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.... Le vrai deuil, sais-tu bien qui le porte?
C'est cestuy-là qui sans témoings se deult.
Imit. de MAROT.

Parlerai-je d'Iris? chacun la prône et l'aime;

C'est un cœur, mais un cœur!.. C'est l'humanité même.
Si d'un pied étourdi quelque jeune éventé

Frappe en courant son chien, qui jappe épouvanté,

La voilà qui se meurt de tendresse et d'alarmes ;
Un papillon souffrant lui fait verser des larmes.

GILBERT.

Je pense, comme Juvénal, comme Juvénal, « que la nature, en nous donnant des larmes, prouve assez qu'elle nous créa sensibles, et j'ajoute encore avec lui que la sensibilité est un de ses dons les plus précieux * ; » mais c'est un don enfin; nous l'ap

Mollissima corda,

Humano generi dare se natura fatetur;

Que lacrymas dedit, hæc nostri pars optima sensus,

JUVENAL, Sat. 20.

portons en naissant; il se développe en nous et malgré nous, dans des proportions différentes, comme notre taille et notre figure; c'est une disposition de l'ame : depuis quelque tems on en fait une étude. J'ai vu fonder en France cette école sentimentale, il y a près d'un demi-siècle; j'en ai connu les principaux professeurs, et j'en ai suivi les progrès depuis la mélancolie jusqu'aux vapeurs, aux maux de nerfs et aux convulsions inclusivement. La fausse sensibilité (je n'ose pas me servir du mot de sensiblerie dont la conversation commence à s'enrichir), la fausse sensibilité a donné pendant long-tems et donne encore aujourd'hui un caractère dans le monde : beaucoup de gens lui doivent des succès, en attendant qu'elle leur vaille un ridicule; car, comme 'dit Duclos, toute affectation finit par se déceler, et l'on retombe au dessous de sa valeur réelle.

On ne se douterait pas en quel lieu, en présence de quels objets, ces réflexions me sont venues à l'esprit : dans mon hermitage de la Chausséed'Antin cela paraîtrait naturel ; mais dans l'hermitage de J.J. Rousseau, dans ce réduit charmant qu'habita l'auteur d'Emile, qu'habite aujourd'hui l'auteur du Sylvain, quand j'avais sous les yeux

la petite table de noyer sur laquelle ont été écrites tant de pages éloquentes où respire la sensibilité la plus vraie; quand tous les objets dont j'étais entouré me ramenaient à l'idée d'un écrivain dont les écrits seront à jamais les délices des ames tendres, ne regardera-t-on pas comme une profanation d'avoir été chercher dans un pareil endroit le sujet d'une satire contre la sensibilité? J'aurais assez mauvaise opinion, je l'avoue, de celui qui parcourrait avec indifférence cette habitation d'un grand homme, qui se promènerait froidement dans le petit jardin où JeanJacques médita les chapitres de l'Emile, qui s'arrêterait sans émotion sous ces vieux châtaigniers où il se reposait au retour de ses courses dans la forêt de Montmorency; mais ce respect pour l'auteur de quelques beaux écrits empêche-t-il de trouver excessivement ridicule cette dame qui vient tous les ans, à pareil jour, à cet hermitage célèbre pour s'y rouler par terre avec des spasmes convulsifs, comme en éprouvaient certains dévots sur le tombeau du diacre Pâris? Empêche-t-il de trouver un peu d'exagération dans ces larmes que j'ai vu verser par une jeune mère et sa fille dans la chambre d'un homme qui mit ses enfans

à l'hôpital ? Empêche-t-il de rire de cette foule de pélerins qui ne sont venus là que pour inscrire leurs noms sur les murailles du jardin, et jusque sur le buste du héros, dont la joue droite est couverte tout entière par le nom célèbre de M. Thote?

J'ai le malheur, car c'en est un peut-être, de n'être jamais dupe de ces jongleries sentimen-tales, de ces émotions à froid, de ces douleurs solennelles qu'étalent nos comédiens, et surtout nos comédiennes de société. J'ai plus d'une fois déjoué les coryphées du genre; comment. ne serais-je pas en garde contre leurs élèves ? Ce que j'écris en ce moment, je le disais à un jeune homme qui m'avait accompagné à Montmorency, et dans lequel j'ai cru reconnaître quelque penchant à ce genre d'affectation. Je lui montrais en sortant, à quelques pas de l'hermitage, la petite maison où deux jeunes époux, célèbres dans les arts, vinrent se renfermer, il y a quelques années, pour se soustraire au tourbillon du monde, et vivre pour eux seuls.

"

Qu'ils doivent être heureux ! s'écria mon jeune homme, et combien j'envie la félicité dont ils jouissent! Entrons, Monsieur, je veux la

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voir cette retraite charmante qu'habitent la jeunesse, l'innocence et l'amour!.... » Je modérai son enthousiasme en lui apprenant que, trois mois après, les deux époux revinrent à Paris, chacun de son côté, pour demander le divorce. « Que voulez-vous conclure de tout ce que vous m'avez dit? reprit mon jeune compagnon avec un peu d'humeur. Qu'il faut se défier d'un sentiment qui s'annonce avec ostentation; que la fausse sensibilité cache beaucoup d'autres défauts; que la véritable n'est pas toujours exempte de vanité, et s'allie quelquefois avec une sorte d'inhumanité. On ne s'attend pas à ce dernier trait! dit-il, et je voudrais bien savoir comment on s'y prend pour soutenir un pareil paradoxe ? Par des exemples que vous ne récuserez pas, continuaije en riant, car je les prendrai parmi les gens de votre connaissance. Je vous ai yu quelquefois chez Mme Vernon; elle tient un rang distingué parmi nos peintres, et convient ellemême qu'elle doit la plus grande partie de son talent à son excessive sensibilité. Tout le monde connaît l'étroite amitié qui l'unit à M. Maurice, l'un de nos plus grands artistes : celui-ci tomba

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