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Mais à l'humanité, si parfait que l'on fût,
Toujours par quelque foible on paya le tribut.

Ce généreux mylord ne sait obliger qu'en ouvrant sa bourse; s'il faut solliciter, agir, prendre quelque peine, il n'en a pas la force, il y renonce il l'avoue, se blâme, veut se relever et retombe. Une autre inconséquence de son caractère il convient philosophiquement que les hommes sont égaux, et il tient beaucoup à sa noblesse. Il s'est marié, non par goût, pour s'associer une compagne aimable, car il prétend qu'un homme d'esprit doit se suffire à lui-même, mais par attachement pour son nom, pour perpétuer la gloire de sa famille. Son premier enfant fut une fille, il en fut presqu'inconsolable: le second accouchement de mylady couronna ses voeux ; il eut un héritier. Quand sa femme fut relevée de couche, il lui dit: «Ma chère amie, nous avons vécu deux ans ensemble, dans la plus douce intimité, et nous avons épuisé la coupe du plaisir; j'ai toujours regardé le mariage comme une chaîne contraire à la nature, et peu proportionnée à la foiblesse et à l'inconstance de l'homme. Ne soyons pas esclaves des conventions sociales; adoucissons notre joug; après avoir donné deux ans à l'hy

men, vivons aujourd'hui pour l'amitié; partagez ma fortune et ma liberté. Je vais voyager; vous me joindrez quand bon vous semblera; vous me quitterez à votre volonté : je vous reverrai toujours avec plaisir; mais je puis être heureux sans vous. Mylady souscrivit au traité. Il faut maintenant mettre en regard son portrait avec celui de son époux. Mylady est grande, bien faite, moins jolie que belle; d'une physiononie plus imposante que douce et sensible. Son esprit est juste, naturel et facile; son imagination, vive et féconde. Sans avoir une grande étendue de connoissances, elle sait bien ce qu'elle a appris. Quand elle lit un livre, elle l'étudie. Elle a secoué quelques préjugés, pervertie par la philosophie de mylord. Elle n'a pas grande idée des dames françaisès, qu'elle nomme de jolies babioles. Elle prétend qu'elles ont plus de vanité que d'orgueil, moins d'esprit que de vivacité, et plus d'imagination que de jugement. Elle ajoute qu'elle n'a trouvé dans Paris que des virtuoses de musique et de danse; et quant à l'instruction, elle en fait petite part à nos dames. Elle attribue sur ce point beaucoup de supériorité aux dames anglaises et allemandes. Mylady a un grand caractère, une ame forte et généreuse. Un Anglais, dit-on, lui faisoit sa

cour, et étoit aimé : cet homme avoit eu des liaisons très-tendres avec une jeune miss, qui l'avoit écouté, sous promesse, ou du moins sous l'espérance du mariage. Cette Ariane abandonnée gémissoit, dépérissoit tous les jours. My lady, apprenant son intrigue et son malheur, congédie ce nouveau Thésée, et le menace de son indignation, s'il n'épousoit l'infortunée miss; et pour faciliter ce mariage, elle fait présent à la future, dénuée des biens de la fortune, d'une somme de mille guinées.

Voici un autre trait qui réclame l'indulgence pour ses foiblesses. Elle étoit aux eaux de Bath, jouissant de tous les plaisirs que lui procuroient son rang, sa jeunesse, son opulence et l'attachement d'un nouvel adorateur. Une lettre arrive qui change tout. Mylord est dangereusement malade à Paris de la petite-vérole; la nouvelle parvint à huit heures du soir; à dix heures elle étoit dans sa voiture. Elle court, s'embarque, traverse le détroit, marche nuit et jour, arrive chez mylord qui étoit dans la crise violente de l'éruption, et tout couvert de la malignité du mal: elle se précipite dans ses bras, chasse le médecin qui le traitoit selon la méthode française, appelle un simple chirurgien, fait ouvrir les fenêtres, gouverne son mari selon le sys

téme anglais, passe neuf jours dans sa chambre, l'arrache au trépas, et à son tour devient la proie de cette maladie. Le danger est imminent soupçonnant sa situation, elle ordonne à son chirurgien et à sa femme-de-chambre, de lui déclarer la vérité; on ne lui cèle point que la mort la menace. Elle mande un notaire, fait son testament en faveur de mylord, car des héritages l'avoient enrichie, échappe à la mort, et retourne à Londres auprès de son amant. Quel caractère! quel mélange étonnant de foiblesse et de courage, de vertus et de fautes! Ce problème m'a occupé bien souvent; voici le résultat de mes réflexions. Tout ce qui est justice, bienfaisance, courage, émane de son cœur; ses erreurs sont le tort de son esprit, qui regarde comme préjugés les loix de la société, et les vertus locales qui ne tiennent qu'à l'opinion, et qui contrarient la nature.

Mais les chevaux sont à la porte; ils hennissent, du pied frappent la terre, et appellent les voyageurs. Vale: te amo, te diligo plurimùm. A mon retour,

Mon voyage dépeint

Vous sera d'un plaisir extrême;
Je dirai : J'étois là; telle chose m'avint :

Vous y croirez être vous-même.

N

NOTE S.

(a) On trouve dans les registres de Genève des détails singuliers, qui prouvent l'excès de la dépravation des mours. Les femmes prostituées étoient logées dans un quartier séparé, et vivoient sous l'inspection d'une surintendante, qu'on appeloit reine de B***. Elle prêtoit serment à l'état. Le registre du14 mars 1504, contient ces mots : Fuit creata regina meretricum, quæ juravit in formá sub conditionibus in capitulis exaratis. Ces établissemens durèrent jusqu'au moment de la réformation.

(b) On peut comparer Jean de Bogny à Jacques Amiot, fils d'un cordonnier de Melun. Amiot s'échappa fort jeune de la maison de son père, s'égara et tomba malade en chemin : un gentilhomme en eut pitié, le prit en croupe, et le mena à l'hôpital d'Orléans. Après sa guérison, on le congédia en lui donnant 12 sous. Ce fut en reconnoissance de cette charité, qu'étant devenu grandaumônier de France et évêque d'Auxerre, il légua 1,200 écus à cet hôpital d'Orléans.

(c) L'auteur d'une vieille Chronique parle ainsi de cet Amédée :

« Le duc Amédée, suivant sa résolution de laisser le monde pour vivre en solitude, et servir Dieu plus à loisir, sans s'être découvert de son intention, fors qu'à

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