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nécessaires pour le rétablissement du vrai texte de nos classiques que des classiques grecs et latins. Comme dans l'histoire de France la critique moderne a restauré la vérité des faits, des aspects, des institutions, des mœurs, de même la critique philologique doit rétablir, à l'aide des documents, la vérité du langage de chaque époque, ou de chaque province, elle discernera même quelquefois dans les manuscrits divers d'un livre le dialecte des copistes'.

Pour résoudre les difficultés que présente le langage d'un auteur, on le comparera avec celui de ses contemporains et des écrivains immédiatement antérieurs et postérieurs: on apprendra, par ces comparaisons, le sens précis des mots et l'usage des locutions, des proverbes, des idiotismes. C'est donc encore à l'histoire de la langue que l'on recourra 2.

L'esprit de critique ainsi formé saura reconnaître l'authenticité des Chansons d'Olivier Basselin sous un langage plus moderne dont elles ont été revêtues en courant de bouche en bouche, parmi de joyeux compagnons, depuis le XVe siècle jusqu'au temps où, recueillies pour la première fois, elles sont passées de la taverne dans la littérature.

Indépendamment de l'absence de tout ancien manuscrit, l'esprit de critique, initié à l'histoire de la langue, ne se laissera pas séduire par le charme de la poésie au point de croire à Clotilde de Surville et d'attribuer au XVe siècle ou même au XIVe 5 des vers pleins de délicatesse, de nombre, de naïveté, sans hiatus, sans allégorie dans l'expression de la sensibilité, des pièces d'une forme contenue par un goût exquis et par le sentiment perfectionné de l'art.

On voit par ces exemples que l'étude de la vieille langue française n'est pas moins nécessaire à la critique appliquée à l'histoire littéraire qu'appliquée à l'intelligence et à l'appréciation des ouvrages en eux-mêmes. Les exigences de la vérité historique pour le rétablissement des textes tronqués, celles, par exemple, auxquelles a dù satisfaire l'éditeur du seul Froissart complet que nous possédions, sont étrangères à notre objet et nous renvoyons les lecteurs curieux de s'en instruire à la préface du savant et consciencieux M. Buchon: Collection des chroniques nationales françaises, Chroniques de Froissart, tome I.

La comparaison de la langue avec elle-même aux diverses époques de

De deux manuscrits in-folio, en caractères gothiques, des Poésies de Froissart, que possède la Bibliothèque impériale de Paris, l'un est évidemment dû à la plume d'un copiste picard, il écrit chi où l'autre a ci, etc.

• Le Dictionnaire historique de notre langue que publie l'Académie française sera un des grands services rendus à la linguistique dans le cours de ce siècle. 3 Poésies de Clotilde de Vallon-Chalys, depuis madame de Surville; publiées par Ch. Vanderbourg. Paris, 1803; 8°.

son développement est enfin d'une haute importance dans l'intérêt de son perfectionnement. L'esprit humain marche, soit qu'on lui laisse ses allures, ou qu'on l'entrave. Un peuple résolument engagé dans les voies de la civilisation fait incessamment de nouveaux progrès. Les pensées se modifient, se transforment, l'intelligence grandit, fait des conquêtes. Il faut que le langage les seconde, qu'il se plie, dans sa souplesse, aux sinuosités de ces mouvements, qu'il prenne son essor comme l'esprit, car le langage est l'incarnation de l'esprit. Les idées nouvelles ont besoin de mots nouveaux, les nouvelles combinaisons d'idées, d'expressions nouvelles. Par la rapide communication qui heureusement unit aujourd'hui les peuples, les découvertes, les inventions, les idées passent promptement des uns aux autres. Avec les emprunts de l'industrie, par exemple, on fait des emprunts de termes techniques. Ami du libre échange en toutes choses, surtout dans le commerce des esprits, nous ne nous opposons donc pas, en principe, aux importations de langage. Que les waggons de l'industrialisme glissent à leur aise sur les rails. Si de nouveaux argonautes littéraires volent à la conquête de quelque toison d'or, loin de nous la pensée de stopper leur navire. Mais si, dans la sphère des intérêts matériels déjà, nous sommes d'avis qu'on ne néglige pas, pour les richesses étrangères, celles que la terre natale renferme dans ses entrailles, ni les ressources qu'elle possède dans les bras de ses fils, à plus forte raison pensons-nous que, pour les choses de l'intelligence, pour l'âme et la substance spirituelle d'une nation, qui se révèlent dans son langage, on ne doit recourir aux emprunts qu'après avoir reconnu l'insuffisance de l'opulence nationale.

Pourquoi vivrait-on d'emprunts sur le sol intellectuel de la France, non moins riche et fertile que son sol minéral et agricole! Pourquoi demander aux étrangers des lambeaux de leurs idiomes quand la langue française possède des trésors de mots, de locutions, de combinaisons, trop longtemps négligés ? La langue, où se personnifie l'esprit français, n'a-telle pas, avec le sang romain qui coule dans ses veines, hérité de la vigueur de caractère des anciens maîtres du monde, de l'énergie, de la lucidité, de la précision de leurs idées administratives, de la concision, image de leur force? N'a-t-elle pas reçu des aïeux gaulois l'esprit primesautier, le tour libre, la bonhomie narquoise et la gentillesse ? Les Germains, en l'adoptant, ne lui ont-ils pas, avec beaucoup de mots de leur vie usuelle, communiqué la faculté d'abstraire, qu'elle n'a toutefois acceptée qu'à la condition de n'être jamais obscure? Ces trésors amassés lentement, réunis dans la seconde moitié du XVIe siècle, enrichiront encore, quand on le voudra, la langue et les écrivains des âges modernes. Des hommes de talent et de goût apprendront à cette ancienne école l'art de combiner des expressions selon le génie de la langue française ; ils trou

veront dans cette vieille mine, longtemps abandonnée malgré sa richesse inépuisable, des locutions, des mots vifs, scintillants, comme on découvre parfois dans une mine autrefois exploitée des diamants de la première eau. Que si la vétusté y a laissé son empreinte, les écrivains apprendront de leurs vieux maîtres l'art de les polir. En s'attachant ainsi aux ressources domestiques, ils éviteront les importations qui altèrent la langue et la calomnient ils s'enrichiront de ses richesses cachées, comme on fertilise le sol en le remuant profondément; ils resteront fidèles à son caractère primitif, type du caractère national; car si les peuples doivent s'unir entre eux par les plus nobles liens de la nature humaine, ils doivent s'unir en conservant leur énergie propre et ne pas s'évanouir dans le vague du cosmopolitisme.

Ce livre étant destiné à faire connaître, du moins en partie, les anciennes destinées de notre langue, nous trouvons à propos d'étayer notre opinion de celle de l'homme qui a contribué le plus à la révolution que cette langue a subie au XVIe siècle, c'est le poëte Ronsard. Nous devrons apprécier ailleurs sa tendance, nous ne citons ici en exemple que son respect pour la nationalité de la langue, dans les conseils qu'il donne au poëte:

« Je t'aduertis, dit-il, de ne faire conscience de remettre en vsage les antiques vocables et principalement ceux du langage Wallon et Picard, lequel nous reste par tant de siècles l'exemple naïf de la langue Françoise, i'entends de celle qui eut cours après que la Latine n'eut plus d'vsage en nostre Gaule, et choisir les mots les plus pregnants et significatifs, non-seulement du dit langage, mais de toutes les Provinces de France, pour seruir à la Poësie lors que tu en auras besoin. Malheureux est le debteur, lequel n'a qu'une seule espece de monnoie pour payer son creancier. Outre plus si les vieux mots abolis par l'vsage ont laissé quelque reietton, comme les branches des arbres couppez se raieunissent de nouueaux drageons, tu le pourras prouigner, amender et cultiuer afin qu'il se repeuple de nouveau. Exemple de Lobbe qui est vn vieil mot François qui signifie moquerie et raillerie. Tu pourras faire sur le nom le verbe Lobber, qui signifiera mocquer et gaudir, et mille autres de telle façon....

Tu seras tres aduisé en la composition des vocables, et ne les feras prodigieux, mais par bon iugement, lequel est la meilleure partie de l'homme, quand il est clair et net, et non embaboüiné ny corrompu de monstrueuses imaginations de ces Robins de Cour qui veulent tout corriger. »

Il s'élève ensuite contre ceux qui emploient malheureusement leur talent à écrire en grec et en latin, au lieu de faire comme « Homère, Hésiode, Platon, Virgile, Tite-Live » et mille autres qui parlaient «< mesme

langage que les laboureurs, valets et chambrieres. Car c'est un crime de leze Majesté d'abandonner le langage de son pays, viuant et florissant, pour vouloir deterrer ie ne sçay quelle cendre des anciens....

<«< Encore vaudroit-il mieux, comme vn bon Bourgeois ou Citoyen, rechercher et faire vn Lexicon des vieils mots d'Artus, Lancelot et Gauvain, ou commenter le Roman de la Rose, que s'amuser à ie ne sçay quelle Grammaire Latine qui a passé son temps....

D'une langue morte l'autre prend vie, ainsi qu'il plaist à l'arrest du Destin et à Dieu, qui commande, lequel ne veut souffrir que les choses mortelles soient eternelles comme luy, lequel ie supplie tres-humblement, Lecteur, te vouloir donner sa grâce, et le desir d'augmenter le langage de ta nation'. >>

Le vœu de Ronsard s'est accompli pour sa personne. Malgré ses aberrations partielles, ses mérites réels ont augmenté le langage de sa nation. Son exemple a été utile à ses prudents imitateurs, et à son plus fougueux adversaire, à Malherbe, malgré qu'il en eût. Du sol national de la vieille langue, fécondé par la culture classique, et par le génie et tout l'art de nos grands maîtres, sont nés les chênes centenaires et les fleurs qui paraissent chaque jour nouvelles. Regnier y a puisé cette sève de poésie et de style que n'égalent point ses rivaux ; Corneille, l'énergie d'expression nécessaire à l'énergie de son âme; La Fontaine, les hardiesses, souvent sublimes, jetées avec abandon au milieu des naïvetés de sa malice gauloise; Bossuet, la langue puissante que créa la liberté de son génie gallican. Voltaire, qui a écrit un commentaire sur le théâtre de l'auteur du Cid, sans se douter que le siècle de Corneille avait sa langue à lui, Voltaire, le dix-huitième siècle incarné, a pourtant découvert au milieu de la foule de solécismes et de barbarismes qu'il relève, de vieilles expressions pleines de force qu'il regrette ou qu'il trouve dignes d'être conservées. Tant les beautés de la vieille langue des Français frappent les yeux les plus prévenus!

Un de nos plus habiles artistes en langage, La Bruyère, familiarisé avec l'esprit et l'idiome des grands écrivains du XVIe siècle, en a conservé, avec sobriété, des mots et des tours qui font saillir sa pensée et assaisonnent son style à merveille. La réforme opérée dans la première moitié du XVIIe siècle les avait reniés sans les remplacer. Il vaudrait la peine de faire dans La Bruyère une étude spéciale, non d'un certain pastiche. de Montaigne, mais de son style à lui, de son habileté à s'approprier ces vieilles richesses avec mesure. Paul-Louis Courrier s'est fait de ces em

Préface de la Franciade.

2 Chap. De la Société et de la Conversation. « Je n'aime pas un homme, » etc.

prunts une manière; M. Sainte-Beuve, un art. Des écrivains récents se sont parés avec grâce de quelques-uns de ces vieux joyaux de famille.

Voulez-vous reconquérir à notre langue une partie des richesses dont Malherbe et son école l'ont dépouillée ? Voulez-vous avec la souplesse spiritualiste qui adapte ce vêtement aux formes variées de la pensée et à ses mouvements énergiques ou délicats, lui rendre ses allures autrefois plus libres, depuis gênées par l'esprit mathématique des grammairiens du XVIIIe siècle? Voulez-vous enfin lui maintenir la pureté de son caractère national? Apprenez à connaitre familièrement ses trésors, et osez y puiser avec cette sage liberté dont l'inspiration n'a jamais porté malheur au génie français.

PRÉCIS

DF

L'HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Avant l'ère chrétienne et pendant les premiers siècles qui la suivirent, la France s'appelait la Gaule et ses habitants Galls, Galli, Gaulois. Les Galates de l'Asie Mineure appartenaient à la même race, qui rendit son nom redoutable par ses migrations armées. César reconnut trois peuples distincts habitants de la Gaule: les Aquitains ou Ibères entre les Pyrénées et la Garonne; les Celtes entre la Garonne au midi, la Seine et la Marne au nord; de lå jusqu'au Rhin, comme frontière septentrionale, les Belges.

La langue des Aquitains ressemblait beaucoup à celle des Ibères d'Espagne. Les Celtes parlaient la langue celtique, dont l'idiome des Belges était un dialecte. A différentes époques des tribus gauloises envahirent la Grande-Bretagne, s'y établirent et y portèrent leur langue1. Quelques

La vieille question de l'identité ou de la différence des Celtes et des Germains s'est ranimée ces dernières années. L'identité a été soutenue à outrance par M. Holtzmann, dans Kelten und Germanen. Stuttgart, 1855, in-4. Il a été combattu avec beaucoup d'érudition et de sagacité par M. Brandes dans le livre intitulé: Das ethnographische Verhæltniss der Kelten und Germanen. Leipzig, 1857, in-8.

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