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Orderic Vital, il eut, dit-on, un entretien avec le diable, et lui demanda ce qui devait lui arriver un jour. Le malin esprit lui fit entendre sa réponse par un vers dont le sens était: «Gerbert passe de R à R, puis il devient pape gouvernant R1. » Cet oracle de l'infernal caméléon fut alors trop obscur pour être compris. Cependant, etc. 2. »

Le fait suivant pourra donner une idée de la confiance sans bornes que l'on avait à la même époque dans les prédictions des sorciers.

<< Pendant les guerres des Normands dans la Pouille, quelques sorciers, dit Orderic Vital, s'avisèrent à Rome de rechercher quel serait le pape qui succéderait à Hildebrand, et découvrirent qu'après sa mort, ce serait un pontife du nom d'Odon qui occuperait le siége de Rome. A cette nouvelle, Odon, évêque de Bayeux, qui, de concert avec le roi Guillaume, son frère, gouvernait les Normands et les Anglais, faisant peu de cas de la puissance et des richesses des Etats d'Occident, s'il ne dominait au loin et sur tous les mortels par le droit de la papauté, envoya des délégués à Rome; il y fit acheter et orner à grands frais et même en objets superflus un palais, et se concilia, à force de présents, l'amitié des sénateurs du peuple romain. Il réunit Hugues, comte de Ches

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Transit ab R Gerbertus ad R, post papa regens R.

Gerbert, avant d'être pape sous le nom de Silvestre II, occupa successivement les siéges de Reims et de Ravenne. Cf. Helgaud, vie de Robert. 2 Orderic Vital, 1. 1, collection Guizot, t. xxv, p. 163. Gerbert, le premier, conçut l'idée des cro sades, et en 999 adressa à l'Église universelle, au nom de l'Église de Jérusalem désolée, une lettre dans laquelle il implorait l'assistance des chrétiens contre l'oppression des Sarrasins. Ce fut probablement à cette occasion qu'on lui prédit qu'il mourrait à Jérusalem; prédiction qui se trouva, dit-on, vérifiée : car il mourut dans une chapelle qui portait le nom de la ville sainte.

ter, et une troupe considérable des chevaliers les plus distingués, les pria de passer avec lui en Italie, et leur prodigua de grandes promesses à l'appui de ses prières 1.>> Les intrigues et les préparatifs de l'évêque excitèrent l'inquiétude de Guillaume, qui l'arrêta lui-même dans l'île de Wight, et le fit conduire dans la tour de Rouen, où le crédule prélat resta emprisonné pendant quatre ans.

« L'an du Seigneur 1080, dit Mathieu Paris, le pape Hildebrand (Grégoire VII), par une prétendue révélation divine, prédit qu'un faux roi mourrait cette année. Sa prédiction se vérifia, mais trompa ses espérances: car il entendait désigner ainsi l'empereur Henri, et ce faux roi fut Rodolphe, tué par ce même empereur Henri avec une foule de seigneurs, dans une sanglante bataille livrée aux Saxons révoltés 2. >>>

Lors de la grande coalition formée contre PhilippeAuguste, coalition qui fut brisée par la victoire de Bouvines, la comtesse Mathilde, veuve de Philippe d'Alsace, et tante de Ferrand, comte de Flandre, l'un des chefs des coalisés, « désirant, dit Guillaume le Breton, être instruite des choses de l'avenir, suivant l'habitude des habitants de l'Espagne, consulta les sorciers qui pratiquent un art inconnu. Elle-même cependant n'ignorait pas, à ce que je pense, les prestiges que Tolède la devineresse a coutume d enseigner aux Espagnols. S'étant donc fait tirer le sort, elle mérita d'être séduite par cette réponse problématique, où la vérité se cachait sous des paroles ambiguës: « Le roi, renversé de cheval « par une grande foule de jeunes guerriers, sera écrasé

1 Histoire de Normandie, 1. vII, collect. Guizot, t xxvII, p. 465 et suiv. 2 Traduct. Huillard-Bréholles, t. 1, p. 42.

3 Mathilde était fille du roi de Portugal.

sous les pieds des chevaux, et il ne sera point inhumé; « à la suite de la bataille, le comte, traîné sur un char, sera accueilli, au milieu de bruyants applaudissements, « par le peuple de Paris 1.» Cette prédiction à double sens reçut en effet son accomplissement. Philippe-Auguste fut renversé de cheval pendant la bataille et foulé aux pieds des chevaux, et Ferrand, tombé au pouvoir du vainqueur, fut emmené en triomphe à Paris.

A peu près à la même époque, au moment où Jean-sansTerre, auquel on appliquait une prophétie de Merlin', était en guerre avec ses barons, soulevés contre lui, <«< il se trouvait dans la province d`York un ermite, nommé Pierre, qui jouissait d'une grande réputation de sagesse, parce qu'il avait souvent prédit l'avenir. Entre autres choses qui lui avaient été révélées sur le roi Jean par l'esprit de prophétie, il affirmait et proclamait hautement, publiquement et devant tous ceux qui voulaient l'entendre, que Jean ne serait plus roi à l'Ascension prochaine ni plus tard; et que, ce jour-là, la couronne d'Angleterre serait transférée à un autre. Le roi, ayant été informé des paroles de l'ermite, se le fit amener, et lui demanda : « Est-ce que je dois mourir ce jour-là? Par « quel moyen perdrai-je mon trône?» Celui-ci se contenta de répondre : « Sachez, pour sûr, qu'au jour que «j'ai dit, vous ne serez plus roi; et si je suis convaincu de « mensonge, faites de moi ce qu'il vous plaira. » Alors, le roi lui dit : « Je te prends au mot. » Et il le donna en garde à Guillaume d'Harcourt, qui l'enferma à Corfe ; et le malheureux attendit, sous bonne garde et chargé de fers,

1 Philippide, chant x, collection Guizot, t. x, p. 307.

2 Voy. Guillaume le Breton, Vie de Philippe-Auguste, ibid., t. XI, p. 293.

que l'événement eût prouvé s'il avait dit vrai. Sa prophétie se répandit bientôt dans les provinces les plus éloignées, et tous ceux qui en eurent connaissance y ajoutèrent autant de foi que si c'eût été parole venue du ciel..... Mais lorsque le jour fixé se fut écoulé, et que le roi se vit sain et sauf, il fit attacher l'ermite à la queue d'un cheval, le fit traîner par les rues dans le bourg de Warham, et pendre à un gibet ainsi que son fils 1. »

Ce fut à une devineresse que Philippe le Hardi eut recours pour savoir à quoi s'en tenir sur les causes de la mort de son fils aîné, Louis 2, que Pierre de la Brosse prétendait avoir été empoisonné par la reine.

dist

« Si li (le roi) fu dit et conté qu'il avoit à Nivelle une devine qui merveille disoit des choses passées et à venir, et estoit en habit de beguine et se contenoit comme sainte fame et de bonne vie; et si avoit à Laon un autre devin, qui estoit vidame de l'église de Laon, qui part d'ingromance savoit choses secrees; et plus avant vers Alemaigne estoit un convers qui avoit esté sarrasin, qui grant maistre et sage se faisoit de tiex besoingnes, et moult disoit des choses qui sont à venir. « Par Dieu, «<le roy, aucun trouvera nen qui nous dira nouvelles de « ce fait?» Si appela son clerc qui bien estoit privé et homme de secré, et li pria qu'il alast vers Laon et à Nivelle et enquist et demanda le plus sagement qu'il pot lequel estoit tenu au plus sage de tel besoingne. Si trouva que la beguine estoit la plus renommée que les autres, et quelle estoit trop miex creue que les autres de ce qu'elle disoit. Au roy de France s'en retourna et

Math. Paris, année 1212, traduct. de Haillard-Bréholles, t. 11, p. 440 et 462.

2 Mort en 1276.

conta tout ce qu'il avoit trouvé. Le roy manda l'abbé de Saint Denis qui avoit nom Matyeu, car il se fioit moult en luy, et Pierre, evesque de Bayeux, qui estoit cousin de la Broce de par sa femme, et leur commanda qu'il alassent a celle beguine et qu'il enqueissent de ceste besoigne diligaument de son fils 1.» Les envoyés n'ayant apporté aucune parole satisfaisante, Philippe envoya un second message à la béguine, qui fit alors savoir au roi qu'il ne devait croire aucune des accusations calomnieuses dirigées contre sa femme.

«En ce temps (1360), dit Froissart, avoit un frère mineur, plein de grand clergie et de grand entendement, en la cité d'Avignon, qui s'appeloit frère Jean de la Rochetaillade, lequel frère mineur le pape Innocent VI saisoit tenir en prison au châtel de Bagnolles, pour les grandes merveilles qu'il disoit, qui devoient avenir mêmement et principalement sur les prélats et présidents de sainte église, pour les superfluités et le grand orgueil qu'ils demènent; et aussi sur le royaume de France et sur les grands seigneurs de chrétienté, pour les oppressions qu'ils font sur le commun peuple. Et vouloit ledit frère Jean toutes ces paroles prouver par l'Apocalypse et par les anciens livres des saints prophètes, qui lui étoient ouverts, par la grâce du Saint-Esprit, si qu'il disoit; desquelles moult en disoit qui fortes étoient à croire; si en voit-on bien avenir aucune dedans le temps qu'il avoit annoncé. Et ne les disoit mie comme prophète, mais il les savoit par les anciennes Écritures et par la grâce du Saint-Esprit, ainsi que dit est, qui lui avoit donné entendement de déclarer toutes ces anciennes troubles, prophéties et

1 Vie de Philippe III, par Guillaume de Nangis, Recueil des historiens de France, t. xx, p. 503.

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