Imágenes de página
PDF
ePub

rature. Ils sont honnêtes, fidèles, très-attachés à leur religion, économes et fort charitables. Les orphelins et les vieillards, qui n'ont aucun moyen de subsistance, sont nourris alternativement par tous les habitans de la paroisse qui les gardent un certain temps, ensuite les remettent à d'autres, et puis leur tour recommence. Si un homme , par ses infirmités ou son grand âge, ne peut faire valoir son bien, ses voisins s'entendent entr'eux pour le cultiver. Il y a quelques années que l'Arve avoit. couvert de pierres et de gravier les possessions d'un paysan qui en fut ruiné. La communauté entière demanda au curé la permission d'y travailler les jours de fêtes. Jeunes, vieux, femmes, enfans, tous labourèrent sans relâche, jusqu'à ce que le terrain eût été mis en valeur. S'il existe quelque rayon de bonheur sur la terre, ce ne peut être que dans une association semblable. Ce n'est pas que je veuille établir l'utopie de Thomas Morus; mais je voudrois que, dans un état quelconque, chacun

1 Thomas Morus veut dans sa république l'égalité des fortunes; idée absurde. Il voudroit que les fiancés se vissent tout nus avant de se marier; et que, lorsqu'un malade est désespéré, il se donnât, ou se fît donner la mort.

vécût à peu près comme son voisin, et sur-tout ne mourût pas de faim et de misère. Plus un empire est grand, plus il y a d'indigens et de malheureux, proportion gardée. L'hiver est pour ces montagnards la saison du repos, et souvent des écarts et de la paresse. Pour s'arracher au tourment de l'ennui, ils passent la plus grande partie de la journée dans le cabaret, où ils jouent très-gros jeu : plusieurs d'entr'eux s'y sont ruinés; mais ce désordre ne règne que dans les grands villages. Dans les hameaux, à l'approche de la nuit, on se réunit dans la maison ou dans la chambre à poêle la plus vaste; les femmes filent, teillent du chanvre; les hommes font des seaux, des cuillers ou d'autres petits ouvrages en bois. La maîtresse de la maison donne une collation, qui consiste dans une cruche d'eau et un bassin de

pommes sauvages cuites sous la cendre : c'est là leur opéra, leur salle de bal et leurs festins. L'esprit des habitans est vif, pénétrant, enclin à la raillerie; ils saisissent avec finesse les ridicules d'autrui, et contrefont les étrangers d'une manière plaisante. Ils réfléchissent beaucoup; la religion, la métaphysique sont les objets de leurs pensées et de leurs discours. Leurs principales récoltes sont en lin qui y prospère, en

orge, en avoine, en féves et en pommes de terre très-abondantes. Les Suisses en pétrissent une espèce de pain gluant et compacte; mais leur sobriété et la bonté de leur estomac le leur font digérer facilement. Ils divisent alternativement le terrain en prés et en champs; pendant six ans, une moitié porte des grains, et l'autre du foin.

Je finirai cette lettre par quelques réflexions sur les glaciers, que je dois à M. de Saussure. « On pourroit craindre, dit-il, que l'accumulation des glaces, qui diminuent moins en été qu'elles n'augmentent en hiver, et qui deviennent tous les jours plus solides ne finît par s'emparer de toute la contrée ; mais la nature, mère indulgente et sage, a fixé les limites de cet accroissement. Le soleil, la pluie, les vents chauds travaillent pendant l'été à les détruire, et l'évaporation, dont l'action sur la glace, et plus encore sur la neige, est très-considérable, principalement dans un air raréfié, emporte, même dans les plus grands froids, une quantité considérable de ces matières. Mais ces deux causes ne suffiroient pas pour empêcher l'accumulation des glaces, sans la chaleur intérieure de la terre, qui fait fondre les neiges et les glaces,

:

même pendant la plus grande intensité du froid, lorsque leur épaisseur est assez grande pour servir de couverture au terrain qui les soutient, et les préserver du froid extérieur: notre globe fournit un feu central (q) dont la chaleur passe pour être uniforme dans la profondeur de soixante à quatre-vingts pieds. Cette chaleur se fait sentir, malgré l'âpreté des hivers les plus froids, à tous les corps enfoncés dans la terre, ou étendus sur sa surface, lorsqu'elle est garantie des impressions du froid extérieur or, la neige et la glace sont peutêtre, de tous les corps connus, les plus impénétrables à l'action du froid ; aucun abri ne préserve plus sûrement les plantes des rigueurs de l'hiver qu'une couche de neige; elles font, sous cet abri, des provisions pour leur développement futur, en sorte qu'à l'époque où les neiges disparoissent, leur progrès, préparé par la végétation de l'hiver, se fait rapidement. Sur les Alpes, au printemps, à mesure que les neiges se retirent, on voit naître les fleurs; ainsi la chaleur souterraine agit sans interruption sur les couches de neige et de glace immédiates à la terre; c'est elle aussi qui entretient les torrens qui sortent continuellement de dessous les glaciers pen←

[ocr errors]

dant les plus grands froids. Une autre cause qui arrête l'accroissement des neiges et des glaces, c'est leur pesanteur qui les entraîne avec une rapidité plus ou moins grande dans les basses vallées, où elles fondent sous les feux de l'été ».

Voilà enfin mon voyage fini; l'un et l'autre avons besoin de repos. Cosi addio, carissimo.

LETTRE

XIV,

DE DELMONT L'AINÉ A SON FRÈRE.

Récit de la visite qu'il a reçue de Bertaut.

De Lyon.

VOICI, OICI, mon cher frère, le récit d'une scène assez plaisante. Ce matin, après mon lever, on ma annoncé monsieur Bertaut : je crois qu'à ce nom j'ai pâli; on n'est pas brave tous les jours et à toutes les heures: enfin, un peu rassuré, j'ai dit : «Donnez un fauteuil à monsieur. — vous remercie, je parlerai debout, et quand nous serons seuls. Bourguignon, sortez. Monsieur, nous yoilà sans témoins; puis-je savoir

Je

« AnteriorContinuar »