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cachet, il y a six mois, pour une dame dont il grave en ce moment les cartes de visite. Il me montre l'épreuve qui lui sert de modèle, et je lis en toutes lettres: Madame de Sennemont. Dèslors mes soupçons se changent en certitude; je me fais donner par le graveur une attestation bien en règle, telle qu'elle convient à mes desseins, et je retourne à l'hôtel de Senanges.

Chemin faisant, je repasse dans ma tête tout ce que j'ai entendu dire du caractère de Mme de Sennemont, de sa conduite depuis son veuvage, de ses intrigues, de ses noirceurs, de sa liaison connue avec le jeune d'Hennecourt; et, bien muni de preuves morales et matérielles, j'entre gaîment dans le salon, où je trouve tout le monde assemblé. Une certaine contrainte régnait sur tous les visages; les femmes chuchotaient entre elles. M. et Mme de Senanges parlaient bas au coin de la cheminée; Amélie avait les larmes aux yeux, et Charles retenait avec peine un dépit concentré. Mon entrée fit une sorte d'événement; car je ne pus m'empêcher de témoigner une surprise extrême, en apercevant Mme de Sennemont assise près d'Amélie, et lui prodi guant les témoignages d'amitié les plus affec

tueux. Je m'arrêtai brusquement. « Comme vous me regardez! me dit-elle en s'efforçant de rire. Avec un étonnement qui n'a rien de bien flatteur, Madame; car vous me rappelez en ce moment ce chirurgien espagnol qui attendait les passans au détour d'une rue, les blessait avec son poignard, et venait ensuite leur prodiguer des secours. » Cette vigoureuse apostrophe cause une grande rumeur dans la société; chacun m'interroge. Je sens qu'une explication publique est devenue indispensable, et, après en avoir obtenu l'aveu des maîtres de la maison, je dévoile une trame perfide, j'en montre les effets, j'en administre les preuves. Le reproche est dans toutes les bouches. Mme de Sennemont n'essaie point de se justifier; elle se lève, sourit avec dédain, et me lance en sortant un regard de furie dont j'ai bien apprécié toute l'éloquence.

Le départ de cette méchante femme fut le signal de la confiance et du plaisir : parens, amis, époux, tout le monde m'accabla de remercîmens, et l'on avança l'heure du souper, que j'attendais avec impatience. On peut croire que je ne laissai pas échapper une si belle occa

sion de prêcher. Quel sujet plus fécond que la calomnie! Je pris pour texte le portrait qu'en fait Massillon dans le passage cité au commencement de cet article, et je terminai par cette belle image de Diderot :

« La calomnie disparaît à la mort de l'homme obscur; mais, debout auprès de l'urne du grand homme, elle s'occupe encore, après des siècles, à remuer sa cendre avec un poignard.

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LE chancelier Thomas More compare assez brutalement un homme qui se marie « à un imbécile mettant la main dans un sac pour en tirer une anguille qui s'y trouve seule avec une centaine de vipères. Il y acent contre un à parier, ajoute-t-il, que c'est une vipère qu'il prendra. >> Un autre chancelier du même pays, Bacon, énonce une opinion directement contraire, et prétend qu'il y a tout au plus, dans le sac du mariage, une vipère contre cent anguilles. Pour moi, je serais tenté de croire que les anguilles et les vipères sont mélangées, là comme partout ailleurs, dans une proportion à peu près égale, et

'qu'il ne s'agit que de bien choisir. Mais ne voilàt-il pas un troisième philosophe, Lamotte-leVayer, qui nous assure« que le sommeil dont Dieu assoupit notre premier père avant de lui présenter une femme, est un avis de nous défier de notre vue, et de prendre une femme les yeux fermés.»» Le mariage a eu de tout tems plus de détracteurs que d'apologistes; les poètes comiques, qui ne se lassent pas depuis trois mille ans d'en faire le fond, ou tout au moins le dénoûment de leurs ouvrages, ne le présentent guère que du côté plaisant ou ridicule; les faiseurs de contes, d'historiettes, d'épigrammes, ne tarissent pas en bons mots sur les tribulations du mariage. Juvenal et Boileau ont épuisé, sur ce sujet, leurs mordantes hyperboles. Heureusement tous ces Messieurs n'en ont dégoûté personne. Cette robe de safran dont il a plu au libertin Ovide d'affubler le dieu d'hyménée......... croceo velatus amictu, n'en reste pas moins, sinon la parure à la mode, du moins le vêtement d'usage chez toutes les nations policées. On rit de ce qui est plaisant, mais on fait ce qui est utile, et le mariagé l'est à tout âge, Une épouse est une maîtresse pour un jeune

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