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méritait presque d'avance l'accusation, s'il l'a réalisée et vérifiée après, s'il n'a pas trouvé la force de résister à l'épreuve. Les Jansénistes furent un peu ainsi. Le grand Arnauld ne complotait pas du tout, quoi qu'on en ait dit, avec madame de Longueville et avec le cardinal de Retz. Il mourut dans l'exil, fidèle et attaché de cœur au roi qui le tenait banni. Patience! un siècle révolu après sa mort, tout se payera avec usure : le janseniste Camus sera moins royaliste que Dumouriez; l'abbé Grégoire, en hardiesse de renversement, ira plus loin que Mirabeau.

IV. — Philosophiquement, et dans ce qu'on appelle aujourd'hui la philosophie de l'histoire, Port - Royal nous semble le noeud et la clef d'une question que nous avons déjà laissé entrevoir précédemment, d'une question qui domine l'histoire de l'esprit humain dans le rapport du dix-septième siècle au dix-huitième. Comment cette cause catholique, qui fut si grande de doctrine et de talent au dix-septième siècle, se trouvat-elle si impuissante et désarmée du premier jour au début du dix-huitième, et tout d'abord criblée sous les flèches persanes de Montesquieu? Car ces trois siècles (du moins en France), le seizième, le dix-septième et le dix-huitième, se peuvent figurer à l'esprit comme une immense bataille en trois journées. Le premier jour, la philosophie et la liberté de l'esprit humain enfoncent les rangs, et portent partout la plaie et le désordre. Au second jour, la discipline, l'autorité et la doctrine réparent, et vont triompher, et triomphent même, sans qu'on voie d'autre danger pressant. Mais, au terme du triomphe, la philosophie et la liberté de l'esprit humain ont reparu dans toute leur fraîcheur et leur superbe; elles sortent de nouveau on ne sait d'où, et, ne trouvant nulle sérieuse résistance, elles em

portent cette gloire qui régnait et tous les retranchements. Port-Royal doit être pour beaucoup dans cette issue singulière du dix-septième siècle. Ce siècle, en effet, a usé, à détruire une partie essentielle de luimême, les forces qui ne se présentèrent plus ensuite, à la lutte contre l'ennemi commun, qu'isolées et entamées. Entre les Jésuites et les Jansénistes, entre ces deux ailes, en quelque sorte, de l'armée catholique, qui en étaient aux mains et aux injures, la philosophie aisément fit sa trouée. Port-Royal aussi (il faut le dire), dont l'esprit, bien que rétréci, survivait et subsistait toujours, n'avait jamais eu, même au temps le plus glorieux de cet esprit, ce qui pouvait modifier et modérer l'avenir, une fois émancipé. N'ayant pas étouffé cet avenir dans son germe, dans son idée première de libre arbitre et de volonté, il se trouvait impuissant à le soumettre, et l'irritait, le révoltait extraordinairement par la rigueur de ses dogmes si contraires aux inclinaisons nouvelles. Si, en effet, une sorte d'indépendance du côté de Rome, une sorte de rappel du chrétien aux textes de l'Ecriture, et assez peu de superstition pour les pouvoirs socialement constitués, dénotaient dans le Jansénisme quelques traits moins en désaccord avec le mouvement général d'émancipation philosophique, tout le reste de sa part était, au fond, aussi contraire, aussi négatif, aussi irritant pour ce qui allait venir, qu'il est possible d'imaginer. Le Péché originel comme il l'entendait, la déchéance complète de la nature, l'impuissance radicale de la volonté, la Prédestination enfin, composaient, non pas un système de défense, mais un défi contre la philosophie et les opinions survenantes, toutes flatteuses pour la nature, pour la volonté, pour la philanthropie universelle. L'autorité absolue et irréfragable, conférée à saint Au

gustin sur certaines matières, et qui formait une des bases du Jansénisme, n'était pas moins une pierre d'achoppement et comme un scandale devant l'omnipotence de la raison. Je ne m'en tiens ici qu'aux points d'opposition, d'incompatibilité, intérieurs et nécessaires; je ne descends pas aux détails si faits pour déconsidérer, compromettants détails de cette querelle pour la Bulle, qui sort d'ailleurs de mon sujet. Ce que je tiens à relever, c'est l'influence directe (bien que toute par contradiction) de Port-Royal sur la philosophie du siècle suivant. On peut, je crois, démontrer à la lettre que telle page de Nicole sur la réprobation engendra net, par contre-coup, telle page de Diderot sur l'indifférence en matière de dogme et contre le Christianisme. Le rôle particulier de Port- Royal, dans le rapport du dix-septième au dix-huitième siècle, bien qu'il n'ait pas été du tout ce qu'on aurait pu espérer et désirer, fut très-réel, et, en tant que négatif, fut grand. V. — Littérairement, nous aurons moins à dire pour nous faire croire. Cette docte et sévère école qui, la première, appliqua aux langues et aux grammaires une méthode philosophique, une méthode générale et logique, tout ce qui se pouvait de plus lumineux et de plus vrai avant la méthode particulièrement historique et philologique de ces derniers teraps, cette école de Port-Royal est encore plus célébrée qu'étudiée; nous l'étudierons. Hors de ligne, parmi les hommes qui font la gloire de notre littérature, nous trouvons là celui qui, avec Bossuet, et autrement que lui et antérieurement à lui, domine le plus son siècle. Pascal, du sein de ce cadre de Port-Royal, se détache extrêmement. Il faut convenir même qu'il en sort et le dépasse un peu. D'autres, grands encore, ou bien remarquables, y tiennent tout entiers. Arnauld, Nicole,

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Saci, Du Guet, et leurs semblables, voilà les vrais et purs Port-Royalistes. C'est assez pour la gloire durable de l'ensemble. L'originalité de Port-Royal, en effet, se voit moins dans tel ou tel de ses personnages ou de ses livres que dans leur ensemble même et dans l'esprit qui les forma. On a dit avec raison que, tout en imitant les Anciens, le siècle de Louis XIV avait été luimême, et que son originalité glorieuse consistait précisément dans ce mélange approprié. Boileau, plein de Perse, de Juvénal et d'Horace, est juste à la fois le poëte moraliste et didactique de son moment. Racine, en croyant tout devoir à Euripide, fait une Phèdre que le christianisme d'Arnauld admire et pardonne. Eh bien ! l'on peut dire que la littérature entière de l'ortRoyal fut, à sa manière, l'une de ces imitations originales qui caractérisent le siècle de Louis XIV. Ce n'est plus Horace cette fois, ce n'est plus Euripide qu'il s' s'agit de reproduire; ce n'est plus même le trésor éloquent de Chrysostome, comme fera Bossuet c'est la Thébaïde, le désert de Bethléem ou de Sinaï, c'est la cellule de saint Paulin, c'est l'ile de Lérins (j'entends pour le genre des travaux, bien que contrairement pour des points de doctrine). Port-Royal est, dans le dixseptième siècle, une imitation originale et neuve, et adaptée aux alentours, une imitation à la fois profonde et rien qu'à trois lieues de Versailles, une reproduction mémorable, et la dernière, de cette vaste partie de l'Antiquité chrétienne.

VI. Moralement, et sans tant s'inquiéter des rapports historiques, des comparaisons lointaines, le fruit. direct est encore grand à tirer. Le trait le plus saillant de ces saints caractères me semble l'autorité. Cette autorité morale, qu'on sait particulière aux grands personnages du temps de Louis XIV, est singulièrement

propre à ceux de Port-Royal entre tous. Cette qualité, cette vertu manque tellement de nos jours aux plus grands talents, à ceux même qui en paraîtraient le plus dignes, qu'il devient précieux de l'étudier, comme dans son principe, chez les maîtres. C'est, sans doute, l'admiration et la préoccupation pour ce notable trait de caractère, qui fait dire habituellement à l'un des hommes qui en ont gardé quelque chose aujourd'hui, à un homme qui a été comme le Despréaux philosophique de notre âge, et dont la parole agréablement sentencieuse a volontiers la forme et tant soit peu le crédit d'un oracle, à M. Royer-Collard, c'est ce qui lui fait dire « Qui ne connaît pas Port-Royal, ne connaît pas : l'humanité Une autre vertu, jointe chez Messieurs de Port-Royal à celle d'autorité, et qui en est presque l'opposé, qui y apporte du moins l'essentiel correctif, est une certaine modération bien qu'avec l'austérité, une modération rigoureuse de tous les désirs, de tous les horizons, quelque chose qu'il peut être infiniment utile d'envisager, de rappeler, dans un siècle qui fait du contraire une pratique turbulente et une apothéose insensée. Dans un pays qui a heureusement conservé les pratiques modestes et les horizons calmes, il nous sera plus doux de faire l'étude et de trouver souvent l'accord. Nous serons moins gêné aussi pour convenir de quelques points d'excès dans les restrictions, de quelques violences et duretés humaines mêlées à ces cœurs d'ailleurs tout circoncis. Autour de cette affaire de Port-Royal, où la contestation eut sans cesse tant de part, il serait difficile qu'il en eût été autrement. On a spirituellement dit (c'est madame Necker, je crois)

1. C'est parlant à moi-même que M. Royer-Collard a dit ce mot, qui, depuis que je l'ai noté ici, a été cité et répété souvent.

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