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L'administration de l'enregistrement elle-même a reconnu, par une délibération du 14 juillet 1824, qu'un contrat de mariage portant: « Les futurs époux se font donation entre-vifs, irrévocable, et au survivant d'eux ce acceptant respective«ment, de la totalité des bénéfices de la communauté, » ne contenait qu'une convention entre associés.

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Elle a bien changé d'opinion depuis. Je crois que c'est alors qu'elle avait raison.

13. En effet, les donations sont au nombre des contrats, et par conséquent, d'après l'article 1107 du Code Napoléon, soumises aux règles générales du titre Des Obligations conventionnelles (sauf les dérogations résultant du titre spécial aux donations). Elles sont donc soumises aux règles de l'interprétation des conventions; à l'article 1156, à l'article 1158; et quand on trouve, dans un contrat de mariage qui se sert du mot donation pour qualifier de simples gains de survie permis sous la forme de convention et sans lesquels peut-être le mariage n'eût pas été contracté quand on y trouve de vrais contrats aléatoires permis en cette matière et plus favorables au mariage que la donation proprement dite, il faut juridiquement rejeter le mot donation, parce que l'article 1156 impose à l'interprète des contrats le devoir de s'arrêter plutôt à l'intention commune des parties qu'au sens littéral des termes; or, comme les conventions qui font gagner à un époux tout ou partie de la com-. munauté conviennent encore plus à la matière du Contrat de mariage que les donations proprement dites, on doit appliquer aussi à l'interprétation la règle de l'article 1158.

14. Outre cette raison, il y en a une bien plus puissante : c'est le texte de l'article 1525: « Il est permis aux époux de stipuler..... » Or, dans la donation comme dans tout contrat synallagmatique, il y a promesse d'une partie et stipulation de l'autre. Quoi qu'on en puisse dire, les conventions matrimoniales, même les avantages matrimoniaux, comme les inégalités de parts, et même, le dirai-je? les donations proprement dites entre époux par contrat de mariage, c'est-à-dire celles sur lesquelles la loi ordonnait le retranchement de la réserve au profit des enfants du mariage, font, dans la vérité, partie d'un contrat à titre onéreux, le mariage, par lequel chaque époux aliène sa liberté pour acquérir une existence nouvelle, pour devenir chef de famille, pour s'imposer des devoirs nou

veaux, utiles et nécessaires à la société politique dont elles sont le soutien. Le contrat préliminaire par lequel on règle les conditions de ce mariage quant aux biens et à leurs éventualités est certes encore en lui-même un contrat à titre onéreux. Tout le monde sait que même ce qu'on y appelle donation a été plus souvent demandé et stipulé qu'offert Ainsi, même en contrat de mariage, si l'on veut porter ses regards jusqu'au fond des choses, nulle donation n'est purement gratuite, et toute donation y est stipulée par le donataire, comme toute donation y est offerte et promise par le donateur.

Done, quand un futur époux offre au mariage que les bénéfices de communauté appartiennent au survivant, et que l'autre les stipule à son profit, qu'importe-t-il alors que le rédacteur de la convention se serve, même dans la phrase directe, du mot convention, ou qu'il ait employé le mot donation, soit pour flatter l'amour propre des parties par des termes qui sentent plus l'affection que le marché; soit par ignorance, par inadvertance, ou parce que, dans sa pensée erronée, on est libéral quand on concède plus que le partage égal? La différence d'expression ne doit produire aucune différence sur la perception, puisque la STIPULATION est un terme générique qui comprend la demande d'une partie, soit dans les contrats à titre gratuit, soit dans les contrats à titre onéreux, et que la loi ne distingue pas si les bénéfices de communauté sont stipulės sous le titre de convention ou sous le titre de donation dans l'un et l'autre cas, c'est toujours LA STIPULATION PRÉVUE par l'article 1525. Il est certain qu'aucun époux ne dispose par là d'aucun bien qui lui soit propre, d'aucun bien qui doive lui advenir par des causes extérieures à la société que tous deux veulent établir entre eux; il est certain qu'il n'y a rien là d'offert ni de stipulé que l'expectative pour le survivant de la totalité des fruits de la collaboration commune. Donc, quelque titre qu'on donne à la clause, donation ou convention, elle est tou jours identique, elle a toujours les mêmes résultats.

Dans un cas comme dans l'autre, il n'y a pas de mutation; dans un cas comme dans l'autre, ce n'est pas à titre transmissif que l'époux survivant reçoit la totalité des bénéfices : il les reçoit toujours comme chose à lui appartenant exclusivement. dans le partage futur. Il est réputé en avoir toujours eu la propriété par la force du contrat même, et dès l'instant de la

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célébration du mariage, qui a communiqué toute sa force au

contrat.

15. En effet, pendant le mariage, tous les bénéfices ont été acquis pour le survivant, en vertu du principe dominant de l'article 711 écrit à la tête du livre III du Code civil: « La pro. "priété des biens s'acquiert par l'effet des obligations; » — en vertu encore du troisième alinéa de l'article 1181, qui, d'après l'article 1107, est sous-entendu dans tout le titre du Contrat de mariage, et qui porte : « L'obligation [contractée sous une con«dition suspensive] a son effet du jour où elle a été contractée. » - Ainsi, jamais dans ce pacte, qu'il ait été fait sous le titre de convention, de donation éventuelle, sous celui d'exclusion pour le prémourant des bénéfices de communauté, ou de renonciation par le prémourant auxdits bénéfices pour lui et les siens, jamais les bénéfices n'auront appartenu au prémourant de qui ils auront été stipulés au profit du survivant; ces bénéfices auront, dès le principe, appartenu au survivant; le nom du propriétaire en aura été en suspens pendant toute la durée de la communauté; et cela, sans danger pour le public, puisque la communauté a un maître ou chef dans le mari qui dispose des bénéfices et des acquêts, et qui administre les biens de la communauté comme s'il en était propriétaire.

Si le nom du propriétaire de la communauté est toujours demeuré en suspens depuis le contrat de mariage, et qu'il ne soit connu et déterminé que par l'événement du prédécès de l'autre conjoint, il ne peut pas y avoir eu mutation d'un propriétaire à l'autre.

16. Qu'on ne m'oppose pas que le droit français permet les donations de biens à venir par contrat de mariage.

J'accorde que la donation de biens à venir entre futurs époux par leur contrat de mariage, sous la condition de survie du donataire, est une vraie donation, quoiqu'elle laisse au donateur la faculté, selon sa capacité civile, de jouir et des biens présents et des biens à venir, et même de les épuiser par des dispositions à titre onéreux : mais aussi il les a tous acquis par un mode civil d'acquisition, ou avant le mariage, et alors il en est propriétaire en vertu des modes d'acquisition qui l'avaient investi; ou depuis le mariage, par succession, donation entrevifs, legs ou autrement: or, dans les deux cas, la propriété des biens acquis a reposé sur sa tête par l'effet de la saisine légale

pour les biens acquis par successions; par l'effet de la saisine de droit pour ceux acquis par donations ou par la transmission de propriété que produisent les legs et les conventions. Ces biens qui arrivent à l'époux donataire par le prédécès de son conjoint ont donc été réellement la propriété de celui-ci; et c'est parce qu'ils étaient devenus sa propriété, et qu'il a pu donner ce dont il était devenu propriétaire dans le temps intermédiaire de la donation à l'événement, qu'il a pu les donner éventuellement. Il y a donc véritablement, dans la donation des biens à venir par contrat de mariage, mutation de propriétaire, dont l'enregistrement est forcé de reculer le recouvrement jusqu'à l'événement qui détermine s'il y a mutation.

17. Mais je réponds que lors même qu'on se servirait des mots « donation de la totalité de la communauté au survivant,» ou de ceux-ci : « donation de la totalité des bénéfices de la communauté, dans un contrat de mariage, ce ne serait pas là une donation de biens à venir dont le donateur, le cas échéant, aurait été propriétaire à une époque quelconque.

Non; car, dans le premier cas, ce n'est pas même une donation de biens à venir; c'est l'attribution exclusive au survivant d'un droit incorporel que le mariage va créer re ipsâ; c'est le don d'une universalité de biens qui va se former, mais qui n'existe pas avant le mariage, et à laquelle le prétendu donateur rénonce au profit du prétendu donataire éventuel, à l'instant même de la création de cette universalité. Le prétendu donateur ne l'a acquise de personne; il est contraire à la nature des choses qu'il la transmette. Au fond, si son prédécès arrive, il s'est donc personnellement exclus des biens à acquérir, à la charge par le survivant de rembourser apports et capitaux et d'en acquitter toutes les dettes. S'il s'en est exclus, il n'en a jamais été propriétaire; les biens actifs ou nets composant la communauté ne lui ont jamais appartenu; donc, il n'y a pas eu, à son décès, mutation d'un propriétaire à l'autre.

Dans le second cas, « donation de la totalité des bénéfices, » il en est de même. On n'a l'air de donner ici que le résultat net de la communauté; mais dans la vérité, on n'en donne pas moins l'universalité dont les bénéfices se dégageront par la liquidation. Toute autre interprétation serait une subtilité indigne du droit français. Mais même avec cette interprétation, on ne saurait faire rentrer l'espèce dans les donations de biens

à venir permises aux époux! Non, car les revenus et les travaux des époux tombant de droit dans la communauté ont appartenu, non à chaque époux, mais à la communauté, par la force de la loi qui les y place : donc, si la communauté a acquis des biens constituant ses bénéfices, ils ne sont jamais entrés dans le domaine du prémourant; sa mort a fixé la propriété des acquêts sur la tête du survivant. Donc, ce n'est pas par mutation, mais par l'effet rétroactif de l'article 1381, que la totalité appartient au survivant. Donc aucun droit proportionnel de mutation n'est dû par le survivant.

Tout cela revient à dire que le mot donation n'est qu'un mot illusoire et vide de sens dans les stipulations de la totalité de la communauté au profit du survivant des époux, dans les con trats de mariage.

18. J'ai dit dans les contrats de mariage, car il en serait autrement de la donation entre époux pendant le mariage, si le contrat de mariage avait stipulé expressément ou virtuellement l'égalité de part, et que l'un des époux fît, pour le cas de son prédécès, donation à l'autre de sa portion personnelle dans la communauté; il y aurait vraie donation, puisqu'il transférerait gratuitement à l'autre, pendant le mariage, un droit incorporel acquis par contrat de mariage.

19. Je n'ai fait l'observation précédente que pour ne pas laisser derrière moi l'objection; mais je dois aussi faire ici une observation plus générale. Les mariages sont si utiles à l'État et au bon ordre de la société civile que les lois fiscales elles-mêmes sont plus douces pour les époux que pour les collatéraux. C'est une raison de plus pour ne pas interpréter les lois de manière à charger les époux survivants des droits fiscaux qui ne résultent pas expressément de la lettre de la loi, et qu'on n'en déduit que par des subtilités. Puisque l'article 1525 place, par son texte, la stipulation des bénéfices de communauté au nombre des conventions de mariage et entre associés, et les met par conséquent au nombre des actes qui règlent d'avance le mode de partage et ne doivent pas de droit proportionnel de mutation après dècès, il en faut conclure que, non-seulement le nom que le rédacteur donne à l'acte est insignifiant, mais encore, qu'il ne faut pas amoindrir le bienfait de' la loi par des argumentations subtiles sur les circonstances.

20. Si j'ai bien la les arrêts de la Cour de cassation, il me

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