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duc de Savoie; les Génevois n'en perdirent que treize, et n'eurent que trente blessés. Bèze étoit si vieux, qu'il n'entendit aucun bruit; le lendemain il monta en chaire, prêcha un sermon en action de grâce, et fit chanter le cent vingt-quatrième pseaume: la ville a retenu cet usage, et célèbre tous les ans l'anniversaire de cette escalade. Quelle est cette soif inextinguible de domination et de puissance ! ou plutôt quelle est cette inquiétude funeste qui agite l'homme ! Pour la satisfaire, il faut qu'il tourmente ses semblables, les combatte, les égorge. O miseras mentes hominum! Quelle gloire que celle des armes, où le hasard, la férocité, l'ivresse plus que le vrai courage, donnent presque toujours la victoire! Ces champs prétendus d'honneur, où ont triomphé si souvent les Tottila, les Attila, les Marius, les Marc-Antoine, les Tamerlan, les Gengiskan, me paroissent mériter plutôt le nom de champs du brigandage.

D'une goutte de sang vous nous demandez compte;
Vos loix aux meurtriers prodiguent des tourmens,
Assassins de l'Europe! et vous n'avez pas honte
D'en verser des torrens!

Quoi ! le meurtre d'un peuple honoreroit son maître !
L'homme n'a que son sang, on le traîne au trépas;

Vils flatteurs, arrêtez; la gloire peut-elle être
Où la vertu n'est pas ?

Adieu, mon cher frère. Nous, citoyens obscurs, cultivons sagement l'olive de la paix.

LETTRE

VI,

DE DELMONT L'AINÉ A SON FRERE

ADOLPHE.

Récit de ce qui s'est passé chez le père de Blanche, après son départ.

De Lyon.

MON silence, mon cher frère, aura augmenté vos inquiétudes; mais je suis resté six jours. sans nouvelles de ce qui s'étoit passé chez Bertaut, au départ de sa fille. L'intéressante et magnanime Julie, à qui vous devez tout, n'osoit sortir de peur de fixer les soupçons surelle; enfin, chargée d'une commission de la dame Philippine, elle est venue chez moi, et voici son récit: «Le jour de votre fuite, la duègne Brigitte, rétablie par le sommeil et un déjeû→ ner restaurant, se rendit à l'heure accoutumée

à la chambre de Blanche: la porte étoit ou¬ verte; elle s'étonne, elle entre, appelle et va droit au lit; il étoit vacant. Le trouble la frayeur la saisissent; elle court effarée dans la maison, la fait retentir du nom de Blanche, et va chez Julie, qui, ayant retardé son lever, feignoit de dormir, lui apprend, tout essouflée, que mademoiselle n'est point dans sa chambre, qu'elle est perdue. « La chose est impossible, s'écria Julie; il faut la cher¬ cher ». Elle s'habille à la hâte, vient, pâle et consternée, chez Bertaut, lui annonce l'évasion de sa fille, en s'écriant: «Qui le croiroit! une demoiselle si honnête, si bien élevée, entourée de si bons exemples!... » Bertaut, blême d'étonnement et de colère, s'agitoit, juroit pestoit. Julie lui dit qu'il falloit visiter toute la maison; on suit son conseil. Bertaut, les domestiques, Julie à la tête, vont de la cave au grenier, fouillent armoires, bouges, coins et recoins; mais la colombe s'étoit envolée. Bertaut, désespéré de l'inutilité de ses recherches, envoya prendre sa bonne amie, la dame Wandsieden; elle accourut avec son frère. Quelle désolation! quels regrets! quel désespoir! lorsqu'ils virent que la proie leur étoit échappée! Au milieu de cette crise de dépit et de

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douleur, la dame Brigitte est mandée ; elle entre éperdue, la pâleur sur le front et la coiffe de travers. Dès que Bertaut l'aperçoit, il s'élance sur elle. « Ah! coquine, ah! scélérate, où est ma fille? Viens que je t'étrangle »>! Et en effet, il l'auroit étranglée, si on ne l'eût retenu. La malheureuse duègne appeloit au secours, crioit : « Monsieur, ce n'est pas ma faute; je suis innocente ». Bertaut n'écoutoit que sa colère; mais la belle veuve a interposé sa médiation, et son doux ami s'est appaisé. Julie alors a ouvert l'avis lumineux d'aller à la poste aux chevaux, pour s'informer si une jeune personne ne seroit point partie dans la nuit avec un jeune homme. Ce trait de lumière a éclairé tous les esprits; on monte en voiture, on court à la poste, et l'on apprend qu'en effet à minuit nos amans étoient partis dans un cabriolet. Bertaut et Bonnard vouloient courir après eux; mais on leur a fait entendre qu'ils ne pourroient les atteindre. On revint tristement au logis. Bertaut arrêta à dîner le couple chéri : pendant le repas, il chargeoit sa fille de malédictions, juroit que Delmont ne périroit que de sa main. Le pauvre. homme! La dame Wandsieden déployoit son éloquence pour le calmer: elle l'invitoit à

manger, le supplioit de ménager une santé si précieuse, et puis ajoutoit qu'il falloit se résigner aux volontés du ciel. L'intrépide Bonnard juroit par l'ame de ses aïeux, de se venger de son rival; mais la colère et le désir de la vengeance sembloient aiguiser son appétit; il dévoroit. Madame de Saint-Omer, mandée par son frère, est arrivée au café: Bertaut lui a annoncé la fuite de sa nièce; elle a feint la surprise avec beaucoup de vérité. « Je ne puis le croire, disoit-elle; où voulez-vous qu'elle soit allée ? A Genève, avec ce traître de Delmont. Quel conte! c'est

pure calomnie. Je vous dis qu'elle est partie à minuit avec ce scélérat.

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Vous vous

égosillez vainement; j'en doute encore. → Vous avez le diable au corps. Pour vous le prouver, je vais l'attaquer en justice, le poursuivre pour crime de rapt. Ne faites pas

cette sottise; vous en seriez pour vos frais et pour votre réputation.-Ma réputation ! pourquoi, madame? - Delmont se défendroit ; on sauroit que vous abusiez de votre autorité; que vous abreuviez votre fille de chagrins, et que vous vouliez la sacrifier. Sachez que, si les enfans doivent le respect et l'obéissance aux auteurs de leurs jours, ceux-ci leur doivent

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