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ceaux de son cercueil, qu'ils considéraient comme de puissants préservatifs contre les périls de la guerre. Il ne lui manquait que la canonisation en bonne forme, et ce fut Philippe II qui la réclama. Les événements du temps forcèrent l'ambassadeur espagnol à quitter Rome à l'improviste, et l'affaire n'eut point de suite; mais il est bien remarquable que ce fut le sombre et farouche Philippe II qui demanda que le Cid fût mis dans le catalogue des saints; le Cid qui était plutôt musulman que catholique, qui, même dans sa tombe, portait un vêtement arabe; le Cid que Philippe aurait fait brûler par ses inquisiteurs comme hérétique, comme sacrilège, s'il avait vécu sous son règne; le Cid que la nation avait idolâtré parce qu'elle le regardait comme le champion de la liberté, de cette liberté que Philippe sut si bien étouffer en Espagne.

EXTRAITS

DU

SIRADJ AL-MOLOU C.

L'auteur du Sirâdj al-molouc, Ibn-abî-Randaca Tortôchî (de Tortose), naquit en 1059. Il séjourna à Saragosse, où il prit des leçons d'Abou-'l-Walîd Bâdjî, et il étudia les belles-lettres à Séville, sous le grand IbnHazm. En 476 (1083-4), il quitta l'Espagne, fit le pèlerinage de la Mecque, et s'établit pour quelque temps en Syrie. Dans la suite, il jouit de la faveur d'Ibn-alBatâyihî qui, après le meurtre d'Afdhal Châhânchâh, en décembre 1121, fut élu vizir par les émirs égyptiens 1. Ce fut à ce noble personnage qu'il dédia son Sirâdj almolouc, ouvrage qu'il composa en 11222. C'est une sorte de manuel à l'usage des princes et qui contient aussi une foule de courts récits historiques, souvent très curieux. Quelques-uns d'entre eux n'étant pas sans intérêt pour l'histoire d'Espagne, je donnerai ici la traduction de ceux qui m'ont paru les plus importants, et

1) Voir Ibn-Khallicân, Fasc. V1, p. 141-143, et Maccarî, t. I, p. 517 et suiv.

2) Voyez le Catal. des man. or. de Copenhague, t. II, P. 109.

que j'ai rangés selon l'ordre chronologique. Pour la faire je me suis servi de nos trois manuscrits, les nos 70, 354 a et 354 b, ainsi que de l'édition de Boulac, de l'année 1289 (1872), qui est assez correcte, excepté que les noms propres y sont parfois défigurés.

I.

UN CAMPÉADOR DANS L'ARMÉE D'ALMANZOR.

<< Voici ce que m'a raconté mon maître, le cadi Abou'l-Walid Bâdjî:

<«Un jour qu'Almanzor était en campagne, il vit, du haut d'une colline, devant lui, derrière lui, à droite et à gauche les troupes musulmanes qui encombraient les plaines et les montagnes. S'adressant alors au général, qui s'appelait Ibn-al-Moçhafî: «Eh bien, vizir, lui ditil, que dites-vous d'une telle armée? Je dis qu'elle est grande et nombreuse, répliqua Ibn-al-Moçhafî. Et vous pensez sans doute comme moi que l'on y trouverait facilement un millier de braves?»> Puis, comme le général gardait le silence: «Pourquoi ne répondezvous pas à ma question? lui demanda Almanzor; doutez-vous que parmi toutes ces troupes il n'y ait un millier d'excellents soldats? Oui, dit alors Ibn-al-Moçhafî, j'en doute.» Étonné de cette réponse, Almanzor se tut quelques instants, après quoi il reprit: << Mais alors, il y en aura cinq cents au moins. Non. Eh bien! dit Almanzor qui commençait à se fâcher, disons qu'il y en a cent. Non, il n'y en a pas tant.

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Cinquante alors.

Non.

Tu es un imbécile, toi!

s'écria alors Almanzor dans sa colère; sors de ma présence et que je ne te voie plus ! »

« Quand les troupes furent arrivées au cœur du pays des chrétiens et qu'elles se trouvèrent en face de l'ennemi, un chrétien armé de pied en cap se plaça entre les deux armées, et tantôt poussant son cheval en avant, tantôt le ramenant en arrière, il cria: «Y a-t-il un mobâriz 1?» Un musulman alla l'attaquer, mais il fut tué aussitôt, à la grande joie des polythéistes qui poussèrent des cris d'allégresse. Un second et un troisième ne furent pas plus heureux, et l'on dit à Almanzor: «Il n'y a qu'Ibn-al-Moçhafi qui puisse nous délivrer de cet homme. » L'ayant fait venir, Almanzor le pria de punir le chrétien de son arrogance. Ibn-al-Moçhafi alla trouver alors un soldat des frontières. Cet homme avait un extérieur négligé; il était monté sur une misérable haridelle à laquelle les os perçaient la peau, et sur le pommeau de sa selle il tenait une outre. Ibn-al-Moçhafi l'ayant prié d'apporter à Almanzor la tête du chrétien, il alla déposer l'outre dans sa tente, après quoi il endossa sa cuirasse, et, étant allé à la rencontre du chrétien, il jeta, peu d'instants après, la tête de ce dernier aux pieds d'Almanzor. « Voilà un vrai brave, dit alors Ibn-al-Moçhafî, et c'est dans ce sens que j'entendais la bravoure, lorsque je vous disais que votre armée ne comptait ni mille, ni cinq cents, ni cent, ni cinquante, ni vingt, ni même dix vaillants guer

1) C'est-à-dire, un campéador. Voyez plus haut, p. 60 et suiv.

riers. »

Almanzor rendit sa faveur au général et l'honora beaucoup. >>

Comme ce récit ressemble à celui que j'ai traduit plus haut (p. 61 et 62), j'ai cru devoir l'abréger un peu. Le général dont il y est question, paraît être le vizir Hichâm, un neveu du premier ministre Djafar Moçhafî. Ce Hichâm était général en chef de la cavalerie 1. Dans l'année 977, il s'attira le mécontentement d'Almanzor. Devançant le gros de l'armée, qui revenait d'une expédition contre les Léonais, il était allé montrer à Cordoue plusieurs têtes coupées; mais ces trophées ne lui appartenaient pas, il les avait volés. Dans sa colère, Almanzor jura de le punir. Peu de temps après, en mars 978, il le fit arrêter ainsi que tous les membres de sa famille, et à peine Hichâm était-il arrivé dans la prison d'État à Zahrâ, qu'il fut mis à mort sans forme de procès 2.

II.

UN FAQUI TOLÉrant.

<< Du temps d'Almanzor ibn-abî-Amir, une étrange aventure arriva à Cordoue. Un homme, nommé Câsim ibnMohammed Sonbosî 3, fut accusé d'impiété, et Alman

1) Voyez Ibn-al-Abbâr, dans mes Notices, p. 142, 1. 3.

2) Voir Ibn-Adhârî, t. II, p. 285; Maccarî, t. II, p. 62.

3) Dans le Lobb-al-lobáb on trouve le nom relatif Sinbisî; mais le man.

,السنبسى a donne 354

et le man.

202

Dans le man. 70

السنبسي 3546

الشبليشي

on trouve, et dans l'édit. de Boulac,
Boulac,lims.

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