Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

tant à qui tout ce fatras puisse être encore de quelque utilité.—Vandale! s'écria-t-il avec une indignation tempérée par un profond dédain, vous parlez bien en homme dont la postérité n'aura jamais rien à réclamer ni à dire. Voyez à qui vous insultez : regardez cette lettre de Montaigne à la Boëlie, tellement illisible qu'on n'a pu l'imprimer ; ce billet de Henri IV à la duchesse de Verneuil; ce sonnet de Malherbe écrit en entier de la main de Racan; cette lettre de madame de Maintenon au père Le Tellier; cet ordre de M. le Prince, la veille de la bataille de Senef!....Quand je consentirais à partager votre vénération pour quelques-unes de ces reliques auxquelles se rattachent d'illustres souvenirs, je n'en rirais pas moins des soins que vous prenez pour la conservation de tant d'autres paperasses qu'aucun nom, qu'aucun titre ne recommande. Par exemple, que signifie cette lettre qui me tombe sous la main? Elle est signée d'un marquis d'Hernouville que personne ne connaît, et s'adresse à un comte de Monchevreuil, qui n'est connu lui-même que par quelques faits d'armes de peu d'importance, et , pour avoir été, si je ne me trompe, gouver

[ocr errors]

neur du duc du Maine. Vous ne pouviez me fournir une occasion plus favorable de vous prouver qu'il y a toujours quelque inconvénient à prononcer sur ce qu'on ne connaît pas. Donnezvous la peine de lire cette lettre, et vous rirez ensuite, si vous l'osez, de l'extrême importance que je mets à conserver de semblables écrits. » Jamais, je dois l'avouer, triomphe ne fut plus complet que le sien; non-seulement je convins, après l'avoir lue, que cette lettre méritait les honneurs du portefeuille, mais je le priai instamment de me permettre d'en prendre copie et de la rendre publique. J'eus beaucoup de peine à obtenir cette faveur, qui me fut accordée en échange d'une lettre autographe d'Hyder-Aly-Kan au bailli de Suffren, dont je promis d'enrichir sa collection.

Voici la lettre du marquis d'Hernouville, que je certifie de tout point conforme à l'original:

Paris, ce 30 décembre 1669.

« JE profite, mon cher comte, d'un rhume qui me retient depuis quelques jours au coin de mon feu, pour vous donner des nouvelles de

ce pays. La plus importante, et celle qui vous fera le plus de plaisir, c'est que M. de Guise a obtenu la faveur d'avoir un carreau à la messe du roi ; il n'a pas manqué d'en profiter dimanche, et, soit dit entre nous, avec un peu trop d'éclat. On attend monts et merveilles du marquis de Martel, qui s'est vanté de forcer les Algériens à la paix; je n'ai pas de foi à ses almanachs. Le duc de Vermandois vient d'être revêtu de la charge d'amiral; Mme de la Vallière a reçu cette marque d'une faveur insigne avec la plus belle indifférence. Je suis bien de votre avis, cette femme n'est pas à sa place.

>> Votre frère vous a-t-il écrit que nous avions été ensemble à la première représentation de Britannicus ? Quelques prôneurs de Racine m'avaient tant vanté cette pièce, que, ne pouvant avoir de loge, j'ai envoyé mon laquais à dix heures me retenir une place sur le théâtre. J'ai cru que je n'arriverais jamais à l'hôtel de Bourgogne ; j'avais pourtant laissé mon carrosse à l'entrée de la rue Mauconseil; mais, sans Chapelle et Mauvilain, qui connaissent tous les comédiens de Paris, je ne serais jamais parvenu à me placer. N'allez pas vous

méprendre sur cet empressement du public: il y entrait encore plus de malveillance que de curiosité. J'ai été faire mes baise-mains à Mme de Sévigné dans sa loge, où se trouvaient Mmes de Villars, de Coulanges, de La Fayette, escortées du petit abbé de Villars et du frondeur de Grignan. Je vous laisse à penser si Britannicus avait beau jeu dans cette loge. Mme de Sévigné disait l'autre jour, chez Mme de Villarceaux, que le Racine passerait comme le café: ce mot fit beaucoup rire, et tout le monde s'accorda pour le trouver aussi juste que plaisant. Ce que j'admire surtout, c'est la présomption de cet écolier tragique, qui s'avise de vouloir faire parler les Romains après notre grand, notre sublime Corneille : il y a des gens qui ne doutent de rien. Je n'ai jamais vu l'hôtel de Bourgogne aussi brillant : une aussi belle réunion méritait une meilleure pièce; c'était à qui bâillerait au parterre, et à qui dormirait dans les loges. Je ne vous citerai pas, comine exemple, Vilandry, qui ronflait dans celle du commandeur de Souvré depuis qu'il dîne à cette table, la meilleure de Paris, il va digérer au spectacle, haciendo la siesta, se réveille à

la fin, et prononce que la pièce est détestable. Je ne concevrai jamais quel plaisir ce brave et spirituel commandeur trouve dans la société d'un homme qui n'ouvre la bouche que pour manger. Despréaux, à côté de qui je me trouvais placé, était furieux de la froideur du parterre. Il soutient que c'est le plus bel ouvrage de Racine, que les anciens n'ont rien de plus beau, que ni Tacite ni Corneille n'ont rien écrit de plus fort. Il a manqué se prendre aux cheveux avec Subligny, parce que celui-ci, dans la scène où Néron se cache derrière un rideau pour écouter Junie, n'a pu retenir un grand éclat de rire qui s'est propagé dans toute la salle. Il est probable que cette mauvaise pièce lui fournira quelque autre Folle Querelle,* où nous rirons comme à la première. Ninon et M. le Prince étaient, avec Despréaux, les seuls qui défendissent le terrain pied à pied, mais sans pouvoir rétablir les affaires de Britannicus. Je suis curieux de savoir comment le petit rival du grand Corneille prendra cette chute; car c'en est véritablement une. Ce qu'il

*Parodie d'Andromaque.

« PrécédentContinuer »