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de Corcelet à celui qu'ils ont présenté à leurs maîtres.

A quelques pas de là, je remarquai, dans la boutique d'une modiste, une très-jolie personne dont les traits ne m'étaient point inconnus. Ce ne fut pourtant qu'après de longs efforts de mémoire que je me rappelai certaine petite villageoise, fille d'un honnête fermier des environs de Bayeux, qui était venue à Paris pour être bonne d'enfans, et que l'on avait adressée à une dame de mes amies. A la recherche de sa parure, à l'aisance de ses manières, à l'espèce d'hommages qu'elle recevait, je devinai qu'elle n'avait point cédé à sa première vocation, et qu'elle avait pris un autre essor. Je crus inutile de répéter, à une belle demoiselle coiffée à la grecque, en apprentissage dans un magasin de modes des galeries de bois, les leçons de morale que j'avais faites à une petite fille en cornette et en bavolet, arrivée à Paris de la veille; mais je me promis bien de consigner quelque jour dans un bulletin spécial les réflexions que cette rencontre me fit naître.

Vers quatre heures, la place de la Rotonde offre le tableau le plus piquant et le plus varié.

Là, le marchand de Leipsick rencontre le négociant d'Amsterdam auquel il avait assigné ce rendez-vous six mois d'avance; là, se réunissent ces joueurs heureux qui n'avaient pas de quoi dîner la veille, et qui vont ce jour-là dépenser 40 francs aux Frères Provençaux; là, se retrouvent ces frères d'armes, compagnons inséparables de gloire et de plaisirs, concitoyens de Marseille, de Bordeaux, de Toulouse, que trahit leur accent méridional. Dans la foule qui circule autour de moi, je remarque ce jeune étourdi qui poursuit un brocanteur pour lui donner à moitié prix la montre de Breguet qu'une série de rouges lui a fait acheter la veille, et qu'une intermittence le force à revendre le lendemain; j'écoute en riant ce que raconte à son compatriote ce gros bourgeois de Montfort-l'Amaury. « Il avait quelques emplettes à faire; il est entré sous les galeries dans un magasin de nouveautés: dix jeunes filles de boutique, charmantes, étaient rangées autour du comptoir; à chaque article qu'il demandait, une de ces demoiselles lui répondait avec un sourire: Nous ne tenons pas cela; et il est sorti sans de--·

II.

viner ce que l'on pouvait vendre dans une boutique où il n'y avait rien. »

L'heure du diner était venue; j'entrai chez Naudet; et lorsque je redescendis pour continuer mes observations, je ne tardai pas à m'apercevoir que celles qui me restaient à faire au Palais-Royal n'étaient point de ma compétence, et qu'il y a dans certains tableaux une partie qu'il faut laisser dans l'ombre.

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O divine Amitié, félicité parfaite!

Seul mouvement de l'ame où l'excès soit permis,
Change en biens tous les maux où le ciel m'a soumis.
Compagne de mes pas, dans toutes mes demeures,

Dans toutes les saisons et dans toutes les heures,
Sans toi, tout homme est seul; il peut, par ton appui,
Multiplier son être et vivre dans autrui.

VOLT., 4e. Disc. en vers.

Absentem qui rodit amicum;

Qui non defendit, alio culpante.

Hic niger est, hunc tù, Romane, caveto.
HOR., Sat. 4.

Défiez-vous de celui qui médit de son ami absent, ou qui ne le défend pas quand on en dit du mal.

A en juger par le mot de Sénèque : O mes amis, il n'y a plus d'amis ! on ne s'est jamais bien entendu sur la valeur du mot amitié, ou du moins

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a long-tems qu'on a senti la nécessité de

La physionomie des habitans du Palais-Royal a changé avec celle du lieu même : c'est maintenant une espèce de chambre obscure où l'on voit tout ce qui se passe dans la capitale, une sentine où se trouvent rassemblés toutes les folies, tous les vices, tous les ridicules, tous les plaisirs, et toutes les misères de l'humanité. Depuis un assez grand nombre d'années, je n'avais vu le Palais-Royal qu'en le traversant; sans aucun autre motif qu'une répugnance qui tenait à des souvenirs fâcheux, j'évitais de m'y arrêter. Cette vieille rancune céda au désir de remplir, dans toute son étendue, ma tâche d'observateur; et je pris la résolution de consacrer une journée entière à visiter ce grand bazar de l'Europe, et à étudier les mœurs de ses habitans.

J'y entrai mardi dernier à huit heures du matin, après avoir été faire quelques emplettes dans la rue Saint-Denis. Le premier contraste dont je fus frappé, fut celui du mouvement qui régnait dans un quartier, et du repos qu'à la même heure je trouvais dans l'autre. Tous les marchands de la rue Saint-Denis étaient, depuis long-tems, à leurs comptoirs; tous les

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