la prétention qu'ils affichaient de fonder une littérature nationale; alors qu'on se moquait des vénérables druides et des recéleurs de mystėres, il convenait mal de les imiter. Qu'est-il donc advenu, que de vait il advenir de cette langue savante, construite sur la langue populaire? La langue populaire a fait un pas, et tout l'échafaudage de la langue savante a croulé. L'accident était soudain; et, comme le sublime désappointé touche au grotesque, un long rire a éclaté comme à une chute de tréteaux.

Pour nous, qui venons plus tard, une disposition plus sérieuse et plus équitable dirigera notre examen, et, la part une fois faite à la sévérité, nous reconnaîtrons que l'erreur de Du Bellay et de Ronsard n'a pas été une erreur vulgaire, qu'elle suppose une rare vigueur de talent, de longues veilles, un dévouement pro

fond, une pure et sainte conception de la poésie. Nous compa tirons à ces nobles cœurs qui se débattaient contre une langue rebelle à leur pensée; et les victimes enchaînées sous l'écorce des arbres dans la forêt enchantée du Tasse nous donneront l'idée du supplice qu'ils durent subir. Tant d'efforts, après tout, n'ont pu rester sans effets. La langue y a gagné une foule de mots et de tours dont jusque là elle n'avait pas ressenti le besoin, et dont plus tard elle s'est heureusement prévalue. Si l'importation a été parfois violente et capricieuse, comme dans une sorte de seconde invasion romaine, elle a laissé du moins de ces traces récentes et vives, telles qu'on en retrouve encore tout à nu dans le grand Corneille. De plus il faut songer que les innovations même les plus légitimes ne s'accomplissent jamais à l'amiable; en toute réforme on n'obtient que peu, quoiqu'on réclame beaucoup; ce qui semble un appareil superflu d'efforts n'est souvent que l'instrument nécessaire du moindre succès; et peut-être, pour reprendre une image déjà employée, peutêtre l'échafaudage fastueux dressé par Ronsard et abattu par Malherbe, n'avait-il rien que de strictement indispensable à la construction de l'édifice régulier qui l'a remplacé. (M. Sainte Revue, Poésie française au XVIe siècle.)

Joachim Du Bellay.

Mais avant d'aborder Ronsard, qui fut le grand artisau de la réforme poétique, arrêtons-nous à Du Bellay, qui l'avait prê chée avec tant de zèle et qui la pratiqua avec un vrai succès. Il tint en partie les promesses de son Illustration de la Langue françoise, et se garda de la plupart des excès où tombèrent ses contemporains. Des images, de l'énergie, de la dignité, du sentiment, telles sont les qualités jusque là inconnues qu'on distingue en lui quelquefois et dont les vestiges révèlent un poète. Son mauvais goût n'est guère pire que celui de Saint-Gelais; s'il lui arrive souvent de pétrarquiser, comme on le disait alors, du moins il ne pindarise pas; sa facilité le sauve de l'enflure pédantesque. Lui-même nous apprend que ses amis mettent ses chansons à côté de celles de Ronsard, et qu'ils en donnent pour raison :

Que l'un est plus facile et l'autre plus savant.

Joachim Du Bellay ne sembla pas d'abord destiné à s'occuper de poésie. Né vers 1524 à Liré en Anjou, d'une famille illustre, il se trouva de bonne heure orphelin. Il fut confié à la tutelle de René Du Bellay son frère aîné, qui ne prit aucun soin de son éducation. Celui-ci étant venu à mourir Joachim devint tuteur de son neveu. Le fils suivit bientôt le père. Nouveaux embarras pour Joachim Du Bellay: il trouva une maison ruinée qu'il fallait relever, des procès commencés qu'il fallait poursuivre; il s'occupa si ardemment de toutes ces affaires qu'il en perdit la santé et fut obligé de prendre du repos. Cette circonstance décida sa vocation; il consacra ses loisirs à la lecture des poètes grecs, latius et français, et bientôt il se mit à les imiter. Toutefois, son goût le portait plus particulièrement encore vers la poésie italienne, et c'est à l'imitation de Pétrarque qu'il a composé son premier ouvrage intitulé l'Olive (anagramme de Viole, Bom véritable de la personne qui en est l'objet). Cet ouvrage Se divise en cent quinze sonnets si beaux, selon Guillaume Colletet, que de tout ce grand nombre de sonnets divers qui parurent dans le XVIe siècle, ceux de notre poète sont les seuls qui aient forcé le temps. > On trouve en effet dans l'Olive quelques vers charmants, tels que ceux-ci :

De ton printemps les fleurettes seichées
Seront un jour de leur tige arrachées,

Non la vertu, l'esprit et la raison.

Elle renferme des souvenirs heureux de l'antiquité qui, sous leur nouveau costume, n'ont presque rien perdu de leur grâce; et quant à l'imitation italienne, Du Bellay en était assez content pour dire à Ronsard :

Par moy les grâces divines

Ont faict sonner assez bien

Sur les rives angevines

Le sonnet italien.

C'est dans l'Olive qu'on trouve ce vers pittoresque, dont Marot

ne se fût jamais avisé :

Du cep lascif les longs embrassements.

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Ce n'est pourtant pas dans cet ouvrage que se montre le talent sérieux de Du Bellay. Ces descriptions communes, ce luxe stérile, ces mots que la rime appelle bien plus que le sens, et surtout cette afliction copiée, ces désespoirs de commande, ces larmes où le cœur n'a point de part, tout cela ne constitue pas un poète.

Fontaine critique spirituellement l'Olive de Du Bellay dans le Quintil Horatian:

Tu es trop battologic, qui en quatre feuilles de papier repètes plus de cinquante fois ciel et cieux, tellement que tu peux sembler tout célestin. Semblablement tu redis souvent mêmes choses et paroles, comme armées, ramées, oiseaux, des eaux, fontaines vives et leurs rives, bois, abois, Orient, Arabie, perles, vignes, ormes, et telles paroles et choses par trop souvent redites en même et petit œuvre, et quasi en même forme, qui témoignent, ou affectation ou pauvreté. ›

Heureusement Du Bellay trouva l'occasion de se faire mieux connaître, et d'exprimer ses propres sentiments sans recourir à un langage d'emprunt. En 1547, le cardinal Jean Du Bellay, son proche parent, s'était retiré à Rome; Joachim Du Bellay se rendit auprès de lui et y resta trois ans comme son chargé d'affaires. C'est pendant ce temps qu'il composa son Livre des antiquités de Rome, contenant une générale description de sa grandeur, et comme une déploration de sa ruine. Ce livre, en y comprenant le Songe et vision sur le mesme subject du mesme autheur, contient quarante-sept sonnets, écrits non-seulement avec correction, mais avec force, et trahissant une certaine inspiration qui ne manque pas de profondeur. Nouveau venu, dit-il au voyageur.

Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome

Et rien de Rome ea Rome n'aperçois,
Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,

Et ces vieux murs, c'est ce que Rome on nomme.

Il se demande ce qu'est donc devenu ce vieil honneur poudreux de la reine du monde et ces éloquents débris de sa grandeur passée; il tire une belle leçon sur la fragilité des choses d'ici-bas, et se résout de la mettre à profit en réglant ses désirs car, pense-t-il, tes désirs mourront,

Si les empires meurent!

Ses Regrets, en cent quatre-vingt-trois sonnets, adressés à ses amis, sont aussi le fruit de son séjour à Rome. Il se regarde là comme Ovide à Tomes, et commence, ainsi que lui, par s'adresser à son livre qu'il envoie en France :

Mon livre (et je ne suis sur ton aise envieux)

Tu t'en iras sans moy voir la cour de mon prince.
Hé! chétif que je suis, combien en gré je prinsse
Qu'un heur pareil au tien fut permis à mes yeux !
La si quelqu'un vers toi se monstre gracieux,
Souhaite-lui qu'il vive heureux en sa province:
Mais si quelque malin obliquement te pince,
Souhaite-luy tes pleurs, et mon mal envieux.
Plus loin il s'écrie :

France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle:
Ores, comme un aigneau que sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

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France, France, réponds à ma triste querelle;
Mais nul, sinon Echo, ne répond à ma voix.

Dans cette France, ce qu'il préfère c'est sa province, l'Anjou, et dans l'Anjou, son petit Liré, qui lui a inspiré le plus touchant des sonnets :

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Ou comme cettui-là qui conquit la toison,

Et puis est retourné plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge!

Quand reverrai-je, hélas! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison
Qui m'est une province et beaucoup davantage!
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux
Que des palais romains le front audacieux;
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,
Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin

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