Images de page
PDF
ePub

teraient pas, et que Charles VI confirmait quelques années plus tard 1.

Nous ne poursuivrons pas cette étude de nos priviléges à travers la Champagne, le Languedoc, la Bourgogne, l'Auvergne et toutes les provinces qui composent aujourd'hui la France: nous verrions se reproduire, sans nouvel enseignement et avec une monotonie dont on aurait déjà le droit de se plaindre, les mêmes prescriptions, les mêmes défenses et des garanties qui puisent une singulière force dans leur unanimité frappante en un pareil temps. Il nous suffit de constater que l'impulsion qui fait mettre au moyen âge ce droit au premier rang de nos priviléges n'a pas eu une origine unique; ce ne sont ni les communes ni les rois qui peuvent en revendiquer à eux seuls le mérite. Les bourgeois par leur réaction contre le pouvoir féodal, les princes quelquefois par ambition, souvent par un véritable esprit de justice contribuèrent à faire inscrire cette liberté dans nos chartes. Écrite à chaque page do nos coutumes, confirmée par le pouvoir royal, venue de tant de sources et ayant acquis une telle force, qui aurait douté qu'elle dût vivre sur un sol où elle était si profondément enracinée? Le XVe siècle nous apprendra comment les principes qui avaient régénéré la justice criminelle sous le règne de saint Louis, exagérés dans leurs conséquences, égarèrent les meilleurs germes et durant trois siècles en perdirent la trace. GEORGES PICOT.

(La suite prochainement. )

1 Charles VI, 1297.

Lettres confirm. de celles du dauphin Jean, qui

portent qu'on ne pourra arrêter prisonniers les habitants du Briançonnois que dans les cas de certains crimes graves qui sont spécifiés.

BIBLIOGRAPHIE.

PHILOSOPHIE POLITIQUE DE L'HISTOIRE DE FRANCE.

ÉTUDE CRITIQUE SUR LES PUBLICISTES CONTEMPORAINS, par M. BERTAULD, professeur à la Faculté de droit de Caen. 1 vol. in-8°. Paris, Didier.

Compte rendu par M. DE VALROGER, avocat, docteur en droit.

M. Bertauld avait publié il y a quelque temps une introduction à l'histoire des sources du droit français, dont j'ai rendu compte dans ce recueil. L'année qui vient de finir a vu paraître un autre livre dû à sa plume sur la philosophie politique de notre histoire. Ce titre indique assez que l'auteur n'entre pas dans le récit des événements; il s'élèvé dans une région supérieure pour étudier les causes, les effets, le caractère des époques, et saisi, par ce moyen, ce qu'il y a de plus intime et de plus profond dans toute science, sa philosophie.

[ocr errors]

L'auteur se justifie, en commençant, d'aborder un tel sujet : « A quel titre un légiste peut-il toucher à ces matières? En quoi et comment peut-il les rattacher à la science des lois? » M. Bertauld répond avec une grande justesse « que l'étude da « droit privé et l'étude du droit public ne sauraient être séparées. Mais avec la réserve d'un esprit trop éclairé pour ne pas apprécier toute la difficulté des problèmes qu'il va toucher, il annonce qu'il veut moins exposer ses idées que passer en revue les controverses engagées sur les conclusions à tirer de notre histoire. Il s'agit, dit-il, d'un sorte d'enquête sur les principales questions qu'elle soulève, et sur les solutions diverses que ces questions ont reçues dans des camps opposés. « On « dirait au Palais qu'il s'agit d'un travail de rapporteur. »> Mais un rapport bien fait tranche souvent les questions, et juge d'avance la cause.

L'ouvrage de M. Bertauld touche à une foule de choses. Il ne remonte pas jusqu'à des temps reculés; mais les faits capitaux de notre histoire, dans les temps modernes, les grandes figures qu'elle met en scène, les courants d'idées aux différentes époques s'y déploient successivement. L'auteur fait ressortir les

appréciations souvent contraires que ces choses ont inspirées, et relève d'une manière piquante le contraste de certains jugements amers et chagrins avec l'optimisme d'autres écrits. Je serais entraîné trop loin si j'entrais dans le détail. C'est seulement l'esprit général de l'oeuvre que je voudrais en dégager.

M. Bertauld dépeint à grands traits la marche de nos institutions anciennes, qu'il caractérise fortement. Ce qui en ressort, c'est un progrès constant vers l'unité, et aussi vers l'égalité. La liberté politique n'eut point la même fortune. La constitution vicieuse des états généraux en fit des assemblées tantôt insignifiantes, tantôt révolutionnaires. Le pouvoir dont les parlements s'emparèrent plus tard manquait de racines. Il fit par moments obstacle au mal, quelquefois au bien, et finit par ouvrir la porte, sans qu'on le voulût, à une révolution.

[ocr errors]
[ocr errors]

Quelle conséquence faut-il tirer de cette histoire? « Ma conclusion implicite secrète serait-elle que notre histoire nous inflige quelque incapacité qui écarte de nous la liberté poli«tique? Aurais-je préjugé que nous sommes impropres à l'exér« cice de la souveraineté? » M. Bertauld repousse une telle pensée. Quel est donc son jugement? En rapprochant différentes parties du livre, j'y démêle quelques idées capitales qui me semblent en exprimer la vraie philosophie.

1° La liberté politique paraît à M. Bertauld être moins un but qu'un moyen. Le vrai but de la société, c'est d'assurer la liberté civile, c'est-à-dire le libre développement des facultés individuelles. La liberté politique est surtout le moyen de ga rantir cette liberté première et supérieure.

2° M. Bertauld ne reconnaît même pas que la liberté politique, c'est-à-dire le droit de participer au gouvernement de la société, soit pour tous ses membres un droit naturel. La participation de tous au gouvernement, qui a pris le nom de suffrage universel, peut être une excellente chose dans tel état de civilisation; mais il y a là une question de temps et d'opportunité.

3o M. Bertauld pense enfin que la liberté politique est susceptible de revêtir des formes très-diverses, et il estime qu'on a communément attaché trop d'importance à ces formes en réduisant presque le problème social à la réussite de certaines combinaisons constitutionnelles. Ainsi le gouvernement anglais, dont on s'est épris, ne lui semble pas un type dont il n'y ait qu'à poursuivre partout l'imitation. Les formes convenables de

la liberté politique dépendent du temps, des mœurs, du génie des peuples et de l'état des choses à une époque donnée. L'essence de la liberté politique ne consiste pas dans le triomphe de telle ou telle forme spéciale, mais dans l'influence de l'opinion publique sur le gouvernement de la société. Là où cette opinion ne pèse pas sérieusement sur le pouvoir, la liberté politique n'existe pas, quand même certaines institutions en simuleraient l'apparence; là, au contraire, où l'opinion publique tempère le pouvoir, on est fondé à dire que la liberté politique existe, même en l'absence d'institutions qui peuvent la servir, mais qui après tout ne la constituent pas.

Voilà les conclusions qui ressortent du livre de M. Bertauld, si toutefois je saisis bien sa pensée, car elles s'y produisent avec la réserve que lui dictait le rôle de rapporteur qu'il s'est donné. Il résume les controverses, pèse le pour et le contre, remet l'appréciation au lecteur. Mais M. Bertauld est un de ces rapporteurs habiles qui suggèrent le jugement, et font d'autant mieux prévaloir leur idée qu'ils évitent de l'imposer, laissant ainsi à chacun l'illusion flatteuse de s'être formé par lui-même sa conviction.

Je ne suis pas assez autorisé pour essayer aussi de suggérer au lecteur le jugement à porter sur des questions aussi délicates; mais j'aurai rendu service à ceux à qui ces quelques lignes inspireront le désir de faire plus ample connaissance avec un livre très-remarquable, où l'on trouve une revue rapide de notre histoire, l'analyse animée des systèmes auxquels elle a donné lieu, un style sobre et nerveux, souvent des touches très-fortes, et partout l'empreinte d'un esprit élevé, large et généreux. L. M. DE VALROGER.

PARTIE ÉTRANGÈRE.

BIBLIOGRAPHIE.

ANNALI DI DIRITTO TEORICO PRATICO,

Publiés par M. Luigi CAPUANI, professeur de droit romain et de droit civil 1855-1858, 5 vol1.

à Naples.

Compte rendu par M. J. BERGSON, docteur en droit.

La France semble, de temps en temps, se reposer dans sa brillante et glorieuse initiative et faire des haltes dans ses mouvements en avant sur les voies inconnues de la civilisation. Habituée depuis trois siècles, depuis François I" ou l'époque de la Renaissance, à donner le ton à l'Europe, tantôt dans les jeux de la politique ou, pour nous servir de l'expression de l'homme d'État d'un régime déchu, « dans les jeux de la force « et du hasard,» tantôt dans les jeux paisibles des arts et des sciences (les jeux Néméens ou Olympiques de la Grèce), la France ne semble pas toujours avoir suffisamment tenu compte des progrès des nations qui l'entourent et s'être laissé quelquefois déborder par des nations voisines.

[ocr errors]

Ainsi il est bien établi aujourd'hui que la base fondamentale de son régime hypothécaire (foncier) de 1803, le droit de transcription, a été, selon l'heureuse expression d'un illustre Magistrat, le résultat d'un malentendu. Ainsi sa législation commerciale de 1807 a trop emprunté aux belles ordonnances de 1673 et de 1681. « Les principaux défauts du Code de commerce, disait en 1840 le vétéran de Heidelberg, tiennent à ce « que ses rédacteurs se sont trop attachés à suivre l'ordonnance

1 Cet important recueil a été fondu en 1858 dans un autre recueil.

« PrécédentContinuer »