EPITRE DEDICATOIRE AUX CURIEUX. Vous qui cherchez à vous inftruire, Et qui quelquefois voulez rire. Sans béziter prenez en main, C MESSIEURS. 'est à vous à qui je dois dédier cet ouvrage; & non pas à ceux qui par goût ou souvent par état, ne s'attachent qu'à un seul objet. La Géometrie, la Phifique & les Mathématiques, ne font pas du goût de tout le monde. La Morale feule à l'avantage d'avoir des partifans dans tous let coins de la terre habitée. Un Médecin tout occupé de la guerifon de fes malades croiroit dégenerer à fon Doctorat, s'il s'eloignoit du genre d'application qui en fait l'appui & le principal ornement. Je ne le blâme point. L'interêt du bien public fait qu'il s'y livre de gayeté de cœur. Il fe trouveroît même entierement defœuvré qu'il ne daigneroit pas jetter les yeux fur les reflexions d'un fauvage. Mais n'eft-il pas vray, pour que tous les goûts puiffent également fe délecter, qu'il faut que la terre produife diverfe fortes de fruits? Tel aime le raizin qui repugne à la pêche. Tel prefère de cueillir l'oeillet, qui ayant peur des épines n'ofe approcher de la roze. Mais pour vous, Meffieurs les curieux, ainfi que pour les Dames encore plus curieufes que Vous; rien n'eft indigne de Vos regards: Vous voulez tout voir, tout entendre & au hazard d'abbandonner ce qui n'auroit pas le don de vous plaire, vous voulez fuivre le Système du Sage, qui croit que tous les inftans de fa vie peuvent lui apprendre quelque chofe de nouveau. Un attachement continuel fur un même fujet, fut-il même des plus récreatifs, engendreroit bientôt l'ennui & la mélancholic, Je Je connois trop par ma propre experience vôtre goût, pour ne pas m'y conformer. Que puis-je faire de mieux pour mériter votre fuffrâge, fi non de vous offrir les Lettres d'un Americain apprivoifé parmi les Européens. En vous inftruifant de quelques particularités du nouveau monde, il vous fera voir combien les Peuples qui habitent les climats ou vous vivés, font encore éloignés de ce degré de perfection, ou leur amour propre leur fair croire, qu'ils font parvenus. Vous voudrez fçavoir pourquoy des Nations dont nous fommes feparés par l'étendüe des mers, fe font avifées d'envoyer un efpion parmi nous? C'eft parceque notre curiofité leur a enfeigné à devenir auffi curieux que Vous l'êtes. Les Espagnols & après eux les François, les An. glois, les Hollandois & les Danois, n'ont pénetrés dans le continent de l'Amerique, que pour s'enri chir des depoüilles de ces Hommes que nous nom. mons fauvages. Lorsque l'Espion des Illinois vous aura communiqué fes pensées & fes reflexions, vous reconnoitrez bientôt que quantité de nos Philofophes n'ont pas eté mieux éclairés en bien des chofes, que ces Americains, fans Legislateurs fans Loix & presque fans Religion. Vous verrez auffi que ces Sauvages fe croiroient indignes de joüir des rayons du flambeau univerfel qui éclaire tous les hommes, s'ils étoient enivrés de cette folle ambition, qui nous fait défirer la poffeffion des biens qui fouvent nous deviennent inutiles. Les Americains qui dans tous leurs projets ne font pas auffi infenfés que vous pourriez dabord vous l'imaginer, femblent n'avoir envoyer examiner ce qui fe paffe parmi nous, que pour apprendre à fuir ce qui eft mal & à connoître le bien qu'ils pourroient imiter pour fe rendre heureux. Contens de la poffeffion des vastes defèrts qui les environnent, & de ce que la nature leur donne pour fubvenir aux befoins de la vie; ils n' afpirèrent jamais à vouloir nous fubjuguer & à nous chaffer de nos foyers. En fuppofant que ce fut leur deffein, il n'y a pas d'apparence qu'ils puiffent jamais l'exe cuter, & je crois même que lorsqu'ils en auroient la force, ils n'en n'auront pas fitôt la volonté. Vous me demanderez fans doute, Meffieurs les Curieux, comment il a eté poffible, qu'un fauvage aye pû fi bien se déguifer parmi nous, pour ne pas être reconnu Votre curiofité doit vous l'avoir déja appris. appris. Vous avez lû les relations des Voyageurs & entr' autres de ceux qui vers la fin du dernier Sie cle & au commencement de celui-cy, ont penetré dans l'interieur des Terres qui se trouvent situées entre le nouveau Mexique & le Canada, & qui contiennent des Provinces d'une étendüe confiderable. Vous fçavez que quelqu' uns d'entr' eux furent abbandonnés par plufieurs de leurs compatriotes, foit Anglois, ou François. Que ceux-ci, par mécontentement ou par pan. chant pour la liberté, fe jetterent de plein gré par mi les Sauvages pour vivre à leur maniere & embraffer volontairement leurs ufages & leurs coutû. mes. Il n'y a pas même encore fix ans, qu'un jeune Irlandois nommé Kennedy, prit le même parti. Pourquoy voudriez-vous que parmi ces Deferteurs Européens, dont on fçait qu'il y en a qui font devenus Chefs de, Nations, il n'y en ait pas eû qui eûffent conçû le noble Projet de policer & de civilifer les Peuples qui fe font foumis à leur comman dement. Vous êtes trop pénetrans, Meffieurs, pour ne pas concevoir & même avoüer cette poffibilité. Il me paroit même affez probable qu'il faut que cela foit ainfi, puisque les Lettres Illinoifes ne tendent. pas moins à relever certains ridicules des Européens |