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bosquets, qui sont entre l'Arve et le chemin. Ces bosquets parent d'un beau vert de petites collines, aux pieds desquelles serpentent des ruisseaux d'une eau limpide. On y voit des tapis frais, et des réduits où l'imagination place le repos et la volupté; mais la montagne auprès de laquelle est adossé Maglan, présente un contraste bien frappant : elle ressemble à une muraille taillée à pic, dont les ruines menacent cette ville. On y voit des rocs détachés, qui ont roulé jusqu'au milieu des prairies. Cette idée m'affligea. Je songeai à ces habitans si honnêtes si paisibles; à leurs femmes si douces, si laborieuses; à leurs pauvres enfans, menacés d'être un jour écrasés par la chute de ces rochers. Mais que dis-je? un jour notre globe sera brisé, mis en poudre; une conflagration générale anéantira l'espèce humaine, réflexion bien triste pour les amans de la gloire. Nous couchâmes à Maglan; le lendemain, les épaules de Bodley étant en meilleur état, nous partîmes au point du jour pour Salanches 'en approchant, nous découvrîmes le Mont-Blanc, ce colosse de glace dont la vue étonne l'imagination même.

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Salanches est une ville ancienne dont les bourgeois sont seigneurs. Le droit de bour

geoisie s'y achète quarante-cinq livres. Vingtquatre conseillers gouvernent avec quatre syndics qui sont à leur tête. Il y a aussi dans cette petite ville un chapitre fondé depuis près de sept cents ans, composé d'un doyen gentilhomme, de douze chanoines et de quatre prêtres d'honneur. Les environs de cette ville sont champêtres, les montagnes très-pittoresques : l'on y voit de beaux rochers, des précipices, des cascades, de jolis détours, et des pâturages de chamois.

Après une longue marche, où Édouard Bodley se plaignit de la douleur de ses épaules, nous parvinines au village de Clède. De cette hauteur, notre vue plongea sur l'Arve: long-temps renfermée entre d'énormes rochers, on la voit se presser, écumer, bondir, et tomber dans le sein de la vallée qu'elle arrose, embellit et ravage. Des vignobles que l'on traverse contrastent fortement avec les noirs sapins dont les monts sont revêtus.

Un paysan de ce village demanda à myJord, s'il y séjourneroit? « Dans ce petit endroit! non, répondit mylord ». Le paysan, à cette phrase, balança la tête, en marmottant: «Petit! petit! qu'appelez-vous donc grand? — Mais, des villes. C'est-à-dire des mon

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Ecaux de pierres, des vases étrusques, des pierres tombales?... Pas tout-à-fait. Petit! où il y a des hommes libres! Vous pensez en Romain. Non; c'étoient des tyrans qui désoloient la terre. — Oui, sous leurs dictateurs; mais à leur berceau? C'étoient des voleurs : interrogez les manes des Véiens, des Sabins, et tout le Latium. Nous Suisses, nous sommes des républicains, des amis de la liberté et de la paix nous ne voulous ni briller, ni nous enrichir, ni nous dégrader; nous voulons être des hommes: voilà tout. Ajoutez, si vous voulez, que nous sommes des paysans, mais libres : je vends mes bestiaux, du fromage et du beurre, et Je n'ai besoin de personne ». Le savoir, le bon sens de cet homme m'étonnoient; mais inylord in'assura que l'on trouvoit en Suisse, dans la classe des montagnards, des hommes très-instruits et bons politiques.

Nous descendîmes vers l'Aive par un sentier étroit: on a jeté sur cette rivièrè un pont nommé le pont des chèvres, parce qu'il n'est composé que de deux planches, et qu'il n'y a guère que des chèvres qui osent le passer. Cette route conduit à Chamouni, et offre des beautés piquantes; on croit errer de parcs

en parcs, de rochers en rochers. Chaque pas varie le scène; mais auprès de l'Arve, on voit un tableau plus imposant: après avoir monté environ quatre - vingt - dix pas un chemin bordé de précipices, le bruit terrible des eaux nous annonça le lieu de la scène. Quel spectacle! nous voyions devant nous la rivière, irritée, s'élancer en flots écumeux de la hauteur de quatre-vingts pieds, avec un bruit épouvantable: les rochers qu'elle frappe en sont ébranlés, les arbres agités. Des rocs minés s'écroulent avec fracas, et entraînent avec eux d'autres rochers. Quoiqu'élevés de soixante pieds au-dessus de cet ouragan terrible, nous sentions l'agitation de l'air; nous étions enveloppés de nuages, de bruine et de vapeurs, qui, du fond de l'abîme, montoient en tourbillons. Silencieux, nous contemplions ce phénomène avec une espèce de frissonnement et de stupeur; seulement, par intervalles, nous nous écriions: « La belle horreur! quel spectacle terrible »! Nous ne pouvions quitter ce lieu; nous allions, nous venions, attirés par la sublimité du tableau. Il fallut pourtant s'éloigner, et nous résolûmes, pour abréger, d'aller passer le pont des chèvres. Nous le trouvâmes très - délabré; une des deux planches

avoit été emportée, et l'autre menaçoit de l'être. La rapidité de l'eau, l'oscillation de cette planche nous firent pâlir d'effroi; nous nous arrêtâmes pendant que nous délibérions, le mulet de John, valet - de - chambré de mylord, prend son parti sans nous consulter; il s'approche du pont, et, malgré les cris et les efforts de John épouvanté, l'animal met le pied sur la planche; les autres mulets suivent malgré nous. Un morne silence succède à nos cris: chacun de nous, serré contre l'animal, croyoit toucher à son dernier moment. Ma pensée me représenta la douleur, le désespoir de ma chère Blanche. « O ma tendre amie, me disois-je ! que deviendras - tu, je péris »? Cependant nos mulets, accoutumés à cette route, posent le pied avec adresse, alongent, ou raccourcissent leurs pas, suivant la nécessité; enfin, nous nous trouvâmes sur le bord opposé, sans autre accident que celui de la peur. Nous nous félicitâmes d'être échappés à un danger si imminent; nous eûmes recours au flacon d'eau-de-vie, pour rétablir nos forces, sur-tout celles du pauvre John, encore tout pâle et palpitant. Nous reprîmes la grande route, qui devenoit toujours plus escarpée; les collines, les vergers qui nous avoient

si

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