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LIVRE NEUVIE ME.

PENDAN ENDANT que Télémaque et Adoam s'entretenoient de la sorte, oubliant le sommeil, et n'appercevant pas que la nuit étoit déja au milieu de sa course, une divinité ennemie et trompeuse les éloignoit d'Ithaque, que leur pilote Athamas cherchoit en vain. Neptune, quoique favorable aux Phéniciens, ne pouvoit supporter plus long-temps que Télémaque eût échappé à la tempête qui l'avoit jeté contre les rochers de l'isle de Calypso. Vénus étoit encore plus irritée de voir ce jeune homme qui triomphoit, ayant vaincu l'amour et tous ses charmes. Dans le transport de sa douleur, elle quitta Cythere, Paphos, Idalie, et tous les honneurs qu'on lui rend dans l'isle de Cypre: elle ne pouvoit plus demeurer dans ces lieux où Télémaque avoit méprisé son empire. Elle monte vers l'éclatant Olympe, où les dieux étoient assemblés auprès du trône de Jupiter. De ce lieu ils apperçoivent les astres qui roulent sous leurs pieds; ils voient le globe de la terre comme un petit amas de boue; les mers immenses ne leur paroissent que comme des gouttes d'eau dont ce morceau de boue est un peu détrempé : les plus grands royaumes ne sont à leurs yeux qu'un peu de sable qui couvre la

surface de cette boue; les peuples innombrables et les plus puissantes armées ne sont que comme des fourmis qui se disputent les unes aux autres un brin d'herbe sur ce morceau de boue. Les immortels rient des affaires les plus sérieuses qui agitent les foibles humains, et elles leur paroissent des jeux d'enfants. Ce que les hommes appellent grandeur, gloire, puissance, profonde politique, ne paroît à ces suprêmes divinités que misere et foiblesse.

C'est dans cette demeure si élevée au-dessus de la terre, que Jupiter a posé son trône immobile. Ses yeux percent jusques dans l'abyme, et éclairent jusques dans les derniers replis des cœurs: ses regards doux et sereins répandent le calme et la joie dans tout l'univers; au contraire, quand il secoue sa chevelure, il ébranle le ciel et la terre. Les dieux mêmes, éblouis des rayons de gloire qui l'environnent, ne s'en approchent qu'avec tremblement.

Toutes les divinités célestes étoient dans ce moment auprès de lui. Vénus se présenta avec tous les charmes qui naissent dans son sein. Sa robe flottante avoit plus d'éclat que toutes les couleurs dont Iris se pare au milieu des sombres nuages quand elle vient promettre aux mortels effrayés la fin des tempêtes, et leur annoncer le retour du beau temps: cette robe étoit nouée par cette fameuse ceinture sur

laquelle paroissent les graces: les cheveux de la déesse étoient attachés par derriere négligemment avec une tresse d'or. Tous les dieux furent surpris de sa beauté, comme s'ils ne l'eussent jamais vue; et leurs yeux en furent éblouis, comme ceux des mortels le sont quand Phébus, après une longue nuit,' vient les éclairer par ses rayons. Ils se regardoient les uns les autres avec étonnement, et leurs yeux revenoient toujours sur Vénus. Mais ils apperçurent que les yeux de cette déesse étoient baignés de larmes, et qu'une douleur amere étoit peinte sur son visage.

Cependant elle s'avançoit vers le trône de Jupiter, d'une démarche douce et légere comme le vol rapide d'un oiseau qui fend l'espace immense des airs. Il la regarda avec complaisance; il lui fit un doux souris, et, se levant, il l'embrassa. Ma chere fille, lui dit-il, quelle est votre peine? Je ne puis voir vos larmes sans en être touché : ne craignez point de m'ouvrir votre cœur; vous connoissez ma tendresse et ma complai

sance.

Vénus lui répondit d'une voix douce mais entrecoupée de profonds soupirs: Ô pere des dieux et des hommes! vous qui voyez tout, pouvez-vous ignorer ce qui fait ma peine? Minerve ne s'est pas contentée d'avoir renversé jusqu'aux fondements la superbe

TOME V.

E2

ville de Troie que je défendois, et de s'être vengée de Pâris qui avoit préféré ma beauté à la sienne; elle conduit par toutes les terres et par toutes les mers le fils d'Ulysse ce cruel destructeur de Troie. Télémaque est accompagné par Minerve; c'est ce qui empêche qu'elle ne paroisse ici en son rang avec les autres divinités. Elle a conduit ce jeune téméraire dans l'isle de Cypre pour m'outrager. Il a méprisé ma puissance; il n'a pas daigné seulement brûler de l'encens sur mes autels; il a témoigné avoir horreur des fêtes que l'on célebre en mon honneur; il a fermé son cœur à tous mes plaisirs. En vain Neptune, pour le punir, à ma priere a irrité les vents et les flots contre lui : Télémaque, jeté par un naufrage horrible dans l'isle de Calypso, a triomphé de l'Amour même que j'avois envoyé dans cette isle pour attendrir le cœur de ce jeune Grec. Ni sa jeunesse, ni les charmes de Calypso et de ses nymphes, ni les traits enflammés de l'Amour, n'ont pu surmonter les artifices de Minerve. Elle l'a arraché de cette isle. Me voilà confondue: un enfant triomphe de moi!

Jupiter, pour consoler Vénus, lui dit : Il est vrai, ma fille, que Minerve défend le cœur de ce jeune Grec contre toutes les fleches de votre fils, et qu'elle lui prépare une gloire que jamais jeune homme n'a méritée. Je suis fâché qu'il ait méprisé vos autels;

mais je ne puis le soumettre à votre puissance. Je consens, pour l'amour de vous, qu'il soit encore errant par mer et par terre, qu'il vive loin de sa patrie,' exposé à toutes sortes de maux et de dangers : mais les destins ne permettent ni qu'il périsse ni que sa vertu succombe dans les plaisirs dont vous flattez les hommes. Consolez-vous donc, ma fille; soyez contente de tenir dans votre empire tant d'autres héros et tant d'immortels.

En disant ces paroles, il fit à Vénus un souris plein de grace et de majesté. Un éclat de lumiere, semblable aux plus perçants éclairs, sortit de ses yeux. En baisant Vénus avec tendresse, il répandit une odeur d'ambrosie dont l'Olympe fut parfumé. La déesse ne put s'empêcher d'être sensible à cette caresse du plus grand des dieux : malgré ses larmes et sa douleur, on vit la joie se répandre sur son visage; elle baissa son voile pour cacher la rougeur de ses joues et l'embarras où elle se trouvoit. Toute l'assemblée des dieux applaudit aux paroles de Jupiter; et Vénus, sans perdre un moment, alla trouver Neptune pour concerter avec lui les moyens de se venger de Télémaque.

Elle raconta à Neptune ce que Jupiter lui avoit dit.' Je savois déja, répondit Neptune, l'ordre immuable des destins : mais si nous ne pouvons abymer Télédans les flots de la mer, du moins n'oublions

maque

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