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dernier lui adressa 1 et où il lui disait entre autres choses: << Moi et toute ma cour, nous sommes bien étonnés de ce que tu oses faire, et surtout de la manière dont tu traites chaque jour les habitants de Tarragone, qui ne peuvent sortir de la ville sans être dépouillés et même tués par toi et les tiens. Possédant un tiers de Tarragone, tu ruines les deux autres tiers. Je t'ordonne de réparer dans trente jours après la réception de la présente, tous les dommages que tu as faits; sinon, je donnerai toute la ville, sans en excepter ton château, à l'archevêque, d'autant plus que je t'ai déjà ordonné auparavant de remettre en son pouvoir la ville et son territoire.... Si tu veux m'obéir, j'en serai content et je te considérerai comme un bon et loyal vassal; sinon, tu auras à t'imputer à toi-même ce qui s'ensuivra.»

A la fin, Guillaume fut cité de nouveau, on ne sait pourquoi, devant la cour du comte à Tortose. Il y alla, mais pour n'en pas revenir.

L'archevêque, qui se trouvait alors à Tamarite, était. furieux contre lui. Un jour que deux de ses neveux vinrent lui demander de l'argent: «Ah, vraiment! leur dit-il, vous croyez que je vous donnerai quelque chose? Tant que cet étranger, ce Guillaume de Tarragone, mon ennemi mortel, n'aura pas cessé de vivre, je ne vous: donnerai rien. N'y a-t-il donc personne qui veuille me venger de cet homme ?>> Les deux jeunes gens frémi

rent d'horreur en entendant ces paroles, et ils résolu

1) Marca Hisp., no 455. Une partie de cette lettre avait déjà été publiée par Pons de Ycart, Grandezas de Tarragona, fol. 62.

rent aussitôt d'avertir Guillaume du péril qui le menaçait. Ayant donc ordonné à un de leurs hommes, Pierre de Figuerolas, de monter à cheval: «Cours à franc étrier vers Vellalbin, lui dirent-ils. Tu y salueras de notre part le vieux Bernard de Castellet, et tu lui recommanderas de dire à Guillaume de Tarragone qu'il se mette sur ses gardes. Sans cela, il peut se tenir pour mort, car nous avons entendu prononcer à notre oncle des paroles qui présagent un événement sinistre.>> messager se mit aussitôt en route; mais tandis qu'il galopait vers Vellalbin, l'archevêque fit jurer à d'autres de ses neveux, qui étaient les ennemis personnels de Guillaume, qu'ils tueraient ce dernier. Ils tinrent leur ser

ment: ils assassinèrent Guillaume à Tortose.

Le

Ce meurtre exaspéra la famille normande plus qu'on ne peut le dire. Guillaume fut vengé: l'archevêque expia par sa propre mort celle de sa victime (17 avril 1171). La rumeur publique accusait Robert d'avoir porté le coup; mais dans une lettre qu'il adressa plus tard à Alphonse, Bérenger lui-même avoua qu'il était le meurtrier de Hugues de Cervelló'. Pour échapper aux poursuites de la justice, il se réfugia avec toute sa famille dans l'île de Majorque, qui était encore au pouvoir des Sarrasins, et son frère Robert étant mort peu de temps après, il envoya à Alphonse une lettre très humble, dans laquelle il le suppliait de rendre Tarragone à son neveu, qui s'appelait Guillaume comme son

1) Lettre de Bérenger, Marca Hisp., no 456. Comparez l'épitaphe de Hugues dans Villanueva, p. 159.

père. Mais ses prières furent inutiles. Supposé même qu'Alphonse eût voulu rendre Tarragone au petit-fils de Robert-Bordet, le pape l'en aurait empêché. Déjà indigné contre les Normands, qui, peu de temps auparavant, avaient assassiné Thomas Becket, l'archevêque de Cantorbéry, Alexandre III se demanda si cette race impie en voulait à la vie de tous les archevêques, et, fermement décidé à ne point pardonner des crimes si abominables, il adressa à Alphonse et au diocèse de Tarragone lettre sur lettre, en menaçant de mettre tout le comté en interdit, si le meurtrier, sa mère (que l'on accusait d'avoir conseillé le crime) et toute leur famille n'étaient pas punis d'une manière exemplaire 1. Mais Alphonse n'avait pas besoin d'être stimulé; il devait s'estimer trop heureux d'avoir enfin trouvé le moyen de se débarrasser de ces étrangers qu'il détestait. Bérenger, sa mère Agnès et toute leur famille furent donc bannis à perpétuité des États d'Alphonse, et leurs biens furent confisqués 2. Plus tard, toutefois, Guillaume II, que l'on appelait Guillaume d'Aguilon, titre que son père avait déjà porté, sut se concilier la faveur de Pedro II, roi d'Aragon et comte de Barcelone, auquel il céda tous ses droits sur la principauté de Tarragone, et qui en retour lui donna, en 1206, la troisième partie de la ville de Valls et plusieurs autres seigneuries, telles que Picamoxon, Espinaversa, Pontegaudi, Riudoms et Monroig, qui se trouvaient dans cette principauté et que

1) Lettres du pape, Marca Hisp., nos 457, 458, 459, 460, Villanueva, no XXIX.

2) Épitaphe de Hugues.

Guillaume Ier avait possédées. Son fils, Guillaume III, qui prit une grande part à la conquête de Valence, reçut en récompense de ses services de grands domaines dans le pays valencien. Ses descendants, les Aguilon, barons de Pétrès, se sont distingués par leur valeur, non-seulement en Espagne, mais encore dans les deux Siciles, en Allemagne, en Hongrie, en Gueldre, en France, dans les États barbaresques, presque partout enfin où la maison de Habsbourg a porté ses armes si souvent victorieuses 1.

1) Escolano, Historia de Valencia, p. 534-543.

LE FAUX TURPIN.

L'histoire de Charlemagne et de Roland, attribuée à Turpin, archevêque de Reims (+ vers 800), a eu une vogue prodigieuse au moyen âge, comme le prouvent les nombreux manuscrits qui en existent, les traductions qui en ont été faites en plusieurs langues et sa reproduction dans beaucoup de chroniques, où elle est considérée comme un ouvrage d'une parfaite authenticité. La critique historique n'existait pas alors; mais dès sa naissance au XVIe siècle, elle s'éleva contre ce livre et prouva que c'était un récit romanesque, l'œuvre d'un faussaire ignorant, d'un grand menteur comme on disait. Jamais sa tâche ne fut plus facile: il ne se trouva même personne pour défendre le faux Turpin, et désormais on n'en parla qu'avec le plus profond mépris.

Il méritait mieux cependant, et c'est ce qu'on a compris au fur et à mesure qu'on a pénétré plus avant dans l'étude du moyen âge, car bien qu'il soit parfaitement inutile pour la vraie histoire de Charlemagne, il est en revanche d'une certaine valeur pour l'histoire poétique de cet empereur, puisqu'il a emprunté beaucoup aux chansons de gestes, et quand on se place à un point de vue qui diffère de celui qu'on avait autrefois, quand

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