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enfanté par eux est bien choquant, quoiqu'il fasse trépigner le parterre.

Il y avait dans la société que je fréquentais un M. Richard, homme d'esprit et de bon goût; il nous récita un jour le rôle d'Agrippine d'un ton si ferme et si vrai qu'il nous attacha, et que nous étions suspendus à sa parole comme des enfants qui entendent réciter la Barbe-Bleue.

Je veux encore dire une chose qui m'attira beaucoup de reproches de personnes très-spirituelles.

Mademoiselle Bourgoin faisait le rôle d'Iphigénie en Aulide. Elle était alors jeune, jolie, bien faite, d'une taille svelte, parfaitement vêtue à la grecque; sa voix était agréable. Elle disait son rôle d'un ton doux, mélodieux, sans efforts, sans fatigue, et surtout sans aucun de ces hoquets convulsifs qui déchirent les oreilles délicates. Je m'écriai : « Voilà une véritable Iphigénie. Comment pouvez-vous dire cela? Il n'y a Eh! messieurs, c'est pré

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point d'art dans sa déclamation. cisément parce qu'il n'y a point d'art que je l'aime tant. Iphigénie pouvait être toute semblable à cette actrice, et surtout elle devait parler avec cette simplicité de Racine et ces convenances de son rang. Si elle avait mis de l'art dans ses gestes et dans son langage, je me serais enfui, et j'aurais couru réciter dans ma solitude ce beau rôle d'Iphigénie.

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Je n'ai pas assez vu Le Kain pour pouvoir en parler; je dirai seulement que, dans les derniers temps où je l'ai vu, il était lourdement compassé, qu'il faisait des poses bien longues, et que tout était artifice en lui, depuis les pieds jusqu'à la tête. J'ai vu des lettres de M. de Vennes, homme de beaucoup d'esprit, dans lesquelles il se plaignait à Voltaire de ce que cet acteur faisait durer les pièces trop longtemps par ses pauses continuelles. J'ajouterai encore que Larive imagina très-malheureusement, dans le rôle de Philoctète, qu'il devait représenter avec la plus grande vérité les souffrances corporelles de ce malheureux prince; qu'il fallait donc se traîner sur la scène en poussant des

cris douloureux, accompagnés de gestes et de mouvements plus douloureux encore. Ce n'était qu'une pantomime désagréable, et plus d'une personne en fut indignée. Au reste, je suis convaincu que tous ces hurlements, ces beuglements, ces efforts convulsifs, en accoutumant le spectateur à ce hideux spectacle, ont engendré insensiblement la tourbe des dramaturges, et toutes ces représentations que nous voyons depuis les dernières années de la Restauration.

Il me semble facile de prouver que la déclamation et le jeu des acteurs étaient bien différents sous Louis XIV et du temps de Racine. On sait quel succès avait le comédien Baron, si célèbre dans son temps. Racine, après avoir fait répéter des rôles devant lui, dit à ce comédien : « Pour vous, Monsieur, je n'ai point de leçon à vous donner; vous trouverez tout en vousmême. » Or il est impossible de penser que Racine, si vrai, si naturel dans ses ouvrages, ne le fut pas aussi dans sa déclamation. C'était lui qui imposait le ton aux acteurs tragiques de son temps; ils devaient donc avoir un ton analogue à ses beaux ouvrages; ils ne durent jamais beugler, ni transformer de si beaux vers en un langage forcené. En outre, Baron a beaucoup réussi dans les tragédies de Campistron; elles ont eu un succès prodigieux, et jusqu'à cent représentations de suite. Baron, qui contribuait tant à ce succès, pouvait donner plus de force au faible langage de Campistron, mais il ne pouvait y trouver aucune matière à ces tours de force, à ces cris forcenés dont je viens de parler. Reviendrons-nous jamais à Racine pour le langage et pour le récit! Non, non, très-certainement, à moins qu'un prince, doué comme Louis XIV de l'instinct des choses grandes et nobles, ne témoigne, comme il l'a fait, le goût de ces belles choses et le dégoût des choses contraires.

CHAPITRE VIII.

Les modes à mon arrivée en France.

Au moment où j'arrivai en France, je fus bien frappé des modes nouvelles. Nous en recevions quelques-unes dans la colonie, mais elles ne pouvaient être imitées entièrement; le climat s'y opposait. Il exigeait des vêtements et une coiffure différente, et qui, plus simple, plus naturelle, était plus élégante. Trèspeu de femmes portaient de ces corsets qui détruisent tant leur santé et qui les déparent, sans qu'elles s'en doutent. Au moment où j'arrivai, on portait encore beaucoup de rouge et des mouches; l'excellent goût de la reine n'avait pas encore pu les faire disparaître. Au-dessus du front s'élevaient des cheveux bien crêpés, bien roides, bien graissés et bien poudrés. Cette coiffure était à angles droits, saillants et rentrants, et avait un air menaçant, comme une fortification. Pour accompagner ces bastions on mettait des deux côtés, et sur le cou de grosses boucles bien roides, bien graissées et poudrées', bien tenues par des broches de fer, et qui avaient le charme de salir sans cesse le cou. Au-dessus des fortifications dont j'ai parlé on plaçait un coussin de taffetas noir, rempli de crin. Ce coussin, qui perdait promptement sa propreté primitive, était attaché à la fortification par de longues épingles de fer; il était destiné à recevoir toutes les broches de fer qui devaient attacher le nombre immense des ornements qui relevaient toute cette coiffure, des rubans, des fleurs, des nattes en cheveux, des boudins en cheveux, et un attirail difficile à décrire composé de faux cheveux. Les cheveux de derrière, bien graissés aussi, et encore plus poudrés que le reste, étaient relevés,

tantôt en plusieurs nattes ou tresses, tantôt en un chignon volumineux qui faisait peur à tous les meubles et à tous les habits qui en approchaient. Comme tous ces cheveux du derrière de la tête avaient une irrégularité choquante dans la partie d'en haut, on fourrait, dans l'espace qui se trouvait entre le coussin et les cheveux, de grandes cocardes de crêpe ou de taffetas, pour cacher ce vilain commencement de nattes, de tresses et de chignon volumineux. La poupée ainsi coiffée avait du rouge sur les joues et quelques mouches. Le bon ton voulait que le rouge fût très-épais, qu'il touchât les paupières inférieures des yeux. Cela, disait-on, donnait du feu aux yeux. On tenait tant à ce rouge que toutes les femmes avaient dans leur poche une boîte plus ou moins riche, dans laquelle étaient les mouches, le rouge, le pinceau, et surtout le miroir, Plusieurs dames renouvelaient, sans façon, à leur aise, leurs belles joues rouges partout qù elles se trouvaient.

J'oubliais de dire qu'une mode impérieuse força bientôt outes les femmes à substituer une poudre rousse à la poudre lanche; elle produisait une saleté abominable sur le front, le cou et les épaules. Tout cet échafaudage était surmonté d'une touffe de plumes blanches plus ou moins élevées.

La mode vint alors d'avoir des voitures à l'anglaise; l'impérial intérieur était très-bas, en sorte que les dames d'une taille élevée étaient forcées de se mettre à genoux dans la voiture pour ne point briser leurs plumes. J'ai vu une dame qui non-seulement était à genoux dans la voiture, mais encore passait sa tête par la portière. J'étais assis auprès d'elle. Quand une femme ainsi panachée dansait dans un bal, elle était contrainte à une attention continuelle de se baisser lorsqu'elle passait sous les lustres, ce qui lui donnait la plus mauvaise grâce qu'on puisse imaginer. On assurait dans ce temps que, lorsque l'impératrice Marie-Thérèse vit un portrait qui retraçait la reine de France, sa fille, ainsi coiffée, elle poussa un gémissement et se mit à pleurer.

Après cette tête ainsi empanachée venait un corps bien serré, bien gêné, et qui formait le pain de sucre autant qu'il était possible; car cette forme de pain de sucre était la véritable merveille. Il descendait le plus qu'on pouvait, de façon qu'il usurpait trois ou quatre pouces sur les cuisses. Or vous savez, mais ces dames ne savaient pas, que la beauté de la taille générale des femmes est dans la longueur proportionnée des cuisses et des jambes. Voyez toutes les belles statues, tous les tableaux de Raphaël et des autres grands peintres. Cette beauté de proportions ne fut pas ignorée sous le Consulat et sous l'Empire. Les femmes avaient adopté alors un costume qui fut constamment approuvé et suivi par nos plus grands peintres. J'ai vu dans la galerie de Saint-Cloud un portrait de la reine avec la tête à la mode, le corps démesurément long, et des cuisses si courtes que cet ensemble faisait peine à voir à toute personne douée d'un peu de goût naturel. C'est une chose singulière que d'entendre presque toutes les femmes parler de ce qu'elles appellent la taille; elles en font une partie à part, dans laquelle elles comprennent la gorge, l'estomac, la poitrine, le ventre, et elles vous disent : « Il faut bien marquer la taille, il faut serrer la taille. « Et ce mot, qu'elles ne comprennent pas, revient à chaque instant. Elles ne savent pas que par ce mot les artistes et tous les hommes instruits ont toujours entendu l'ensemble de la personne. Ainsi, quand Voltaire a dit de Louis XIV qu'il avait une riche taille, il entendait toute la personne, dans de belles proportions bien agencées ensemble, et non pas ce que les artistes appellent le buste et que les femmes appellent taille. Ce que les femmes appellent la taille, et qu'elles considèrent comme une partie du corps, n'est point, à proprement parler, dans la nature. La nature a dessiné le corps humain d'un seul trait, qui, partant du cou, trace les épaules, et descend, par un contour onduleux, jusqu'à la cheville du pied, en rentrant et ressortant suivant que l'exige la beauté des formes. Changer ce beau contour

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