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failly au moindre tu es coulpable de tous; il ne faut qu'ung petit trou pour noyer la plus grant navire qui soit sur la mer; il ne fault que une petitte faulse poterne pour prendre la plus forte vile ou le plus fort chasteau du monde; il ne fault que une petite fenestre ouverte pour desrober la plus grant et puissant bouticle de marchant qui soit en Bruges. Helas! pecheur, puisque pour deffaulte d'ung nous sommes coulpables de tous, qu'est-il de vous aultres qui en rompez3 tant tous les jours? A qui commencerayje le premier ? à ceulx qui sont en ceste courtine le prince et sua altese la princesse. Je vous asseure, seigneur, qu'il ne souffit mye d'estre bon homme, il fault estre bon prince, il fault faire justice, il fault regarder que vous subjectz se gouvernent bien. Et vous, dame la princesse, il ne souffist mye d'estre bonne femme, il fault avoir regard à vostre famille, qu'elle se gouverne bien selon droit et raison. J'en dictz autant à tous autres de tous estatz. A ceulx qui maintiennent la justice, qu'ilz facent droit et raison à chascun. Les chevaliers de l'ordre, qui faictes les sermens qui appartiennent à vostre ordre, les sermens sont bien grans, comme l'en dist; mais vous en avez fait ung aultre premier que vous gardez mieulx, c'est que ne ferez riens de ce que vous jurerez. Ditzje vray, qu'en que vous plaist? En bonne foy, frere, il est ainsy. Tyrez oultre. Estes-vous là, les officiers de la pannetrye, de la frutterye, de la boutilerie ? Quant vous ne devriez desrober que ung demy lot de vin ou une torche vous n'i fauldrez mye. En bonne foy, frere, vous ne dictes que du moins 6. Où

1 Gr. § 7.

2 Commandements.

3 Lex.

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4 Qu'en que est peut-être pour quantumcunque tout ce qui, pour autant qu'il vous plaît. Qu'en que vous plaist pourrait aussi s'interpréter: Qu' (quelque chose) que (qui) vous en plaist: ce qu'il vous en semble.

5 Ce mot, dans le sens qu'il doit avoir ici, ne se trouve dans aucun Glossaire de la vieille langue française. Oudin dans le Trésor des langues espagnole et françoise, a la torche à porter sur la tête, pour y placer une corheille, etc., (linge tortillé en rond) et une torche de paille (de la même forme). Dans la Suisse française on donne le nom de torche à un hachis de viande et à une sorte de pain, qui a la forme d'une torche. Voy. Jean Humbert, Nouveau Glossaire genevois, II, 211. Le dernier sens est évidemment celui que Maillard a en vue. 6 Vous avouez le moius que possible; vous exagerez en moins.

sont les tresoriers, les argentiers? Estes-vous là qui faictes les besoingnes de vostre maistre, et les vostres bien? Accoustez, à bon entendeur il ne fault que demi mot. Les dames de la court: jeunes filles illecques il fault laisser vous alliances: il n'y a ne sy ne qua'. Jeune gaudisseur là, bonnet rouge, il fault laissier vos regardz. Il n'y a de quoy rire, non, femmes d'estat, bourgeoises, marchandes, tous et touttes generalement quelz qu'ilz soient. Il se faut oster hors de la servitude du diable, et garder tous les commandemens de Dieu; en les gardant vous raserez et destruirez la cité de Jherico. Et c'est de quoy je voeulx suader en my le teusme allegué. Secundum verba assumpta quae præsunt sit civitas Jherico anathema et omnia quae in ea sunt. Vela, seigneurs, que disent les parolles

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Saint Gregoire vient, qui florette cette matere et dist qu'ils sont quatre manieres d'auditteurs : les premiers, ceulx qui viennent synon pour reprendre le prescheur ou pour veoir ceulx qui sont au sermon; les seconds sont ceulx qui oyent preschier et n'en retiennent rien et n'en font conte; les tiers sont ceulx qui ouent et retiennent, mais ne s'amendent point pourtant, et touttes les troys manieres de gens s'en vont avec les dyables. Les quatriesmes sont ceulx qui ouent et retiennent et mettent la doctrine à excecucion et s'amendent. Ceulx en sont de la part de Dieu et profitent au sermon. Or, levez les espritz, qu'en dictes-vous, seigneurs, estes-vous de la part de Dieu ? Le Prince et la princesse, en estes-vous? baissez le front. Vous aultres gros fourrez, en estes-vous? baissez le front. Les chevaliers de l'ordre, en estes-vous? bayssez le front! Gentilzhommes jeunes gaudisseurs, en estes-vous ? baissez le front. Et vous, jeunes dames de court, en estes vous ? baissez le front; vous estes escriptes au livre de dampnez; vostre chambre est toutte merquée avec les dya

1 On dit substantivement:

a

a

"

Il y a des si et des mais, des conditions et des restrictions, c'est-à-dire des réserves. Nous avons entendu en province, dans le même sens, Il y a des si et des car, » des conditions et des explications. Des sy, des qua, sont peut-être la même locution altérée. Ou bien qua serait-il latin, parte qua qui sert à restreindre une idée générale ou une exigence? 2 Ils masculin se rapporte plutôt à l'idée d'auditeurs qu'au mot manières. Ils sont pour il y a, tour vieilli.

bles. Dictes-moy, s'il vous plaist, ne vous estes vous pas myrées au jourd'hui, lavées et espoussetées? Oy bien, frere. A ma voulenté que vous fussiez aussi soingneuses de nectoyer voz

ames.

.......

Or, levez les espritz, qu'en dictes vous, seigneurs? Regardez-moy tous. Estes vous là les usuriers plains d'avarice? Certes il fault restituer; et ne souffist mye de dire: « Je feray dire des messes, je donnerai pour l'amour de Dieu; il fault rendre les biens à ceulx à qui ilz sont, ou jamais n'entrerez en Paradis.

Baillifz, Escouttestes, Escabins et toutte telle maniere de buillon qui composez les povres gens, et ne laissez vos rapines ne pechiez, pour preschement ou doctrine que vous oyez. Seigneurs, vous estes durs; mais vous trouverez plus dur que vous. Quel remede, frere! Il faut laissier vous pechiez et rendre à chascun ce qu'il luy appartient. Vous y penserez Dieu vous en doint la grace. Le Pater noster et Ave Maria, et une Ave Maria pour mon intencion.

SEIZIÈME SIÈCLE

La langue.

Comparés aux écrivains du XVme siècle, ceux du XVIme possèdent à un plus haut degré la conscience de la richesse et de la puissance de la langue française. Les principaux d'entre eux, Rabelais, Amyot et Montaigne sont des artistes en langage, des maitres de premier ordre dans cet art qui fait voir, à travers le vêtement transparent de la parole, les mouvements les plus délicats et les plus fines nuances de la pensée. Nul avant eux n'avait donné l'idée d'une science si ingénieuse. Par leur connaissance et par l'habile usage de toutes les ressources de l'idiome français, leur langue tout ensemble se rapproche de l'ancienne et en diffère: elle s'en rapproche par un usage discret de mots et de locutions déjà vieillies; elle en diffère par la fraîcheur qui ravive des tours abandonnés; point de rancidité dans ses archaïsmes, mais une âpreté savoureuse. Formée à l'école de la Grèce et de Rome, la langue la plus exquise du XVIe siècle unit avec choix la richesse et la perfection empruntées de l'antiquité aux grâces piquantes et naïves du parler gaulois; de cette source jaillissent en abondance des expressions originales, vives, ravissantes.

Un siècle, et surtout un siècle actif et plein comme le fut le XVIme, est un long espace dans la vie d'un peuple et dans la vie d'une langue.

Nous avons raconté comment la nôtre en moins de cent ans apparut brillante à l'apogée de son caractère primitif', puis subit

• Marot.

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une révolution et une contre-révolution *. Des différences tranchées, et non seulement des nuances, durent donc séparer les uns des autres les écrivains de cette période séculaire. L'époque, la province, le tour d'esprit, le goût les distinguent. Nous tiendrons compte de ces variétés dans l'appréciation des plus marquants de ces auteurs. Parmi les hommes qui nous ont transmis la langue de ce grand siècle, Calvin est ancien par l'austérité de la parole autant que par l'âge. Montaigne, avec tout son esprit, n'eût pas créé toute sa langue, s'il ne fût pas né Gascon. A la cour, le frottement lime et polit le langage comme les dehors: là, de tout ce qui tache, ce que l'on craint le plus c'est la rouille. De même dans les camps, autrefois rendez-vous d'une noblesse impétueuse, on n'aimait pas plus la rouille dans le langage que sur les armes. Brantôme, quand tout vieillard il débite ses contes aux courtisans et aux belles dames; Montluc, quand vieux et couvert de blessures il manie la plume, comme il maniait l'épée, paraissent plus jeunes que leurs contemporains. Sur les confins de deux siècles, Marguerite de Valois semble, par son style, appartenir davantage au XVIIe siècle; entre la langue de ce siècle, et celle de Henri IV, il n'y a que la différence du tour d'esprit et du caractère individuel. Diversement donc mais constamment, le XVIe siècle a concouru à ce que Montaigne appelle la polissure du langage.

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François Rabelais, né dans un cabaret en Touraine, successivement moine, médecin, bibliothécaire, secrétaire d'ambassade et curé, possédant les langues anciennes et plusieurs langues modernes, instruit d'ailleurs dans diverses sciences, fut surtont un grand railleur. Il a écrit deux romans satiriques Gargantua et Pantagruel, dont le second fait suite au premier. La forme en est, à dessein, extravagante; les héros dont ils ont emprunté leur nom sont des espèces de

Ronsard.

2 Malherbe.

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