Imágenes de página
PDF
ePub

chie. Elle pouvait bien alors s'écrier que de tels amis étaient bien plus dangereux pour elle que ses ennemis. L'idiotisme de ces hommes a toujours grandi et toujours travaillé dans le chemin qui leur était tracé par les libéraux. Ils n'ont jamais été autre chose que les esclaves de cette peur que les libéraux savaient si bien faire entrer dans leurs cœurs, et comme ceux-ci ne cessaient de me faire l'honneur d'accumuler des reproches contre moi, les braves gens dont je parle ne cessaient de ré péter leurs discours.

Bien différents de ces hommes de la Restauration, les royalistes ont eu, une conduite admirable pendant les quatre premières années de la Révolution; j'en reparlerai avec complaisance dans la suite de ces Mémoires; je montrerai le courage de l'élite des habitants de Paris, des anciens magistrats, des administrateurs de presque tous les départements; j'en accumulerai les preuves. Je ne les produis pas ici; mais il m'est impossible de ne pas dire que le chef de l'État et ses ministres formaient alors le plus grand obstacle que les royalistes eussent à vaincre. A quoi serviraient ces tristes souvenirs, s'ils ne retraçaient pas leurs devoirs aux rois et à leurs ministres ?

Conclura-t-on de cette dernière ligne que les royalistes en général n'étaient plus sous la Restauration ce qu'ils avaient été pendant les cinq premières années. On aurait raison; la faiblesse qui partait d'en haut, plus grande encore peut-être dans les commencements, fut une cause plus agissante encore pendant la Restauration; mais, heureusement pour le nom français, la Vendée avait acquis une gloire impérissable; elle avait montré que parmi des hommes agrestes se trouvaient des âmes fortement trempées. En même temps, par un contraste frappant, le plus grand courage avait brillé dans une ville industrieuse accoutumée aux arts sédentaires; ce fut un vrai phénomène la ville de Lyon disputa de résolution magnanime avec la glorieuse Vendée. ·

:

A la guerre, les succès et les revers dépendent toujours de

la position des armées; il en est de même en politique. La France, pendant la Révolution, n'a pas été ce qu'elle pouvait être; j'en vois une cause dominante: le changement des provinces en départements. Les noms et les souvenirs anciens étant effacés, on manquait de point de ralliement. Les noms ridicules tirés des rivières et des montagnes ne présentaient aucun drapeau et ne pouvaient rallier les hommes de cœur. Lyon et la Vendée furent des exceptions; mais il ne faut jamais raisonner d'après les exceptions. Tout le reste était dans la stupeur de l'esclavage et attendait chaque jour les ordres partis de la capitale. Là des factions se disputaient le pouvoir, et cette grande cité, plus esclave encore que le reste de la France, tremblante sous l'Assemblée qui tremblait elle-même sous l'ascendant de la faction, donnait l'exemple de l'obéissance. Tant que la France sera morcelée, comme elle l'est maintenant, en petites portions, sans noms et sans souvenirs, elle ne produira point ces grandes vertus civiques qui relèvent les empires, à l'instant de leur chute.

Si vous voulez avoir une juste idée du bien que produisaient les états provinciaux, lisez l'excellente Histoire des états du Languedoc par M. le baron Trouvé, ancien préfet dans ces contrées. Vous y verrez avec quel esprit de suite, avec quel travail assidu ces états s'occupaient de toutes les branches de l'administration, et comment ils faisaient rejaillir sur la couronne la gloire de leurs succès. Ils créèrent et augmentèrent ces belles manufectures de draps que Marseille expédicit dans tout l'Orient, et dont les ballots étaient reçus sans être ouverts. Après la Révolution, au contraire, on ne recevait plus un seul de ces ballots sans les ouvrir et les examiner. Triste effet d'une tromperie habituelle, qui, s'enrichissant d'abord aux dépens des Français, voulait s'enrichir plus encore aux dépens de l'étranger. On ne peut lire l'ouvrage de M. le baron Trouvé sans regretter que de pareilles institutions aient été détruites par l'ineptie de la Constituante.

CHAPITRE XIII.

Assemblée législative en 1792. — Observations générales.

[blocks in formation]

Caractère des

Effets produits par la manière dont ils se plaçaient
Vergniaux. M. de Narbonne, mi-

Les Girondins.

nistre de la guerre.

L'Assemblée législative se réunit sous les plus tristes auspices. Nommé par Seine-et-Marne, je fus un des membres de cette Assemblée et peut-être y exerçai-je quelque influence. Le roi, après le retour de Varennes, avait été enfermé aux Tuileries, interrogé par des commissaires de l'Assemblée constituante, et rétabli sur son trône, en jurant de maintenir la Constitution. Cette Assemblée était toute nouvelle, remplie d'avocats, de procureurs, d'hommes de lettres, de prétendus philosophes. Elle ne pouvait faire le bien; elle était destinée au mal, surtout par l'informe et ridicule loi fondamentale qu'elle était chargée de maintenir.

Beaucoup de membres de l'Assemblée constituante étaient revenus de leurs erreurs; s'ils ne s'étaient pas exclus euxmêmes des élections, deux cents au moins d'entre eux auraient été réélus, et la seconde assemblée n'aurait été ni si folle, ni si atroce; elle aurait eu en elle-même des éléments de salut pour la couronne et la famille royale. Trente ans après, quand nous faisons encore de nouvelles folies, nous ne pouvons concevoir cette fatale détermination de l'Assemblée constituante. Elle fut en partie l'ouvrage de la tourbe des hommes médiocres, certains de n'être pas réélus et jaloux de ceux qui devaient l'être. Dès le premier jour de l'Assemblée législative j'eus l'occasion de manifester mes sentiments dans la déplorable discussion sur la manière dont le roi serait reçu le lendemain dans l'Assemblée. Je puis dire que je fis tout à coup changer la détermi

nation probable de l'Assemblée par des observations très-simples et conformes aux moindres convenances. C'étaient un tumulte, un tapage, des cris, des trépignements qui durent apprendre à la France combien notre caractère national est propre aux discussions législatives, et que des folies et des fureurs allaient être les fruits immédiats des théories insensées de l'Assemblée constituante.

Dès ce premier jour, les royalistes portèrent les yeux sur moi; je fus troisième président. M de Pastoret, qui, par ses ouvrages et sa conduite, s'était acquis une grande réputation, fut le premier président.

Je m'honore d'avoir été l'un des membres les plus zélés du côté droit. Des histoires écrites dans les temps du Directoire et du Consulat, lorsque la France avait encore le titre de république, n'ont pas montré le côté droit de cette Assemblée menacé sans cesse par les factieux et soutenant toujours les principes de l'ordre social. Les royalistes de cette chambre étaient dans la situation la plus affreuse, obligés souvent de faire des. concessions demandées par les ministres, mais jamais soutenus par eux. Souvent même leurs projets et leurs discours étaient contrariés par des maladresses ministérielles inexplicables. J'en citerai bientôt un exemple.

Mais ce qui, dès les premiers jours, rendait surtout déplorable la situation du côté droit, c'était le parti mitoyen, qu'on appelait le ventre. Ce parti pensait comme nous, mais il n'osait s'asseoir auprès de nous. Le côté gauche, terminé par la partie appelée la montagne, était si rempli, les députés y étaient si pressés, si entassés les uns près des autres, dans la partie occupée par le ventre, qu'ils semblaient nous regarder comme des hommes dangereux et éviter avec le plus grand soin de s'asseoir auprès de nous. On ne peut concevoir les conséquences qu'avait cette manière constante de se placer, dans une assemblée dont les membres honnêtes et pleins de probité étaient en même temps d'une faiblesse de caractère inconcevable. Plus les

hommes faibles s'entassent les uns auprès des autres, plus ils se communiquent leur faiblesse; elle devient contagieuse. Tel homme du ventre qui pâlissait aux appels nominaux, quand il entendait prononcer son nom, aurait voté différemment et avee fermeté s'il avait pris la résolution de s'asseoir dans le côté droit. Des membres qui s'asseyaient quelquefois dans le côté. droit se mettaient parmi les ventrus lorsqu'ils prévoyaient que, dans une question importante, on voterait à l'appel nominal; ils sentaient qu'ils ne pourraient se livrer à leur faiblesse au milieu d'hommes qui prononçaient avec fermeté le vote inspiré par leurs sentiments et commandé par leur opinion. Cela prouve que, s'ils avaient pris une fois la résolution de rester du côté droit, ils y auraient voté courageusement, comme les membres dont ils auraient été entourés. Mais, parmi ceux qui s'asseyaient au centre, plusieurs n'y restaient qu'afin de l'entraîner quelquefois dans les débats du côté droit. Tels étaient MM. Lacuée. Bigot de Préameneu, et surtout Pastoret, dont la réputation et les lumières conservèrent un grand ascendant sur le centre. Le côté droit obtint souvent, par lui, les suffrages de cette partie de la chambre.

Les jacobins, qui étaient habiles dans l'art qu'on appelle avec raison la tactique des assemblées, avaient remarqué l'effet des appels nominaux et en profitaient souvent. C'était un spectacle déplorable que de voir sur les visages la terreur qui se manifestait à l'instant où il fallait prononcer le oui ou le non. Si on avait voté, alors comme à présent, par boule noire ou blanche, les lois auraient été bien différentes, et la mort du roi n'aurait été votée que par un petit nombre de députés ; mais il faut convenir que la plus cruelle critique qu'on ait pu faire du caractère national est d'avoir cru nécessaire d'établir un vote secret par boule noire et blanche. Ce scrutin secret, dans les délibérations et dans les élections, fera nécessairement tomber les honnêtes gens dans un état de dégradation dont rien ne pourra les tirer. J'ignore si ces belles idées ont été inspirées

« AnteriorContinuar »