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A Néocésarée, on montra aux pèlerins le siége où la Vierge Marie était assise lorsque l'archange Gabriel vint la visiter, et une corbeille qui lui avait appartenu. A Cana, Antonin se coucha sur le lit où Jésus-Christ s'était placé le jour des noces célébrées en ce lieu, et, suivant une coutume des touristes de tous les siècles, son compagnon y inscrivit les noms de ceux qui lui étaient chers1. A Sarepta, il vit le lit où se reposa le prophète Elie, et à Nazareth, où il fut frappé de la beauté des femmes, il admira dans la synagogue une poutre sur laquelle JésusChrist enfant s'était assis avec ses camarades, et qui jouissait de la singulière propriété de pouvoir être remuée facilement par un chrétien, et de rester immobile quand un juif voulait la soulever.

A chaque pas, les voyageurs retrouvaient quelque souvenir des livres saints. Ici, c'était l'arbre sur lequel Zachée monta pour voir Jésus; là, le figuier où se pendit Judas; plus loin, l'autel où Abraham fut sur le point de sacrifier Isaac; ailleurs, les pierres qui servirent à lapider saint Étienne; et enfin, chose plus étonnante, dans l'église de Sion, on leur fit voir une pierre allégorique, la célèbre pierre angulaire dont il est si souvent question dans la Bible *.

in-4, de 54 pages. — Cet itinéraire a pour auteur le compagnon d'Antonin. Leur pèlerinage ent lieu probablement au milieu du sixième siècle.

1 Suivant M. Letronne, les voyageurs, dans l'antiquité, avaient l'habitude de laisser des inscriptions sur les murs des monuments qu'ils visitaient. Journal des savants, janvier 4844, p. 43. Voy. aussi le Rapport adressé de Grèce, par M. le Bas, au ministre de l'instruction publique, Revue archéologique, 15 avril 1844.

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• Voy. notre Mémoire sur les pèlerinages en Terre Sainte avant les croisades, Bibliothèque de l'école des chartes, 2o série, t. 1, p. 4 et suiv. C'est ainsi que l'on montra longtemps en Italie la chambre où s'était accompli le mariage mystique de sainte Catherine et de Jésus-Christ.

Vers 414, l'historien Paul Orose, ayant été consulter saint Jérôme, alors en Judée, rapporta en Espagne les reliques de saint Étienne. Suivant Fleury 1, ce sont là les premières reliques qui aient été transférées en Europe. Mais depuis cette époque, l'Orient, sans pouvoir s'épuiser, ne cessa pas d'en fournir à tous les pays d'Occident. Il n'était guère de pèlerin qui, à son retour de la Palestine, ne rapportât quelque relique en souvenir de son pieux voyage.

Lorsque Saladin s'empara de Jérusalem, en 1187, les habitants réunirent dans quatre grands coffres d'ivoire toutes les reliques qui se trouvaient dans la ville; mais le vainqueur ne leur permit de les emporter que quand le prince d'Antioche eut promis, sous la foi du serment, de les racheter au prix de cinquante deux mille besants. A l'expiration du délai fixé, celui-ci se trouva hors d'état de payer. Mais Richard Coeur-de-Lion, qui se trouvait alors en Syric, ayant appris l'embarras où se trouvaient les chrétiens, envoya l'argent à Saladin'.

Constantinople ayant été prise d'assaut par les Latins, en 1204, il y eut de la part des ecclésiastiques qui avaient accompagné l'expédition latine un véritable pillage de reliques. Pour se procurer quelques ossements sacrés, ils eurent recours tantôt à la ruse, tantôt à la violence. On peut lire dans l'Historia Constantinopolitana de Gunther comment l'abbé du monastère de Paris, près Bâle, parvint à enlever à un moine grec, qu'il menaça de la mort, un morceau de la vraie croix, les os de saint Jean-Baptiste, un bras de saint Jacques, etc. 3.

1 Histoire ecclésiastique, 1. xxIII, ch. 23.

2 Mathieu Paris, année 1191.

3 Cette histoire est insérée au tome iv des Lectiones antiquæ de Canisius. Gunther y appelle Martin un saint voleur, prædo sanctus.

Lorsque la même ville fut tombée au pouvoir des Turcs, Mahomet II recueillit avec grand soin toutes les reliques qui se trouvaient dans la ville, et les fit placer auprès de son propre trésor. Plusieurs princes latins lui offrirent de grandes sommes pour en obtenir quelques-unes, et ce nouveau genre de commerce créé par le sultan, lui procura de grands profits. «< Mais il est à craindre, dit timidement Lebeau, qu'il n'ait donné lieu à bien des fraudes et répandu dans le monde chrétien beaucoup de fausses reliques1. »

Mahomet II ne vendit pas pourtant toutes les reliques que la victoire avait mises en sa possession. En effet, lorsque le frère proscrit de Bajazet II se fut réfugié en France, ce dernier fit faire de grandes offres à Charles VIII, pour qu'il retînt le fugitif sous bonne garde. Il offrait entre autres « de lui bâiller toutes les reliques de Dieu, notre créateur, des apôtres, des saints et saintes que son feu père Mahomet avait trouvées à Constantinople, lorsqu'il prit la ville, et aux autres villes qu'il avait conquises sur la chrétienté. » En 1488, le malheureux prince ayant été remis entre les mains d'Innocent VIII, le sultan tâcha de gagner le pape par des présents, « entre autres par le fer de la lance qui avait ouvert le côté de Notre-Seigneur1. » Mais ayant gardé pour lui la tunique sans couture portée par Jésus-Christ, « il s'éleva là-dessus, dit Bayle, une dispute dans l'Italie pour savoir si le présent fait au pape valait mieux que ce que le Grand Seigneur s'était réservé. On examina soigneusement si le goût d'un prince turc était bon, quand il s'agissait de juger du prix des

↑ Histoire du Bas-Empire, édit. Saint-Martin, t. xxi, ch. 23. 2 Voy. Rocolles, Vie du sultan Gemcs, p. 128-142.

reliques. Le cardinal Marc Vigerius fut chargé de faire voir que le sultan n'était point, sur ces matières, un fin connaisseur, puisque la tunique sans couture devait céder le haut bout à la lance de Longin. En effet, la lance pénétrajusqu'au cœur, elle fut teinte du sang le plus vital; mais la tunique ne toucha que les parties extérieures, etc. 1. »Ce qu'il y a de plus singulier, c'est qu'il y a eu peu de reliques aussi contestées que les deux reliques en question. Ainsi, sans parler de celle que possédait Mahomet, on compte six tuniques de Jésus-Christ, savoir: à Moscou, à Saint-Jean-de-Latran, à l'église SainteMartinelle, à Rome, à Trèves, et enfin à Argenteuil. Ces deux dernières sont les plus célèbres. Quant à la sainte lance, dont l'invention au siége d'Antioche, en 1098, fut traitée de supercherie par plusieurs écrivains contemporains, comme Foucher de Chartres et Raoul de Caen, elle se trouvait dans quatre ou cinq lieux différents, entre autres à la sainte Chapelle de Paris, à Nuremberg, à l'abbaye de Montdieu en Champagne, à l'abbaye de la Tenaille en Saintonge, à la Selve près de Bordeaux, à Moscou, etc.

Souvent de violentes querelles s'élevèrent non-seulement entre des individus, mais entre des villes, pour la possession de reliques. Voici, par exemple, ce qui se passa à la mort de saint Martin, évêque de Tours. Le saint homme ayant rendu le dernier soupir dans le bourg de Candes (au confluent de la Vienne et de la Loire), «il s'éleva, entre les gens de Poitiers et ceux de Tours, une vive altercation, dit l'auteur de l'Histoire ecclésiastique des Francs. Les Poitevins disaient : « C'est notre moine ; « il a été notre abbé; nous demandons qu'on nous le

Art. VIGERIUS, note A.

« remette. Il doit vous suffire d'avoir, pendant qu'il était « évêque en ce monde, joui de sa parole, de ses béné<«<dictions et de ses miracles; qu'il nous soit permis << d'emporter son cadavre. » Les habitants de Tours répondaient : « Si vous dites que ses miracles nous suffisent, « sachez que, pendant qu'il était parmi vous, il en a fait « bien plus qu'ici. Car, entre autres, chez vous, il a « rendu la vie à deux morts, tandis qu'à nous, il ne nous <«<en a ressuscité qu'un seul; et, comme il le disait lui« même, il avait un plus grand pouvoir avant d'être évêa que qu'après. Il est donc juste que ce qu'il n'a pas fait « pour nous étant vivant, il le fasse après sa mort. Dieu « vous l'a enlevé et nous l'a donné, etc...... »

Sur ces entrefaites, la nuit arriva. Le corps du saint, déposé dans la maison, était gardé par les deux peuples. « Les portes ayant été étroitement fermées, les Poitevins voulaient l'enlever par force le lendemain matin; mais le Dieu tout-puissant ne permit point que la ville de Tours fût privée de son patrón. Au milieu de la nuit, toutes les troupes des Poitevins furent accablées de sommeil, et il n'y avait pas un seul homme de cette multitude qui veillåt. Les Tourangeaux, les voyant endormis, prirent le corps du saint. Les uns le descendirent par la fenêtre, d'autres le reçurent au dehors; ils le placèrent sur un bâtiment, et naviguèrent avec tout leur peuple sur la Vienne. Quand ils eurent atteint la Loire, ils se dirigèrent vers Tours en chantant des psaumes. Leurs chants éveillèrent les Poitevins, qui, privés du trésor qu'ils avaient gardé, s'en retournèrent chez eux couverts de confusion 1. »

La lecture des écrivains du moyen âge justifie, du reste, l'importance que l'on attachait à la possession de

Grégoire de Tours, 1. 1, ch. 45, collection Guizot, t. 1, p. 36.

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