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de notre poëte; mais l'esprit, en suivant ses idées, s'ouvre et s'étend. Quand il s'agit seulement de peindre, ses tableaux sont parfaits, rien n'y manque; quand il faut instruire, ses lumieres sont fécondes, et nous y découvrons une vaste étendue de pensées, qui ne paroissent pas d'abord, et que toute son éloquence n'exprime pas. Il ne laisse rien à imaginer, mais il donne infiniment à penser. C'est ce qui convenoit au caractere du prince pour qui seul l'ouvrage a été fait. On démêloit en lui, au travers de l'enfance, une imagination féconde et heureuse, un génie élevé et étendu, qui le rendoient sensible aux beaux endroits d'Homere et de Virgile, Ce grand naturel inspira à l'auteur le dessein d'un poëme propre à le cultiver, et qui renfermeroit également les beautés de l'un et de l'autre poëte. Cette affluence de belles images y étoit essentielle pour occuper l'imagination, former le goût du prince, et lui donner la liberté de saisir, comme de lui-même, les vérités préparées à son cœur, et de s'en nourrir. On voit assez que ces beautés n'auroient pas plus coûté à supprimer qu'à produire, qu'elles coulent avec autant de dessein que d'abondance, pour répondre aux besoins du prince et aux vues de l'auteur. Cinquieme ob- On a objecté que le héros et la fable de ce poëme n'ont point jection contre de rapport à la nation françoise; Homere et Virgile ont intéressé les Grecs et les Romains en choisissant des actions et des acteurs dans les histoires de leur pays.

Télémaque.

Réponse.

Si l'auteur n'a pas intéressé particulièrement la nation françoise, il a fait plus, il a intéressé tout le genre humain. Son plan est encore plus vaste que celui de l'un et de l'autre des deux poëtes anciens : il est plus grand d'instruire tous les hommes ensemble, que de borner ses préceptes à un pays particulier. L'amour-propre veut qu'on rapporte tout à lui, et se trouve même dans l'amour de la patrie; mais une ame généreuse doit avoir des vues plus étendues.

D'ailleurs, quel intérêt la France n'a-t-elle point pris à un ouvrage si propre à lui former un roi pour la gouverner un jour selon ses besoins et ses desirs, en pere des peuples et en héros

chrétien? Ce qu'on a vu de ce prince donnoit l'espérance et les prémices de cet avenir. Les voisins de la France y prenoient déja part comme à un bonheur universel. La fable du prince grec devenoit l'histoire du prince françois.

L'auteur avoit un dessein plus pur que celui de plaire à la nation: il vouloit la servir à son insu, en contribuant à lui former un prince qui, jusques dans les jeux de son enfance, paroissoit né pour la combler de bonheur et de gloire. Cet auguste enfant aimoit les fables et la mythologie. Il falloit profiter de son goût, lui faire voir dans ce qu'il estimoit le solide et le beau, le simple et le grand, et lui imprimer, par des faits touchants, les principes généraux qui pouvoient le précautionner contre les dangers qui accompagnent la plus haute naissance et la puissance suprême.

Dans ce dessein, un héros grec et une poésie d'après Homere et Virgile, les histoires des pays, des temps et des faits étrangers, étoient d'une convenance parfaite, et peut-être unique, pour mettre l'auteur en pleine liberté de peindre avec vérité et force tous les écueils qui menacent les souverains dans toute la suite des siecles.

Il arrive, par une conséquence naturelle et nécessaire, que ces vérités universelles ont souvent du rapport aux histoires du temps et aux situations actuelles. Ces fictions indépendantes de toute application, et destinées à former l'enfance du jeune prince, renferment des préceptes pour tous les moments de sa vie.

Cette convenance des moralités générales à toutes sortes de circonstances, fait admirer la fécondité, la profondeur et la sagesse de l'auteur; mais elle n'excuse pas l'injustice de ses ennemis, qui ont voulu trouver dans son Télémaque certaines allégories odieuses, et changer les desseins les plus sages et les plus modérés en des satyres outrageantes contre tout ce qu'il respectoit le plus. On avoit renversé les caracteres pour y trouver des rapports imaginaires, et pour empoisonner les intentions les plus pures. L'auteur pouvoit-il, sans infidélité, supprimer ces maximes fondamentales d'une morale et d'une politique si saine

χχίν

DISCOURS SUR LE POEME ÉPIQUE.

et si convenable, parceque la maniere de les dire la plus sage ne pouvoit les mettre à couvert de la malignité des critiques? Notre illustre auteur a donc réuni dans son poëme les plus grandes beautés des anciens. Il a tout l'enthousiasme et l'abondance d'Homere, toute la magnificence et la régularité de Virgile. Comme le poëte grec, il peint tout avec force, simplicité et vie; variété dans la fable, diversité dans les caracteres : ses réflexions sont morales, et ses descriptions vives; son imagination féconde; par-tout ce beau feu que la nature seule peut donner. Comme le poëte latin, il garde parfaitement l'unité d'action, l'uniformité des caracteres, l'ordre et les regles de l'art; son jugement est profond et ses pensées élevées, tandis que le naturel s'unit au noble, et le simple au sublime; par-tout l'art devient nature. Mais le héros de notre poëte est plus parfait que celui de l'un ou de l'autre; sa morale est plus pure, et ses sentiments plus nobles. Concluons de tout ceci que l'auteur du Télémaque a montré, par ce poëme, que la nation françoise est capable de toute la délicatesse des Grecs et de tous les grands sentiments des Romains, L'éloge de l'auteur est celui de sa nation,

TÉLÉMA QUE.

LIVRE L

SOMMAIRE

DU LIVRE PREMIER.

Télémaque, conduit par Minerve sous la figure de Mentor, aborde, après un naufrage, dans l'isle de la déesse Calypso, qui regrettoit encore le départ d'Ulysse. La déesse le reçoit favorablement, conçoit de la passion pour lui, lui offre l'immortalité, et lui demande ses aventures. Il lui raconte son voyage à Pylos et à Lacédémone, son naufrage sur la côte de Sicile, le péril où il fut d'être immolé aux mânes d'Anchise, le secours que Mentor et lui donnerent à Aceste dans une incursion de barbares, et le soin que ce roi eut de reconnoître ce service, en leur donnant un vaisseau tyrien pour retourner en leur pays.

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