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l'ambassadeur de Venise, M. Pisani, reçut tous ceux qui se présentèrent chez lui et pourvut à leur sûreté ; mais les Suisses, signalés par leur uniforme rouge, furent presque tous massacrés. Un marchand de vin, nommé Clément, sauva un de ces malheureux déjà blessé, le conduisit à l'Assemblée, et demanda son salut de la manière la plus généreuse et la plus touchante.

Mais les rebelles mis en fuite avaient été ralliés par Westermann, officier prussien. J'avais su, peu de jours auparavant, que ce misérable avait proposé de se vendre; mais on ne l'avait pas trouvé digne d'être acheté. Peu de mois après il périt sur l'échafaud. Sa troupe augmentait à chaque instant, mais elle fut repoussée fort loin. On sait que Bonaparte en fut témoin et qu'il en a souvent parlé. Ah! si sa forte tête avait commandé dans ce jour, la victoire n'aurait été pour lui qu'un jeu facile.

On apprit ce nouvel échec dans l'Assemblée; la victoire était encore incertaine, et, si les Suisses de Courbevoie étaient arrivés dans ce moment, le trône eût été relevé presque aussitôt qu'abattu. Mais il était de la destinée de Louis XVI de tout faire contre lui-même jusqu'au dernier moment : il signa, dans la loge où il était retenu, l'ordre aux Suisses de cesser le feu. Il donna lui-même cet ordre à M. Dalmas, député, placé près de la loge du Logographe, en lui disant : « Monsieur Dalmas, est-ce bien cela ? » Ce député le lut, et, frappé de stupeur, le remit au roi, en s'inclinant profondément.

les

• M. d'Hervilly s'exposa aux plus grands dangers pour porter cet ordre fatal, qui, bientôt connu des rebelles, redoubla leur rage par l'espoir de vaincre sans péril. Ils attaquèrent alors sans crainte, pénétrèrent de tous côtés dans le château, massacrèrent tous les Suisses qui se présentèrent isolément, valets, les employés de toute espèce, commirent sur leurs cadavres les excès d'une férocité brutale qu'il est impossible de décrire, et remplirent le palais du sang de ses fidèles guerriers. Près de huit cents périrent dans ce malheureux jour. Leur

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MÉMOIRES DE M. LE COMTE DE VAUBLANC.

seul bataillon, s'il eût été conduit dès quatre heures du matin par un habile officier, aurait dispersé la multitude à mesure qu'elle arrivait, et, sans répandre le sang peut-être, il aurait assuré la victoire au roi. Mais bientôt les faibles conseils, les irrésolutions, les vaines maximes d'une imprévoyante modération l'auraient précipité dans de nouveaux dangers.

Ainsi le meilleur des princes rendit inutile le courage de ses défenseurs, et, pour épargner le sang de ses ennemis, causa la perte de ses amis. Toutes ses vertus tournèrent contre lui et causèrent sa ruine : malheureux de régner dans un temps déplorable, où toutes les antiques maximes de la monarchie étaient ébranlées, plus malheureux de n'avoir pas été élevé par des hommes capables de former son esprit au maintien de son autorité. Le trône venait de crouler. Bientôt sera proclamé le règne de la Convention et celui de la Terreur. J'en constaterai seulement les forfaits juridiques.

CHAPITRE XVII.

Victimes de la Terreur.

M. de Chateaubriand a donné dans un de ses ouvrages une récapitulation des assassinats et des massacres commis dans toute la France pendant ces temps affreux; c'est la leçon la plus terrible qu'on puisse offrir à des Français. M. de Conny a peint ces temps dans un ouvrage consacré à cet horrible tableau et digne de son talent. Je ne veux retracer que les horreurs commises à Paris par le tribunal révolutionnaire. J'en présenterai le tableau d'une façon particulière, que je crois utile pour en tirer une grande et imposante réflexion. On a toujours parlé, pendant la Révolution, et l'on parle encore de la force, de la justice, des lumières de l'opinion publique; on a voulu en faire le grand principe du gouvernement. Examinons donc le spectacle que cette souveraine voyait, souffrait, encourageait même dans cette capitale, dont les bons citoyens et la garde nationale avaient eu, l'année précédente, cette belle conduite que j'ai retracée avec autant de plaisir que d'exactitude.

Il existe des listes imprimées des condamnés à Paris; elles contiennent les motifs des condamnations, les noms, les classes et les professions. L'une d'elles est sous mes yeux; elle fut imprimée à Paris, les jours mêmes où les condamnations étaient prononcées et consommées. En parcourant cette liste lamentable, on est étonné du nombre des femmes, des perruquiers, menuisiers, cordonniers, agriculteurs, soldats et marchands. On y trouve trente-deux députés, sans compter ceux qui périrent dans les provinces.

Le 26 août 1792 furent exécutés un prévenu d'embau

chage, l'intendant de la liste civile, un journaliste, le major général des gardes suisses, un charretier, un employé de la régie générale, Cazotte, propriétaire, un tailleur, un juge de paix.

Le 23 octobre 1792, neuf émigrés, avec cette désignation : Pris les armes à la main. Total, dans ces deux jours, 18 victimes.

Le 21 janvier 1793, Louis XVI.

Depuis le 7 avril jusqu'au 8 mai, deux nobles, un cànonnier, le général Blanchelande. une cuisinière, un colonel, un sans désignation, un lieutenant de vaisseau, un chirugiendentiste, un cocher de place, un négociant, un fermier général. Total 12, dont une femme.

Du 8 mai au 18 juin, sous le nom de conspirateurs de la Bretagne, un commissaire de marine, une femme, un Polonais, maréchal de camp, un aide-major suisse, un négociant, un colonel, un tapissier, un major général de la cavalerie belge, un noble et sa femme, un lieutenant d'amirauté, un commerçant, un instituteur, deux femmes, un officier de chasseurs, quatre autres nobles, un interprète de langue. Total femmes.

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dont quatre

Le 16 juillet, un agent de change, deux marchands, deux propriétaires, un musicien, un recruteur, un sans désignation, un blanchisseur de cire. Total 9.

Du 27 juillet au 17 août, Charlotte Corday, quatre nobles, un homme de loi, un gendarme, un prêtre, le général Custines. Total 9, dont une femme.

Le 6 septembre, sous le nom de conspirateurs de Rouen, un ramoneur, un imprimeur, un meunier, deux domestiques, un tailleur, une femme couturière, un tailleur, un négociant. Total 9, dont une femme.

Du 7 septembre au 17 octobre, un huissier, un cultivateur, un président d'élection, un curé constitutionnel, une femme, belle-mère de Pétion, maire de Paris, deux nobles, un ser

gent, un commis, un soldat, deux musiciens, un subdélégué d'une intendance, un inspecteur des chevaux de la république, un marchand de bœufs et son frère, une femme, un curé constitutionnel, Gorsas, député à la Convention, un maître de poste, un instituteur, un curé, la reine de France (le 16 octobre), un homme d'affaires, un tailleur, un grenadier. Total 27 victimes, dont deux femmes et la reine.

Du 18 au 30 octobre, un juge de paix, un officier municipal, un négociant, un chapelier, deux curés, un vigneron, un canonnier, un grand-vicaire, un administrateur de la loterie de Lyon. Total 10 victimes.

Le 31 octobre, vingt et un députés à la Convention, parmi lesquels Brissot, Vergniaux, Gensonné, Fauchet, évêque constitutionnel, Ducos, Boyer-Fonfrède.

Du 1er au 7 novembre, un prêtre, un gendarme, un horloger, trois sans désignation, mis hors la loi par la Convention, deux femmes, un député extraordinaire de l'électorat de Mayence, un couvreur, le duc d'Orléans, un agent de change, un député à l'Assemblée législative, un serrurier, un noble, un agent de change. Total 16, dont deux femmes.

Le 8 novembre, comme conspirateurs des Ponts-de-Cé, un tonnelier, un meunier, un maçon, un sabotier, un huissier, tous officiers municipaux, et un autre officier municipal, sans désignation. Total 6.

Du 19 au 30 novembre, un capitaine d'infanterie, un général de brigade, Laverdi, ancien contrôleur général des finances, pour avoir fait jeter des grains dans le bassin de son parc, un sans désignation, un lieutenant de la gendarmerie, un général de division; Barnave, constituant, que le peuple avait porté en triomphe; Duport Dutertre, ministre de la justice; un horloger, un curé constitutionnel, une maîtresse d'école, un aubergiste, un marchand de vin. Total 13, dont une femme.

Du 30 novembre au 2 décembre, sous le nom d'affaire de Coulommiers, un maître de pension, un sans désignation, le

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