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la société de quelques gens d'esprit qu'elle appelait ses bêtes, et ne cabala plus que pour le succès de ses romans, dont son neveu, Pont-deVesle, pourrait bien être l'auteur.

La pire de toutes les coteries du dernier siècle fut celle de M. Forcalquier, dite du salon vert on y tenait école de satire, de médisance et de noirceur; on y cabalait contre toute espèce de réputation et de mérite : hommes, femmes, grands et petits, personne n'était épargné. On a cependant une obligation à cette société elle nous a valu le Méchant.

En cherchant bien, on trouverait encore à Paris plus d'un salon vert; mais les méchans dont ils se composent, sans être aussi spirituels que celui de Gresset, sont beaucoup plus adroits : leurs rangs sont plus serrés, plus inébranlables, et leur front moins découvert; c'est une vraie phalange macédonienne. Il n'est pas rare de trouver parmi eux des hommes supérieurs qui se rapetissent pour entrer dans ces coteries, comme les diables de Milton pour entrer dans le Pandemonium. Cet art des cabales a fait, de nos jours, d'incroyables progrès; il a ses principes, ses règles, et même ses professeurs.

J'ai vu quelque part que le Lybien Psaphon était parvenu à se faire passer pour une divinité, en lâchant dans les bois et sur les montagnes une grande quantité d'oiseaux auxquels il avait appris à répéter ces mots : Psaphon est un dieu. C'est là tout le secret des cabales. Est-on convenu de celui qu'on veut porter ou étouffer, on ne s'occupe plus que de lui seul : on le prône ou on le décrie partout; la Renommée a le mot pour emboucher l'une ou l'autre des deux trompettes que Voltaire lui donne; tous les journalistes sont circonvenus; quatre feuilletons suffisent à peine pour faire l'éloge ou la critique de son dernier quatrain; il est l'objet ou la victime de toutes les conversations; on a fait, pour ou contre lui, des impromptus, des bons mots, que l'on fait courir dans le monde sous le nom de telle femme d'esprit dont les jugemens passent pour des oracles. L'impulsion est donnée, la phrase est apprise; tous les oiseaux, pour ne pas dire tous les oisons de Paris, l'ont répétée; et, pour quelques mois du moins, Psaphon est un dieu, ou Psaphon n'est pas même un homme.

N XLIV. - 24 mai 1812.

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LES TROIS VISITES.

Singula quæque locum teneant sortita decenter.
HOR., Ars poet., v. ga.

Mettons chacun et chaque chose à sa place.

EN 1637, un grand-oncle de mon aïeul acheta d'un procureur au Châtelet une maison dans la rue de la Ferronnerie, près du charnier des Innocens; c'était précisément celle où Ravaillac était venu se cacher, vingt-sept ans auparavant, dans la fatale journée du 14 mai. Mon grandoncle, qui avait été officier dans le régiment des Gardes sous Louis XIII, fit démolir la maison le monstre avait habitée pendant quelques heures, et fit construire deux boutiques sur le même emplacement. Dans l'une il établit, en qualité de marchande mercière, la fille aînée de

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sa nourrice, et plaça dans l'autre, à la tête d'un petit commerce d'épiceries, le fils d'un de ses métayers, qu'il eut le courage d'avouer pour son parent (ce qui fut cause, par parenthèse, qu'aucune de mies arrière-cousines ne put entrer dans les chapitres d'Allemagne). Les deux établissemens prospérèrent de génération en génération. Le premier s'accrut progressivement, et passa sans faste de la mercerie à la passementerie. Vers le milieu du dernier siècle, un des successeurs dans la descendance masculine de la fille de la nourrice, M. Bonnefoi, s'éleva jusqu'au commerce de bonneterie; et ses enfans, associés, tiennent aujourd'hui, dâns le même endroit, un des magasins de bas et de bonnets les mieux assortis et les mieux achalandés de la capitale. Le second de ces établissemens devint pour son propriétaire la source d'une fortune plus brillante et plus rapide. De père en fils épicier, commis aux aides, employé aux vivres, sous-fermier, agioteur sur les billets de Law, associé de Pâris-Duverney, notre parent, M. Derville, se trouve en ce moment, dans la personne de son arrière-petit-fils, un des financiers de Paris les plus riches et les plus estimés.

Chose assez remarquable, ces deux familles ont conservé pour moi une sorte de reconnaissance héréditaire dont je m'honore également, et qui établit entre nous des relations que je cultive avec plaisir. Douze ou quinze mille livres de rentes, laberieusement acquises dans la profession qu'ont exercée ses pères, bien loin de faire naître dans l'esprit du bonnetier le désir trop commun de changer de domicile et de manière de vivre, n'ont servi qu'à lui rendre plus chers des lieux et des habitudes auxquels se rattachent de longs et d'heureux souvenirs. Le financier habite un hôtel charmant dans la rue Cérutti; mais il a repris dernièrement la boutique paternelle, qu'il a transformée en un bureau de loterie, dont il a confié la direction à une trèsjolie veuve.

Le hasard a voulu que je reçusse, la semaine dernière, trois invitations pour le même jour : le bonnetier me priait de lui faire l'amitié, le financier de lui faire le plaisir, et M. le prince de N*** de lui faire l'honneur de venir passer la soirée chez lui. Je ne voulais pas refuser le premier; je désirais aller chez le second, et je ne pouvais me dispenser de me rendre à l'invi

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