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CHAPITRE XVIII.

Je suis mis hors la loi, sous le règne de la Terreur, à la fin de 1792, et en 4793, jusqu'au 9 thermidor, 27 juillet 1794. dangers, moyens inespérés de salut.

Vie errante, aventures,

Après avoir peint, dans ie cnapitre précédent, le règne de la Terreur par ses effets, je crois que je donnerai une idée juste de ces temps en racontant ce qui m'est arrivé alors, et comment je me suis soustrait à un ordre de mis hors la loi, décrété contre moi par les comités de salut public et de surveillance de la Convention. Je ne voulus pas sortir de la France, parce que j'étais persuadé qu'un gouvernement si monstrueux ne pouvait durer longtemps. Je ne voulus accepter aucun asile, dans la crainte de compromettre les personnes qui m'auraient reçu. Je préférai une vie errante dans la France, et je cherchai ma sûreté sur les grands chemins.

Le trône de Louis XVI était tombé; les royalistes qui l'avaient défendu étaient exposés au danger le plus terrible, à être massacrés par le peuple. Chaque instant annonçait les noms des nouvelles victimes de ses fureurs. La municipalité de Paris, qui depuis fut mise hors la loi par la Convention, comme on vient de le voir, avait fait une liste de proscription, et j'étais au nombre des proscrits. Je reçus, le soir du 10 août, un asile chez M. Camus, archiviste du Corps législatif; mais, pour y parvenir, il fallait traverser une petite cour où des hommes attroupés faisaient entendre les cris du moment. Un gendarme se trouvait à la porte par laquelle je sortais; je lui dis de pro

téger ma sortie; il me répondit brutalement. Mon indignation augmenta mon courage; d'ailleurs, je l'avoue, je ne pouvais prendre d'autre parti. Je passai tranquillement devant le peuple. J'ai souvent éprouvé, pendant la Révolution, que c'était le seul moyen d'éviter ses fureurs le sang-froid lui impose toujours; si, au contraire, on fuit avec des apparences de frayeur, il se trouve un misérable qui porte les premiers coups, et alors tous tombent lâchement sur la malheureuse victime. C'est donc ce premier coup qu'il faut éviter, tandis que le peuple balance encore; s'il est incertain, il ne faut pas l'être.

Le lendemain matin, M. de La Richarderie, membre de la Cour de cassation, vint chez M. Camus. Il me dit une chose bien remarquable. La veille du 10 août, il était dans une tribune avec plusieurs officiers de la troupe venue de Marseille. Lorsqu'ils m'entendirent les apostropher, en leur disant qu'ils devraient être à l'armée, et non à Paris, ils s'écrièrent que j'avais raison. Cela prouve que, si l'on avait voulu sérieusement, comme je l'avais demandé, faire sortir les Marseillais de Paris, on aurait pu y réussir. Mais on n'avait aucun plan; on n'avait que des demi-volontés.

Je changeai plusieurs fois de logement pendant ces jours épouvantables. Rien ne me coûtait plus que d'exposer les personnes qui voulaient bien me recevoir; aussi je me déterminai, dès le troisième jour, à me confier au maître et aux domestiques d'un hôtel où j'avais logé très-souvent, l'hôtel de Strasbourg, rue Neuve-Saint-Eustache. Je m'occupais à dessiner, afin de chasser, par cette occupation, les idées noires qui venaient sans cesse fatiguer mon esprit. J'entendis un jour des cris épouvantables sous ma fenêtre, et même dans la cour de l'hôtel, parce que le peuple nombreux qui remplissait la rue débordait dans la cour. Je crus qu'on venait m'arracher à mon asile. Hélas! ce peuple et ces cris d'une joie féroce accompagnaient la tête de la princesse de Lamballe, qu'on portait au bout d'une pique. Quel horrible spectacle! et quel monstre que

l'homme, quand il est déchaîné, quand il n'est plus retenu par aucune crainte !

Mon jeune domestique vint hors de lui me dire ce qu'il avait vu, ce qu'il avait entendu; il ajouta qu'il avait rencontré une ancienne femme de chambre de ma femme, qui avait quitté notre maison pour se faire religieuse. Elle était sortie de son couvent, et cette misérable, jeune encore, se distinguait dans cette foule en vomissant des imprécations contre moi, en demandant à mon domestique où j'étais logé, en le menaçant de le faire arrêter afin de le forcer à déclarer ma demeure. Ce brave homme eut la prudence de faire plusieurs détours dans différentes rues avant de rentrer dans l'hôtel. Depuis ce moment, il craignait toujours de rencontrer cette furie.

Pendant ces derniers jours de l'Assemblée législative, je m'y rendais encore très-souvent. J'avais trop blâmé les membres de l'Assemblée constituante qui avaient quitté leur poste pour qu'il me fût permis de les imiter, même pendant le péril le plus imminent. Un ancien cocher qui m'avait toujours servi avec fidélité était alors cocher de fiacre; il venait me prendre pour me conduire à la Chambre et me ramener chez moi. J'étais, le 10 août, dans sa voiture, et je passais sur la place Vendôme, pour me rendre à l'Assemblée, tandis que le peuple brisait la statue de Louis XIV, qu'on avait renversée de sa base. Le peuple était ivre de joie et de fureur à la fois. Une furie, la Théroigne, était à cheval, et parlait au peuple avec empire. La statue du grand roi insultée et détruite, tandis que son petit-fils était renversé du trône, quelle source féconde de réflexions! Mais les leçons de l'expérience ne servent à rien. Les hommes de caractère n'en ont pas besoin; ils trouvent toujours en eux-mêmes ce qu'ils doivent faire, et jamais ils n'agissent mieux que lorsqu'ils se conduisent par une sorte d'instinct, par la seule impulsion de leur âme. Les hommes faibles, au contraire, doués souvent de ce qu'on appelle de l'esprit, n'ont point cette intelligence qui comprend et

saisit les choses. Vainement on leur cite des exemples, on leur donne des conseils; on ne peut leur imprimer ce que la nature leur a refusé, le courage d'esprit, qui seul peut donner la puissance d'action.

J'avais envoyé, avant le 10 août, ma femme et ma fille au Havre; j'allai les rejoindre après la clôture de l'Assemblée. La Normandie était alors l'asile des royalistes. Rien n'égalait l'excellent esprit des habitants de Rouen et du Havre. Toutes les maisons de ces deux villes étaient remplies d'étrangers qui fuyaient la capitale, abandonnée désormais à l'horrible démagogie. On se retrouvait dans ces villes avec un plaisir difficile à décrire. Des périls communs et les mêmes sentiments produisaient une confiance, un abandon pleins de charmes. On se communiquait ses alarmes sur un avenir menaçant. Plusieurs personnes passèrent alors en Angleterre; on m'engageait à les imiter; un négociant m'offrit tous les moyens d'un passage prompt et facile; mais j'avais pris la résolution invariable de ne point sortir de France, et d'y attendre si quelque circonstance me permettrait d'y servir encore ma patrie. D'ailleurs je ne voulais me séparer de ma famille qu'à la dernière extrémité.

Les différents partis de la Convention étaient alors en présence et se balançaient avec une sorte d'égalité. Cette situation amena un instant de repos et calma les inquiétudes. Presque toutes les personnes réfugiées dans la Normandie retournèrent dans leur domicile ordinaire. Je fis comme elles, et je conduisis ma famille dans ma petite maison de campagne de Bélombre, située près de Melun. Je vis, en passant à Rouen, M. Boullenger, ancien conseiller au Parlement, l'un des hommes qui montra le plus de courage, le plus de dévouement au roi pendant cette déplorable année de 1792.

Arrivé dans ma solitude, j'y vécus dans une profonde retraite. Je ne voyais que trois personnes, dont les maisons étaient voisines de la mienne et qui partageaient tous mes sentiments. Ce fut là que j'appris l'épouvantable attentat du 21 'an

vier. La consternation se répandit alors dans toute la France; la loi des suspects, enfantée par des esprits sortis de l'enfer, vint réaliser les craintes qu'on avait conçues. A peine avaitelle paru que je vis arriver chez moi le général Mathieu Dumas; il me demandait un asile pour une nuit. Un proscrit s'adressait à un proscrit. Il avait reçu des avis; il était menacé; il s'était promptement dérobé aux premières poursuites.

Je courais les mêmes dangers; l'infâme loi des suspects me concernait comme lui; elle avait été publiée le 17 septembre 1793, et aussitôt la France fut couverte de bastilles. Nous vîmes arriver à Melun un détachement de l'armée révolutionnaire de Paris : c'était le beau titre qu'elle prenait. On m'avertit que les soldats prononçaient souvent mon nom, et je vis que je serais bientôt forcé de m'arracher à ma famille. On avait affiché à une porte extérieure de mon jardin une feuille du journal de Gorsas, dans laquelle on disait que j'avais reçu, ainsi que Pastoret, trois cent mille francs de la reine pour organiser la contre-révolution en Provence, et que je voyais secrètement cette princesse. A cette calomnie d'autres non moins absurdes étaient jointes dans le style ordinaire de ce journal.

M. Fréteau, conseiller au parlement de Paris et membre de l'Assemblée constituante, habitait un château près de Melun, à Vaux-le-Pénil. Il vint chez moi un matin; nous parlâmes de nos dangers communs. Je lui dis que j'allais bientôt partir à pied, et que je ne cherchais pas d'autre asile que les grands chemins. Je lui montrai mon petit paquet déjà tout prêt ; il contenait une chemise, un mouchoir et une paire de bas. Il blâma mon projet; il pensa que je ne ferais pas deux lieues sans être arrêté. Son dessein était de rester à sa terre ou à Paris, et d'y attendre sa destinée. Nous discutâmes l'un et l'autre parti; je soutins qu'il ne fallait jamais se livrer à ses ennemis, qu'il fallait toujours conserver de l'espérance jusqu'au dernier moment. Nous persistâmes l'un et l'autre dans notre résolution.

Les suites en ont été telles que je les craignais pour lui et

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