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Reconnaissons donc que dans l'état actuel de notre législation fiscale, les actes sous seing privé relatifs aux transmissions immobilières sont beaucoup trop favorisés, et que, quant à ceux concernant les valeurs mobilières, ils jouissent d'un privilége exorbitant, équivalant presque à une exemption totale du droit.

Mais au moins cette faveur, ce privilége, ces deux dispositions parallèles de la loi de frimaire conduisant, l'une à la perception certaine du droit, l'autre à son atténuation ou même à sa négation, se justifient-elles par quelque raison solide? Il est de principe que les charges de l'État doivent peser également et proportionnellement sur tous les citoyens; que l'impôt est la prime que chacun paye à la société pour obtenir la libre et paisible possession de son bien; que les conventions, dans leur dernière expression, qu'elles soient formées par actes publics ou par actes sous seing privé, sont protégées avec une entière et égale sollicitude, quant à leur exécution finale, par les pouvoirs publics.

Pourquoi donc cette inégalité devant la loi de l'impôt? pourquoi ces délais différents pour l'acte authentique et pour l'acte sous seing privé? pourquoi cette distinction entre les conventions immobilières et les conventions mobilières? pourquoi l'impôt armé de pénalité pour les uns et facultatif pour les autres?

Que les rédacteurs de la loi de frimaire aient admis celle distinction, cela se comprend. En l'an VII, nos législateurs, en présence de la ruine totale du crédit public et privé, étaient fondés à penser que la seule richesse positive, et par conséquent imposable, consistait uniquement dans le sol. Mais aujourd'hui l'immense développement de la richesse mobilière ne permet plus qu'elle échappe à l'impôt.

Nous demandons, en conséquence, que tous les actes sous seing privé emportant mutations mobilières ou immobilières, ainsi que toutes autres conventions, soient soumis à l'enregistrement dans la quinzaine de leur date, sous peine du double droit, le tout sous la réserve des franchises dues au commerce.

Nous avons la conviction que la seule crainte du double droit assurera l'exécution de la loi. Il existerait cependant une sanction plus efficace encore et très-légitime, et sur laquelle nous appelons les méditations du législateur : ce serait d'introduire dans la loi nouvelle les dispositions déjà renfermées dans l'ar

ticle 40 de la loi du 22 frimaire an VII et dans l'article 5 de la loi du 5 juin 1855, en décidant que tout acte sous seing privé non enregistré dans les trois mois de sa date serait nul de plein droit 1.

Nous n'ignorons pas que cette mesure peut paraître radicale et de nature à effrayer certains esprits imbus de doctrines trop puremeut spéculatives: La vente, diront-ils, est un contrat que la loi déclare parfait lorsque les parties sont d'accord sur la chose et sur le prix; ce serait donc porter atteinte à la liberté des conventions que de déclarer nul un acte sous seing privé, par cela seul qu'il n'est pas soumis à une formalité purement extrinsèque.

Mais la loi n'est-elle pas dans certains cas plus radicale encore! n'enchaîne-elle pas bien autrement la liberté individuelle, quand elle astreint, sous peine de nullité absolue, à la forme authentique, le contrat de mariage, la donation mobilière ou immobilière, l'obligation, quand elle confère hypothèque, la simple mainlevée d'un privilége ou d'une inscription hypothécaire? et n'est-il pas tout au moins bizarre qu'on puisse, en vertu d'un acte sous seing privé, inscrire un privilége, alors que la radiation ne peut en être opérée qu'en vertu d'un acte authentique? n'est-il pas plus anormal enfin, qu'en présence de ce privilége si légèrement inscrit, la simple hypothèque conventionnelle, qui ne prend rang qu'après lui, ne puisse être requise qu'en vertu d'un titre public? Nous serions, certes, plus logiques en demandant cette forme pour tous les actes qui intéressent la propriété immobilière, mais notre qualité de notaires nous commande la réserve sur ce point, bien que de semblables dispositions aient déjà pris rang dans les législations de plusieurs pays voisins.

Tout au moins, on ne saurait nier que la vente, régie par le droit civil, n'ait besoin d'un acte quelconque pour en assurer la preuve, puisque, pas plus que le bail, elle ne peut être constatée par témoins et qu'elle trouve sa sanction effective, comme tous les autres contrats, dans l'institution des pouvoirs publics. De là cette conséquence qu'il est juste que celui qui contracte sous l'égide de l'autorité commence par ne pas se soustraire à

1 Des dispositions, analogues à celles que nous réclamons, existent dans les lois anglaises.

l'impôt légalement dû à l'État. Qu'on ne l'oublie pas d'ailleurs, cette nullité serait purement facultative, puisqu'il dépendrait entièrement des parties de l'éviter.

Tels sont les motifs qui nous paraissent justifier les modifications que nous sollicitons. Les résultats financiers, nous en sommes certains, en seraient incalculables. De graves considérations empruntées à un ordre d'idées puisé dans la nature des choses et dans l'état actuel de notre société, proclament bien haut la nécessité de la mesure proposée.

Depuis l'an VII, la propriété foncière a supporté la plus notable partie des charges de l'État. C'est par elle qu'a grandi et s'est développée cette fortune mobilière qui rayonne aujourd'hui sur le monde entier par ses immenses entreprises. Il est donc juste et moral que l'impôt se répartisse également entre ces deux sources de prospérité.

BIBLIOGRAPHIE.

TRAITÉ THÉORIQUE ET PRATIQUE

DES PREUVES EN DROIT CIVIL ET EN DROIT CRIMINEL,

Par Édouard BONNIER, professeur à la Faculté de droit de París, 2 vol. in-8°. Paris, Durand, libraire-éditeur, 3o édition.

Compte rendu par M. FRÉGIER,

président du tribunal de première instance de Sétif (Algérie).

Un livre bien pensé et bien écrit, théoriquement et pratiquement utile, s'adressant tout à la fois au jurisconsulte et au magistrat, au philosophe et au moraliste, quelle meilleure aubaine pour la critique sincère, impartiale et juste!

Aussi n'avons-nous garde de la laisser échapper, et nous la saisissons avec d'autant plus d'empressement qu'à notre connaissance il ne lui a pas encore été rendu pleine justice.

L'ouvrage de M. Bonnier est un peu dans l'ordre juridique ce qu'est dans l'ordre métaphysique le chef-d'œuvre de Male

branche, la Recherche de la vérité, et loin de lui reprocher, avec quelques critiques, d'avoir, dans son introduction et çà et là dans le cours de l'ouvrage, touché aux matières purement philosophiques, nous l'en félicitons sincèrement; comment, en effet, dans un ouvrage qui a pour objet la découverte de la vérité judiciaire, non par des preuves simplement matérielles ou légales, mais par des preuves rationnelles et morales, ne pas coudoyer à chaque pas les règles de la logique et les principes de la morale et de la psychologie? Qu'on se rappelle le mol célèbre de Bacon : « Il n'y a pas d'île dans le domaine de l'intelligence.» A notre avis, jamais ce mot ne put être plus justement appliqué.

Abordons maintenant l'examen du livre de M. Bonnier.

Qui n'a lu en tête de bien des ouvrages modernes ou contemporains qui ont la prétention (la prétention, et rien de plus!) d'être écrits pour les savants et pour les ignorants, pour les commençants (tirones) comme pour les hommes depuis longtemps versés dans les secrets de la science qu'ils veulent enseigner, cette épigraphe devenue banale à force d'être citée :

Indocti discant et ament meminisse periti!

M. Bonnier, hâtons-nous de le dire, car rien ne sied au véritable mérite comme la véritable modestie, M. Bonnier a mieux fait que cela: il a fait fi de l'épigraphe, et prouvé que son livre en était digne à tous égards.

Nous venons de lire et de relire, en nous promettant bien de les relire encore, les deux volumes que le savant professeur a consacrés à l'une des matières les plus vastes, les plus variées, les plus élastiques, et par suite les plus difficiles du droit; ajoutons sans crainte, les plus compréhensives pour ceux qui, comme lui, entreprennent de les traiter non-seulement au point ⚫ de vue exégétique, mais encore au point de vue historique, et dans ses relations de différences, d'analogie et d'identité avec les législations étrangères.

Dans ses précédentes éditions, M. Bonnier n'avait pas ou presque pas comparé notre droit en matière de preuves avec le droit des autres nations; nous lui savons d'autant plus gré de l'avoir fait dans celle-ci que cette comparaison était tout autrement difficile que celle faite ou plutôt tentée par nos

anciens auteurs entre notre droit et le droit romain. Lisez les auteurs les plus connus et les plus estimés qui ont écrit dans l'ancien droit la monographie des preuves, Danty, Boiceau, Gabriel et leurs annotateurs, ou bien encore ceux qui, comme Jousse, Muyart de Vouglans, Pothier, ont eu l'occasion de s'en occuper, per transitum, dans des traités généraux de droit criminel ou civil, vous n'hésiterez pas à affirmer que c'est à peine si l'on y trouve autre chose que de rares et incomplets rapprochements sur notre sujet entre le droit de Rome et le droit de la France. Je ne parle pas des jurisconsultes du XVIe siècle, tels que Mascaus, Menochius, Julius Clarus : ils ont apporté dans le commentaire du titre De probationibus du droit romain et du droit canonique ces vues étroites et mesquines qui n'ont cédé que bien plus tard le pas à la large et rationnelle méthode des écoles modernes en général, et en particulier de l'école historique.

M. Bonnier, en tant du moins que le permettaient les limites d'un sujet restreint en soi, quoique immense par ses divers points d'affinité et de contact avec les matières les plus importantes du droit, nous parait, sinon appartenir exclusivement, du moins se rattacher à cette école dans ce qu'elle a de plus universellement accepté, mais élargie et perfectionnée par l'influence d'un certain esprit de critique et de dogmatisme que nous appellerions volontiers l'application dans une juste mesure de l'esprit philosophique à l'étude du droit.

C'est ainsi que dans sa trop courte introduction, il y a telle pensée, telle page sur la nature et la génération de la preuve in abstracto, et spécialement de la preuve juridique, qui accusent en même temps les études, la manière et le style d'un homme habitué de longue main à vivre dans l'illustre compagnie de commentateurs comme Cujas et Vinnius, de philosophes comme Bacon et Reid, de publicistes, philosophes et jurisconsultes comme Domat, Montesquieu et Bentham.

Et remarquez que ce que nous disous de l'introduction nous pourrions, sous plus d'un rapport, le dire également du corps de l'ouvrage lui-même. Presque partout, à côté du jurisconsulte nourri, comme le voulait le poëte, des fortes études du texte, de la doctrine et de la jurisprudence, et abreuvé des limpides eaux de la source sacrée, se révèle le moraliste chrétien, le philosophe bienveillant, nous allions ajouter humanitaire,

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