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<< Nam facit ipsa suis interdùm fœmina factis,
« Morigerisque modis, et mundo corpore culta,
« Ut facilè insuescat secum vir degere vitam. >>>
LUCR., IV. 1273.

On peut, sans étre belle, être long-temps aimable.
L'attention, le goût, les soins, la propreté,
Un esprit naturel, un air toujours affable,
Donnent à la laideur les traits de la beauté.

L'amour-propre surtout resserre tous ces liens. On s'applaudit de son choix, et les illusions en foule sont les ornements de cet ouvrage dont la nature a posé les fonde

ments.

Voilà ce que tu as au-dessus des animaux; mais si tu goûtes tant de plaisirs qu'ils ignorent, que de chagrins aussi dont les bêtes n'ont point d'idée ! Ce qu'il y a d'affreux pour toi c'est que la nature a empoisonné dans les trois quarts de la terre les plaisirs de l'amour et les sources de la vie, par une maladie épouvantable à laquelle l'homme seul est sujet, et qui n'infecte que chez lui les organes de la génération.

Il n'en est point de cette peste comme de tant d'autres maladies qui sont la suite de nos excès. Ce n'est point la débauche qui l'a introduite dans le monde. Les Phryné, les Laïs, les Flora, les Messaline, n'en furent point attaquées; elle est née dans des îles où les hommes vivaient dans l'innocence, et de là elle s'est répandue dans l'ancien

monde.

Si jamais on a pu accuser la nature de mépriser son ouvrage, de contredire son plan, d'agir contre ses vues, c'est dans ce fléau détestable qui a souillé la terre d'horreur et de turpitude. Est-ce là le meilleur des mondes possibles? Eh quoi! si César, Antoine, Octave, n'ont point eu cette maladie, n'était-il pas possible qu'elle ne fît point mourir François Ier? Non, dit-on, les choses étaient ainsi ordonnées pour le mieux: je veux le croire; mais cela est triste pour ceux à qui Rabelais a dédié son livre.

Les philosophes érotiques ont souvent agité la question si Héloïse put encore aimer véritablement Abélard quand il fut moine et châtré. L'une de ces qualités fesait très grand tort à l'autre.

Mais consolez-vous, Abélard, vous fûtes aimé; la racine de l'arbre coupé conserve encore un reste de sève; l'imagination aide le cœur. On se plaît encore à table quoiqu'on n'y mange płus. Est-ce de l'amour ? est-ce un simple souvenir? est-ce de l'amitié ? C'est un je ne sais quoi composé de tout cela. C'est un sentiment confus qui ressemble aux passions fantastiques que les morts conservaient dans les champs-élysées. Les héros qui pendant leur vie avaient brillé dans la course des chars conduisaient après leur mort des chars imaginaires. Orphée croyait chanter encore'. Héloïse vivait avec vous d'illusions et de suppléments. Elle vous caressait quelquefois, et avec d'autant plus de plaisir qu'ayant fait vœu au Paraclet de ne vous plus aimer, ses caresses en devenaient plus précieuses comme plus coupables. Une femme ne peut guère se prendre de passion pour un eunuque; mais elle peut conserver sa passion pour son amant devenu eunuque, pourvu qu'il soit encore aimable.

Il n'en est pas de même, mesdames, pour un amant qui a vieilli dans le service; l'extérieur ne subsiste plus; les rides effraient; les sourcils blanchis rebutent; les dents perdues dégoûtent; les infirmités éloignent : tout ce qu'on peut faire c'est d'avoir la vertu d'être garde-malade, et de supporter ce qu'on a aimé. C'est ensevelir un mort.

Cette phrase est omise dans l'édition de Kehl et dans toutes celles qui ont été faites depuis. L.

AMOUR DE DIEU.

Les disputes sur l'amour de Dieu ont allumé autant de haines qu'aucune querelle théologique. Les jésuites et les jansénistes se sont battus pendant cent ans à qui aimerait Dieu d'une façon plus convenable, et à qui désolerait plus son prochain.

Dès que l'auteur du Télémaque, qui commençait à jouir d'un grand crédit à la cour de Louis XIV, voulut qu'on aimât Dieu d'une manière qui n'était pas celle de l'auteur des Oraisons funèbres, celui-ci, qui était un grand ferrailleur, lui déclara la guerre, et le fit condamner dans l'ancienne ville de Romulus, où Dieu était ce qu'on aimait le mieux après la domination, les richesses, l'oisiveté, le plaisir, et l'argent.

Si madame Guyon avait su le conte de la bonne vieille qui apportait un réchaud pour brûler le paradis, et une cruche d'eau pour éteindre l'enfer, afin qu'on n'aimât Dieu que pour lui-même, elle n'aurait peut-être pas tant écrit. Elle eût dû sentir qu'elle ne pouvait rien dire de mieux. Mais elle aimait Dieu et le galimatias si cordialement, qu'elle fut quatre fois en prison pour sa tendresse : traitement rigoureux et injuste. Pourquoi punir comme une criminelle une femme qui n'avait d'autre crime que celui de faire des vers dans le style de l'abbé Cotin, et de la prose dans le goût de Polichinelle? Il est étrange que l'auteur du Télémaque et des froides amours d'Eucharis ait dit dans ses Maximes des saints, d'après le bienheureux François de Sales : « Je n'ai presque point << de desirs; mais si j'étais à renaître je n'en << aurais point du tout. Si Dieu venait à moi, << j'irais aussi à lui; s'il ne voulait pas venir. « à moi, je me tiendrais là, et n'irais pas à « lui '. »

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C'est sur cette proposition que roule tout son livre; on ne condamna point saint François de Sales; mais on condamna Fénelon. Pourquoi? c'est que François de Sales n'avait point un violent ennemi à la cour de Turin, et que Fénelon en avait un à Versailles.

Ce qu'on a écrit de plus sensé sur cette controverse mystique se trouve peut-être dans la satire de Boileau sur l'amour de Dieu, quoique ce ne soit pas assurément son meilleur ouvrage.

Qui fait exactement ce que ma loi commande

Explication des Maximes des saints sur la vie intérieure, par Fénelon, 1697, in-12, page 57, article v. P.

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