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vais aucun mérite à prendre cette résolution, parce que j'étais convaincu qu'avant deux mois le roi serait à Paris.

Mais je savais qu'un officier d'artillerie avait, dès les premiers jours, obtenu un congé, qu'il était parti pour Paris dans la résolution d'aller jour et nuit avec une extrême vitesse, et d'avertir les ministres de tout ce qui se passait à Metz. J'étais convaincu qu'un ordre arriverait bientôt, et je prenais des précautions pour ma sûreté personnelle. J'avais toujours des chevaux sellés. Je visitai un jour les portes de la ville par lesquelles je devais passer pour me rendre à la frontière ; je vis que la porte de Thionville était fermée par les travaux qu'y faisait le génie militaire. C'est à cet examen que je dois ma sûreté; sans cela, j'aurais été pris et conduit à Paris.

Le jour même que j'avais visité deux portes de la ville, je me rendis à cheval chez le général Durutte. Il me montra le Moniteur, qui contenait un article dans lequel on parlait de ma conduite à Metz, en la condamnant. Un instant après je remontai à cheval et je retournai à la préfecture. En passant devant l'ancien gouvernement, je rencontrai une chaise de poste dans laquelle je remarquai un officier qui portait des aiguillettes. J'observai qu'il avait fait arrêter sa voiture, qu'il parlait au postillon, et qu'ils me considéraient l'un et l'autre. Je ne doutai pas que cet officier ne fût porteur d'un ordre de m'arrêter. Je me rendis rapidement à la préfecture; je m'assurai qu'un autre cheval, bon coureur, était prêt. Je pris un rouleau d'or, et je remis à ma fille les clefs de mon bureau, en lui disant de ne pas m'attendre si je n'arrivais pas pour le dîner. La remise de mes clefs, cette phrase et mon cheval tout prêt lui firent bien voir que j'allais partir. Si elle avait eu un esprit moins ferme, elle pouvait m'arrêter, m'affaiblir même par les témoignages de sa tendresse, et me faire perdre un temps précieux. Elle prit les clefs sans prononcer un seul mot; elle se retira; elle suivit l'exemple de sa mère, qui toujours s'est conduite avec le même courage dans toutes mes proscriptions.

Au même instant, je vis arriver un aide de camp de M. le général Durutte, M. Pinard, qui venait m'avertir, de la part dugénéral, de l'ordre reçu de Paris, et de l'obligation où il se trouvait de le faire exécuter sur-le-champ. Il montrait une profonde douleur et me demandait ce que j'allais faire. << Soyez tranquille, lui dis-je, pour moi. Mais il faut penser à « vous-même ; il ne faut pas qu'on vous voie sortir de la grande « cour de la préfecture. » Je le pris par la main ; je l'entraînai comme malgré lui, et je le conduisis à une porte par laquelle on communiquait avec les bureaux. Je montai aussitôt à cheval, et je partis.

Le chemin le plus court était de passer par la porte de Thionville; mais j'avais heureusement observé le matin qu'elle était fermée par les travaux du génie militaire. Je fus donc obligé de prendre un chemin plus long, en sortant par la porte de Paris. C'était le jour où, suivant un ancien usage, tout le peuple de la ville se rend à une petite montagne au delà des • murs. La foule était immense et pressée sur le pont; j'étais obligé d'aller au pas et de prier à chaque instant de me laisser passer. De temps en temps je regardais derrière moi pour m'assurer si je n'étais pas suivi par des gendarmes. Parvenu à la porte, je pris à droite le chemin de Thionville, et, mettant mon cheval au grand galop, je fus bientôt loin de la ville. Le rouleau de louis que j'avais dans une poche de mon pantalon perça cette poche et glissa le long du pantalon. Je descendis de cheval. J'avais heureusement de grandes bottes, recouvertes par le pantalon, et je vis que le rouleau était entré dans la botte, dont l'ouverture était fort large. Pas un louis n'était à terre. Je remontai à cheval. J'arrivai bientôt à Hayange, chez M. de Wendel; je lui avais rendu les plus grands services, ainsi qu'à son ami M. de Serre, que je trouvai chez lui, et qui depuis fut ministre de la justice; ils concertèrent avec moi les moyens de sortir de la frontière. Ils connaissaient les routes de traverse; je partis avec M. de Serre, et à dix heures du soir nous

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MÉMOIRES DE M. LE COMTE DE VAUBLANC.

étions dans le Luxembourg, sans avoir trouvé un seul employé des douanes. Nous nous rendîmes dans une terre de Mme sa belle-mère ; j'y couchai, et le lendemain matin j'étais à Luxembourg.

J'y fus reçu avec tous les égards possibles par M. le comte Dufour, général ðu service d'Autriche, et pendant mon séjour dans cette ville je fus comblé de ses prévenances. Il était grand amateur de chevaux; il désira d'en avoir un très-beau dont je lui parlai; je le fis venir de la terre de M. de Wendel, où je l'avais laissé à mon départ de Metz. De Luxembourg je me rendis à Coblentz, Aix-la-Chapelle, et enfin à Bruxelles et à Gand.

CHAPITRE XXVIII.

Retour de Gand. Un Prussien et un Anglais. — Ma ncmnination à la préfecture de Marseille. - Les prisonniers.

Séjour de Murat en Provence.

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Après la bataille de Waterloo, le roi se disposa à retourner en France. Je partis de Gand avec M. le baron Capelle. Pendant la route, nous nous trouvâmes au milieu de l'armée alliée et dans un très-mauvais chemin. Un soldat prussien voulut nous empêcher de passer; un jeune officier anglais, qui était à cheval, s'opposa à la brutalité du soldat. Il soutenait que, puisque nous étions à la suite du roi de France, nous devions passer. C'était précisément pour cela que le Prussien ne le voulait pas; il avait contre les Français cette animosité que faisaient éclater les Prussiens depuis plusieurs années, et surtout dans cette dernière campagne. Il s'emporta jusqu'à menacer plusieurs fois l'officier anglais; il le menaçait de sa baïonnette. Nous admirâmes le sang-froid de l'Anglais. Il ne paraissait pas faire la moindre attention aux paroles et aux menaces du soldat. Il l'emporta enfin, et nous passâmes.

Le prince de Talleyrand avait terminé sa mission à Vienne; il était arrivé à Gand peu de jours après la bataille de Waterloo; il accompagnait le roi avec les autres ministres, MM. de Jaucourt, le baron Louis et le comte Beugnot, le chancelier et le duc de Feltre. J'approuvai fort l'Anglais qui nous avait ouvert le passage, mais je trouvai que, plus tard, on accordait trop à l'influence du duc de Wellington, surtout en ce qui concernait Fouché et sa place dans le ministère du roi. Un Anglais étaitil gardien de l'honneur de la couronne de France?

Au reste, pour être juste, il faut dire que Fouché débuta par

des mesures fermes et sévères, qu'aucun royaliste peut-être n'aurait osé prendre; mais bientôt il se dégoûta d'un rôle qui n'était ni de son caractère ni de ses principes.

Le roi conserva le ministère tel qu'il était. M. Pasquier lui fut adjoint comme garde des sceaux; il eut en même temps l'intérieur, par intérim. Il se conduisit très-bien envers moi : il m'offrit le choix entre les préfectures de Strasbourg et de Marseille; je préférai Marseille. Dans cette ville, un grand nombre de révolutionnaires avaient été jetés dans les prisons; on craignait qu'ils ne fussent massacrés par le peuple. Le roi me témoigna des craintes fortement exprimées ; je lui promis qu'une pareille horreur ne signalerait pas les premiers jours de son retour, et que je partirais le lendemain. Il ajouta : « Je ne vous y laisserai pas longtemps. » Il venait de me nommer conseiller d'État.

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Lorsque Louis XVIII m'eut nommé à la préfecture de Marseille, il me dit : « Partez vite, partez. Sept ou huit cents per« sonnes sont renfermées dans les prisons; elles passent toutes << pour être jacobins. Vous connaissez les cruautés que ce parti a exercées, en 1792, dans ce pays; souvent alors vous « en avez parlé à la tribune. Des vengeances pourraient en << être la suite aujourd'hui ; j'en serais au désespoir. Partez; je ne vous y laisserai pas longtemps.» Je répondis au roi que je partirais le lendemain même, et que, si j'arrivais avant le malheur qu'il craignait, j'osais lui répondre que pas une goutte de sang ne serait versée, que je saisirais la dictature s'il le fallait, et que je serais certain d'être approuvé par Sa Majesté. « Oui, sûrement, me dit le roi; comptez sur mon appui. »

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Arrivé à Marseille, je trouvai cette ville dans l'enthousiasme du retour du roi. Le peuple était dans l'ivresse de la joie; elle se manifestait tous les jours de cent manières différentes. Mon premier soin fut de m'informer de l'état des prisons et de me concerter avec l'autorité militaire pour la sûreté des prisonniers ́

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