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« retrait litigieux, les rachetait, non à leur valeur nominale, « mais à leur valeur réelle, que lui-même avait contribué à << déprécier. >>

Plus loin, à l'occasion des fonctions publiques, M. Dareste établit le parallèle suivant entre les fonctions civiles et les fonctions militaires (p. 372):

« Dans les carrières civiles, il est de principe que l'État a un « pouvoir discrétionnaire pour tout ce qui concerne l'admission << aux emplois, l'avancement, la discipline, la mise à la rea traite et, au besoin, la suspension ou la destitution des ema ployés, sauf le principe de l'inamovibilité de la magistrature. « Les employés ne peuvent même donner leur démission qu'à « charge de la faire accepter. A l'encontre de l'État, l'employé « n'a droit qu'à deux choses: son traitement, et plus tard sa < pension de retraite, s'il réunit les conditions exigées pour en « obtenir une. Dans la carrière militaire, au contraire, l'état << et l'avancement des officiers sont réglés par la loi, et en cona séquence soustraits, au moins dans une certaine mesure, au a pouvoir discrétionnaire de l'administration. Ce privilége, ac« cordé aux fonctions militaires, ne saurait être à jamais refusé a aux fonctions civiles. En Allemagne, où l'état des officiers << n'est pas garanti par la loi, la position des fonctionnaires « civils est assurée de la manière la plus large. La pragmatique ◄ bavaroise peut être citée comme un modèle à cet égard. Si « notre législation française n'a pas encore atteint le même « but, elle y tend du moins et y arrivera sans doute quelque « jour. >>

.

Nous nous associons certes, dans la mesure de ce qu'ils ont de possible, à ces vœux de M. Dareste; nous nous associons moins à ses espérances en ce qu'elles auraient d'immédiat, et nous ne faisons aucun doute, par exemple, que si les lois de 1832 et 1834 sur l'avancement et l'état des officiers de terre et de mer étaient à faire aujourd'hui, elles ne triompheraient pas des attaques que dirigeraient contre elles les défenseurs aveugles de ce que l'on appelle le principe d'autorité. Ce n'est pas que nous méconnaissions la vérité et la nécessité de ce principe; nous ne contestons que les applications excessives et les regrettables exagérations sous lesquelles il est trop souvent de mode de le travestir aujourd'hui, et nous retrouvons bien là cette vieille tendance de l'esprit français, qui, selon

un mot célèbre, ressemble à un paysan ivre à cheval, retombant d'un côté quand on le relève de l'autre.

Rappelant ensuite la règle de l'article 75 de la Constitution de l'an VIII, et après avoir constaté qu'elle a rapidement fait fortune dans divers gouvernements de l'Europe, M. Dareste (p. 520) porte sur cette règle un jugement que nous n'hésitons pas à accepter 1:

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« Qu'une pareille institution se soit établie sous des gouverne«ments despotiques, on le comprend sans peine; mais il est plus « difficile d'expliquer comment elle a pu se maintenir sous des « gouvernements constitutionnels. La garantie des fonction"naires publics n'est pas même une conséquence du principe « de la séparation des pouvoirs : car, si le jugement d'un pro« cès de ce genre soulève une question administrative, le con« flit peut toujours être élevé..... Il y a plus, la garantie a été supprimée, et sans inconvénient, pour les employés des con«tributions indirectes dans tous les cas, et même pour tous << employés ou fonctionnaires publics, dans le cas où l'action « intentée est une action en répétition pour perception illégale. « — Il est donc évident que l'article 75 de la Constitution de « l'an VIII ne fait autre chose que de conférer au gouverne«ment le droit d'arrêter arbitrairement le cours de la justice. « Aussi la Constitution prussienne (de 1850) n'a pas hésité à supprimer purement et simplement la garantie des fonction"naires, et s'est contentée de limiter à trois ans la durée de » l'action en responsabilité. Cette mesure est d'un bon exemple. Une courte prescription, quelque peine contre les plai

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Il ne nous appartient guère, et ce ne serait pas ici le lieu de dire les motifs de notre opinion à cet égard. Bornons-nous à rappeler qu'un des hommes qui ont le plus contribué à faire maintenir le principe de l'article 75, lors de la discussion législative à laquelle ce principe a donné lieu en 1835, M. Vivien, a fini par reconnaître son erreur. (V. la 2e édition de ses Études administratives, t. I, p. 77 et suiv.) Il est même à remarquer que, dans les premières années de l'établissement d'un gouvernement libre en France, la garantie de l'article 75 a été supprimée par le législateur chaque fois que des cas spéciaux ont amené la question devant lui: il suffit de citer l'article 55 de la loi du 28 avril 1816 sur les douanes, en ce qui touche les employés des douanes, et l'article 144 de la loi du 8 décembre 1814, en ce qui touche les employés des contributions indirectes, c'est-à-dire des agents qui, par la nature même de leurs fonctions, sembleraient plus exposés que beaucoup d'autres à susciter ces mécontentements et ces irritations contre lesquels on croit qu'une protection absolue est indispensable.

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<< deurs téméraires, peut-être même la suppression du premier degré de juridiction: voilà les seules garanties qu'un gouver«nement libre puisse accorder à ses fonctionnaires. La garan«tie administrative dépasse le but. »

Il nous en coûte de ne pouvoir citer également in extenso les pages dans lesquelles l'auteur exprime la conclusion de tout son travail. Selon nous, M. Dareste est pleinement fondé à dire que cette conclusion peut se résumer d'un mot la tendance progressive et constante du droit administratif à se rapprocher du droit commun, tendance qui se manifeste à la fois dans le fond du droit et dans la juridiction. Sans contester, en effet, les différences qui existent et doivent exister entre la juridiction administrative et la juridiction civile, il faut reconnaître qu'aujourd'hui le Conseil d'État, statuant au contentieux, offre véritablement les caractères et les garanties d'une Cour de justice. La même appréciation ne saurait, il est vrai, s'appliquer aux juges administratifs du premier degré, dont l'organisation et les formes de procéder présentent les plus déplorables inconvénients; mais il est permis d'espérer qu'un jour viendra où cette grave lacune de notre législation sera comblée. En attendant, nous empruntons encore à M. Dareste ce dernier passage:

« Ce serait donc faire fausse route que d'attaquer au nom des << principes libéraux la justice administrative, et cependant les attaques ne lui ont pas été épargnées. N'a-t-elle pas été re« présentée comme un être équivoque, s'efforçant de réunir « dans une combinaison chimérique l'administration et la justice, le droit et le bon plaisir, Thémis menteuse entr'ou« vrant les yeux sous son bandeau, pour glisser dans la balance « les poids qui lui conviennent? Railleries oubliées aujourd'hui; aussi bien le trait ne porte plus. En dépit des théories de « quelques imprudents défenseurs, le Conseil d'État au conten «tentieux est une véritable Cour de justice. Sa mission n'est « pas d'éluder, mais d'appliquer le droit elle contrôle l'admi«nistration bien plus qu'elle ne la sert. - Il y a plus: si la li«berté politique s'établit quelque jour en France, si les Fran«çais entreprennent de se gouverner eux-mêmes, comme il appartient aux peuples parvenus à la virilité; si nous devons « voir un jour l'omnipotence de l'État restreinte, l'individu et la « commune affranchis de la tutelle excessive du pouvoir, le

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rôle de la justice administrative ne sera pas terminé pour «< cela. Au contraire, alors plus que jamais, il faudra un tribu«nal unique, assez haut placé dans l'opinion pour pouvoir do« miner toutes les résistances, capable de diriger, de réveiller « au besoin l'initiative individuelle, en un mot de jouer en « France le rôle de la cour du banc de la reine en Angleterre. « Un pareil tribunal est tout trouvé c'est assurément le Con« seil d'État. »

En résumé, le livre auquel nous venons de consacrer ces lignes mérite, à tous égards, d'être distingué parmi les meil leurs travaux qu'ait fait éclore l'étude du droit administratif, Nous ne saurions toutefois nous empêcher de regretter qu'il n'ait cité aucun arrêt, aucun ouvrage moderne à l'appui des règles dont il présente l'exposé. Sans nier l'abus qui a été quelquefois fait des citations, nous craignons qu'il n'y ait plus d'inconvénients à les supprimer qu'à les multiplier : le premier de ces procédés a le tort d'appeler une confiance ou une défiance égale sur toutes les assertions d'un auteur, alors que cependant les unes reposent sur l'autorité de la loi ou d'une doctrine et d'une jurisprudence incontestées, et que les autres sont ou peu vent être encore dans le domaine de la controverse. Nous aimons à penser que M. Dareste reviendra ultérieurement sur le parti qu'il a pris à cet égard; nous soumettons ce souhait à ses réflexions, pour le moment où il aura à s'occuper de la seconde édition que nous prédisons sans hésitation à son excellent travail. E. REVERCHON.

BIBLIOTHÈQUE DE L'ADMINISTRATION FRANÇAISE, dirigée par M. Maurice BLOCK. TRAITÉ DE L'ADMINISTRATION MUNICIPALE, par M. SMITH, TRAITÉ DE LA POLICE ADMINISTRATIVE, par M. GRÜN. TRAITÉ DES ÉTABLISSEMENTS DE BIENFAISANCE, par M. DE LAMARQUE. (Paris, chez BergerLevrault, rue des Saints-Pères, 8.)

C'est une heureuse idée de renfermer dans une série de traités, composés chacun d'un seul volume, tout l'ensemble des matières formant l'objet du droit administratif. L'exécution de ce plan comportait deux éléments principaux : les principes, la théorie, et l'application, la pratique; le premier a été écarté par M. Block, sans doute comme entraînant des développements qui auraient augmenté le nombre des volumes. Les traités qui

ont paru jusqu'ici sont donc des ouvrages d'utilité pratique, où les questions se trouvent discutées, mais toujours au point de vue de l'usage immédiat. Ils ont les qualités que comportent les livres de ce genre, la clarté, la bonne disposition, l'ordre, la sobriété, la concision; ils sont complets, et réunissent tous les documents concernant le sujet de chacun d'eux. On reconnaît à la première lecture qu'ils ont été écrits par des hommes compétents; MM. Smith et Lamarque appartiennent à l'administration, et en démontrent parfaitement les rouages et l'action; M. Grün est, depuis longtemps, apprécié par ses ouvrages sur le droit et l'économie politique. L'éditeur a débuté par trois traités qui font bien augurer du succès de son entreprise.

PARTIE ÉTRANGÈRE.

ÉTUDES SUR LE NOUVEAU CODE PÉNAL

DES ÉTATS DE S. M. LE ROI DE SARDAIGNE'.

Par M. Paul BERNARD, docteur en droit, procureur impérial
à Château-Thierry (Aisne).

PREMIER ARTICLE.

PREMIÈRE PARTIE.

De nouveaux Codes viennent d'être publiés dans les États du roi de Sardaigne; on ne lira pas sans intérêt l'exposition des principes nouveaux qu'ils contiennent, mis en regard de nos lois pénales dont de nombreux jurisconsultes sollicitent la révision.

Dispositions préliminaires.

Le Code qualifie infraction toute violation de la loi pénale (art. 1). Cette définition est précise et signale en quelques

1 Turin, imprimerie royale, 1859.

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