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ame, ses enfants devaient en être pourvus aussi; soit qu'ils eussent des mains, soit qu'ils eussent des pattes, soit qu'ils fussent nés avec un petit museau ou avec un visage : l'Être suprême ne peut-il pas accorder le don de la pensée et de la sensation à un petit je ne sais quoi, né d'une femme, figuré en lapin, aussi bien qu'à un petit je ne sais quoi, figuré en homme? L'ame qui était prête à se loger dans le fœtus de cette femme s'en retournera-t-elle à vide?

Locke observe très bien, à l'égard des monstres, qu'il ne faut pas attribuer l'immortalité à l'extérieur d'un corps; que la figure n'y fait rien. Cette immortalité, dit-il, n'est pas plus attachée à la forme de son visage ou de sa poitrine, qu'à la manière dont sa barbe est faite, ou dont son habit est taillé.

Il demande quelle est la juste mesure de difformité à laquelle vous pouvez reconnaî tre qu'un enfant a une ame ou n'en a point; quel est le degré précis auquel il doit être déclaré monstre et privé d'ame.

On demande encore ce que serait une ame qui n'aurait jamais que des idées chimériques; il y en a quelques unes qui ne s'en éloignent pas. Méritent-elles? déméritentelles? que faire de leur esprit pur?

Que penser d'un enfant à deux têtes, d'ailleurs très bien conformé? Les uns disent qu'il a deux ames puisqu'il est muni de deux glandes pinéales, de deux corps calleux, de deux sensorium commune. Les autres répondent qu'on ne peut avoir deux ames quand on n'a qu'une poitrine et un nombril '.

Enfin on a fait tant de questions sur cette pauvre ame humaine, que s'il fallait les déduire toutes, cet examen de sa propre personne lui causerait le plus insupportable ennui. Il lui arriverait ce qui arriva au cardinal de Polignac dans un conclave. Son intendant, lassé de n'avoir jamais pu lui faire arrêter ses comptes, fit le voyage de Rome, et vint à la petite fenêtre de sa cellule chargé d'une immense liasse de papiers. Il lut près de deux heures. Enfin, voyant qu'on ne lui répondait rien, il avança la tête. Il y avait près de deux heures que le cardinal était parti. Nos ames partiront avant que leurs

1 M. le chevalier d'Angos, savant astronome, a observé avec soin plusieurs jours un lézard à deux têtes; et il s'est assuré que le lézard avait deux volontés indépendantes, dont chacune avait un pouvoir presque égal sur le corps, qui était unique. Quand on présentait au lézard un morceau de pain, de manière qu'il ne pût le voir que d'une tête, cette tête voulait aller chercher le pain, et l'autre voulait que le corps restât en repos. K.

intendants les aient mises au fait : mais soyons justes devant Dieu, quelque ignorants que nous soyons, nous et nos intendants.

Voyez dans les Lettres de Memmius ce qu'on dit de l'ame. (Tome XXXI, pages 265 et suiv.)

SECTION VIII.

Il faut que je l'avoue, lorsque j'ai examiné l'infaillible Aristote, le docteur évangélique, le diviu Platon, j'ai pris toutes ces épithètes pour des sobriquets. Je n'ai vu dans tous les philosophes qui ont parlé de l'ame humaine que des aveugles pleins de témérité et de babil, qui s'efforcent de persuader qu'ils ont une vue d'aigle, et d'autres curieux et fous qui les croient sur leur parole, et qui s'imaginent aussi de voir quelque chose.

Je ne craindrai point de mettre au rang de ces maîtres d'erreurs Descartes et Malebranche. Le premier nous assure que l'ame de l'homme est une substance dont l'essence est de penser, qui pense toujours, et qui s'occupe dans le ventre de la mère de belles idées métaphysiques et de beaux axiomes généraux qu'elle oublie ensuite.

Pour le père Malebranche, il est bien persuadé que nous voyons tout en Dieu; il a

trouvé des partisans, parceque les fables les plus hardies sont celles qui sont le mieux reçues de la faible imagination des hommes. Plusieurs philosophes ont donc fait le roman de l'ame; enfin c'est un sage qui en a écrit modestement l'histoire. Je vais faire l'abrégé de cette histoire, selon que je l'ai conçue. Je sais fort bien que tout le monde ne conviendra des idées de Locke : il se pourrait bien faire que Locke eût raison contre Descartes et Malebranche, et qu'il eût tort contre la Sorbonne; je parle selon les lumières de la philosophie, non selon les révélations de la foi.

pas

Il ne m'appartient que de penser humainement; les théologiens décident divinement, c'est tout autre chose : la raison et la foi sont de nature contraire. En un mot, voici un petit précis de Locke que je censurerais si j'étais théologien, et que j'adopte pour un moment comme hypothèse, comme conjecture de simple philosophie, humainement parlant. Il s'agit de savoir ce que c'est que l'ame.

1o Le mot d'ame est de ces mots que chacun prononce sans les entendre; nous n'entendons que les choses dont nous avons une idée; nous n'avons point d'idée d'ame,

d'esprit; donc nous ne l'entendons point. 2o Il nous a donc plu d'appeler ame cette faculté de sentir et de penser, comme nous appelons vie la faculté de vivre, et volonté la faculté de vouloir.

:

Des raisonneurs sont venus ensuite, et ont dit L'homme est composé de matière et d'esprit; la matière est étendue et divisible; l'esprit n'est ni étendu ni divisible; donc il est, disent-ils, d'une autre nature. C'est un assemblage d'êtres qui ne sont point faits l'un pour l'autre, et que Dieu unit malgré leur nature. Nous voyons peu le corps, nous ne voyons point l'ame; elle n'a point de parties; donc elle est éternelle : elle a des idées pures et spirituelles; donc elle ne les reçoit point de la matière: elle ne les reçoit point non plus d'elle-même; donc Dieu les lui donne; donc elle apporte en naissant les idées de Dieu, de l'infini, et toutes les idées générales.

Toujours humainement parlant, je réponds à ces messieurs qu'ils sont bien savants. Ils nous disent d'abord qu'il y a une ame, et puis ce que ce doit être. Ils prononcent le nom de matière, et décident ensuite nettement ce qu'elle est. Et moi je leur dis: Vous ne connaissez ni l'esprit ni la matière.

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