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Après avoir lu les lettres de Mme du Deffant, on se félicite d'avoir échappé au malheur de la connaître. Après avoir lu l'éloge de Mme Geoffrin, et les lettres qui l'accompagnent, on partage tous les sentimens de son panégyriste, et l'on s'associe aux regrets qu'a dû causer sa perte.

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N° XL. 18 avril 1812.

ENTERREMENT D'UNE JEUNE FILLE.

Elle était de ce monde, où les plus belles choses

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SERVIUS-SULPICIUS, cherchant à consoler Cicé

ron de la perte de sa fille, lui écrivait : « A mon retour d'Asie, quand je partis d'Egine pour me rendre à Mégaré, mes yeux s'arrêtèrent sur les objets dont j'étais environné: je voyais Egine devant moi, Mégare était derrière, le Pirée à ma droite, et Corinthe à ma gauche. Que de villes florissantes renversées aujourd'hui sur la terre! Comment, au milieu de ces immenses débris, puis-je croire, me disais-je à moi-même, qu'un homme se laisse abattre par

la perte d'un enfant......?» Ces réflexions, si justes, si philosophiques, ne consolèrent pas le père de Tullia, parce qu'il est des douleurs sur lesquelles la raison ne peut rien, et des larmes qu'il faut laisser tarir. Dans la carrière que j'ai parcourue, j'ai vu tomber à mes côtés des compagnons, des frères d'armes, dont j'ai déploré la perte ; mais en songeant à ces idées de gloire, à cette illustration héréditaire, qui s'attachent au nom des guerriers morts au champ de l'honneur, en pensant qu'une vieillesse douloureuse m'attendait peut-être au sein d'une retraite obscure, je ne pouvais m'empêcher d'envier le sort de ceux que leur trépas immortalise. Chaque jour m'enlève quelque ancien ami, d'un âge aussi avancé que le mien; je le regrette et ne murmure point: où leur vie s'est éteinte, elle y était toute, comme dit Montaigne; la mort est la conséquence immédiate d'une longue vieillesse. Mais qu'une jeune fille, à peine au sortir de l'enfance, à qui le Ciel devait encore une longue suite d'années, sur qui la nature avait épuisé tous ses dons, que la naissance et la fortune environnaient de leurs plus brillans prestiges, soit enlevée tout à

coup aux embrassemens de sa mère, aux vœux de sa famille, aux espérances de l'amour, il y a dans ce cruel arrêt du sort je ne sais quel renversement des lois générales, quel assemblage de circonstances, dé pensées, d'expressions contradictoires, dont l'esprit se révolte en même tems que le cœur se brise.

Le titre que j'ai donné à cet article a dû mettre mes lecteurs suffisamment en garde contre les émotions qu'un pareil sujet leur prépare: ils ont la liberté de ne pas me lire, mais je n'ai pas celle d'écrire aujourd'hui sur une autre matière. J'admire cette flexibilité de talent qui rend un écrivain tellement maître de son esprit, qu'il peut en appliquer l'exercice aux idées les plus étrangères à celle dont il est préoccupé; cette faculté est une de celles dont je suis privé le plus complètement: ma pensée est toujours sous l'influence du sentiment qui me domine; et je cherche d'autant moins à l'en affranchir, que c'est uniquemeut par là que je vaux, si je vaux quelque chose. Comme tous les hommes d'un naturel très-gai, j'ai mes jours de mélancolie profonde, et ce ne sont pas les moins doux de ma vie : l'un des plus

beaux et des moins sombres esprits de l'antiquité, Ovide a dit:

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Il y a quelquefois du plaisir à pleurer. » Je l'éprouve plus que personne; et si j'ai la mauvaise honte d'en rougir, je n'en suis pas moins prêt à me faire à moi-même l'application de ce beau vers d'Young:

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Scorn the proud man that is asham'd to veep.

Méprisons l'homme orgueilleux qui a honte de verser des larmes. >>

Les grandes pensées naissent presque toujours des sentimens les plus tristes. C'est, pour ainsi dire, en présence de la mort que l'orateur romain composait son Traité de la nature des Dieux, que Montaigne écrivait ses plus beaux chapitres. Combien la douce philosophie des Socrate, des Sénèque, des Bacon, qui nous montrent la pierre du tombeau comme un passage entre la vie et l'immortalité, est plus consolante que celle des Lucrèce, des d'Holbach des Freret, qui nous invitent à nous plonger sans réflexion dans cette profondeur muette et

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