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et un Normand, l'auteur du Déduit de la chasse, qui écrivait dans la seconde moitié du XIVe siècle, se nommait Gace de La Bigne'). Un nom aussi répandu, quoique étranger à tous les calendriers, devait être une de ces formes abrégées, si communes en Normandie, et en effet les copistes moins anciens ont souvent rétabli en toutes lettres le nom d'Eustache; ainsi on lit dans le Brut de la Bibliothèque de Vienne:

Maistre Eustaces l'a translaté 2),

et au commencement de la copie qui fait partie du ms. 7537 de la Bibliothèque impériale de Paris: Maistre Huistace l'a translaté 3).

La forme Wistace qui se trouve à la fin:

Fist maistre Wistace cest romans *), explique comment ce nom put d'abord devenir Wace et ensuite Guace 5).

De temps immémorial, il était d'usage chez plusieurs peuples du Nord d'ajouter à son nom propre un surnom encore plus personnel ou un nom généalogique, indiquant quel était son père. Au lieu de se modifier à chaque génération, ces seconds noms devinrent quelquefois héréditaires en France dès le XIe siècle), surtout parmi les possesseurs de fiefs; mais on recevait aussi en certaines circonstances deux noms de baptême, et on les prenait assez indifféremment l'un et l'autre pour qu'il en résultât un peu

') Le prestre est né de Normandie,

De quatre coste de lignie

Qui moult ont amé les oyseaulx;

De ceulx de (La) Bigne et d'Aigneaux,

Et de Clinchamp et de Buron

Yssi le prestre dont parlon.

Il composa son poëme vers 1360.

2) Le Roux de Lincy, Description des manuscrits qui contiennent le Roman de Brut, p. LXXXIV.

) Fol. I ro, col. 1.

4) Fol. 105 ro, col. 1.

5) La forme Wate, dans Aaron Thompson, Translation of Geffry of Monmouth, préf. p. XXV, est certainement une faute de lecture.

6) Voy. Guérard, Cartulaire de l'abbaye Saint-Père de Chartres, T. I, p. XCVII, et M. de Wailly, Eléments de paléographie, T. I, p. 188.

d'incertitude sur l'identité des personnes). Nous lisons même, à la vérité un peu plus tard, dans les poésies inédites de William le Trouvère:

Adgar ai nun, mes el i sai,

Li plusur m'apelent Williame;

Bien le puent faire sang (sic) blasme,
Kar par cel nun fui prim[e]seinet

E puis par Adgar baptizet 2).

Mais il s'en fallait de beaucoup qu'au XII° siècle ce fut déjà un usage général: Wace n'est appelé dans tous ses ouvrages que Maistre Wace, et c'est ainsi seulement que le désignent les trois anciens monuments littéraires qui en ont parlé : l'Histoire des ducs de Normandie par Benoit3), la traduction en anglais intermédiaire du Brut par Layamon ') et la Chronique ascendante des ducs de Normandie 5), qu'on lui a certainement attribuée par erreur. Un peu plus tard, Robert de Brunne l'appelait aussi jusqu'à six fois dans onze vers consécutifs Mayster Wace ), et l'usage devenu général d'accoler à son nom le titre de Maistre ou seulement un M, est sans doute la seule raison qui l'ait fait nommer par du Cange Matthieu. Huet fut le premier qui lui donna le prénom de Robert') et, ainsi qu'on l'a supposé avec beaucoup de vraisemblance, il n'avait au

1) Il y a des chartes où Eusèbe, évêque d'Angers, prend le nom de Bruno, et Hugues, trente-huitième évêque du Mans, celui de Paganus. 2) Dans Wright, Biographia britannica literaria anglo-norman period, P. 464.

3)

ཐད

P. 444.

Autresi cum fist maistre Wace;

T. II, v. 23654.

ba makede a frenchis clerc,

Wace was ihoten;

Layamons Brut, T. I, p. 3.

Quant un clerc de Caen qui out non mestre Wace
S'entremist de l'estoire de Rou et de s'estrace;

Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, T. I, P. II,

6) Dans Hearne, Peter Langtoft's Chronicle, T. I, p. XCVIII: ailleurs il appelle le Roman de Brut Maistre Wace Boke; dans Madden, Layamon, T. III, p. 417.

7) Origines de Caen, ch. XXIV, p. 412, éd. de Rouen, 1706.

cune autre raison que les cinq derniers vers de la Vie de saint Nicolas qu'il avait sans doute mal lus; car dans l'ancien manuscrit de Colbert, le seul que l'on connaisse en France, le sens ne présente aucune difficulté et dit toute autre chose:

Qui fait le livre?) Mestre Guace,

Qui l'ad de seint Nicholas feit,
De latin en romanz estreit,

A l'oes Robert, le fiz Tïout,

Qui seint Nicholas moult amout ").

Si d'ailleurs Wace eût été un nom de famille ou même un second nom patronymique, ce n'est pas celui-là qu'aurait porté de préférence un homme d'église, et qu'eût précédé son titre de Maitre. Peut-être cependant, au XII siècle, régnait-il encore à cet égard un peu d'irrégularité dans les habitudes, et ne devrait-on pas écarter par une fin de non-recevoir aussi péremptoire une opinion qui pourrait s'étayer de quelque preuve. Aussi nous croyons-nous tenu de réfuter avec certains développements une supposition bien légèrement avancée par l'abbé de La Rue, mais qu'il n'eût pas sans doute abandonnée avec tant d'insouciance, s'il avait connu des faits qui paraissent d'abord lui donner quelque vraisemblance. Il existait réellement à Jersey une famille Wach ou Wace, dont les membres se distinguaient entre eux par des prénoms: car dans une charte sans date, mais probablement du XII° siècle, Rogerus Wach renonce au droit de prendre du bois sur une terre appartenante à l'abbaye de Saint-Sauveur qui se trouvait enclavée dans son fief, in insula Gerseii, in parrochia Sancti-Johannis de Quercubus 3). Du temps de Wace

') Il faut sans doute lire comme dans l'édition de M. Delius.

Ci faut li livres...

Qu'il ad....

2) B. I. de Paris, no. 7268 3. 3. A, fol. 125 vo, col. 2. v. 22. Dans l'édition donnée par M. Delius d'après deux mss. de la B. Bodléienne, il y a même v. 1522:

A oes Osbert le fil Thiout

3) Cartulaire de Saint-Sauveur, fol. XLV vo, no. 276.

ane autre famille noble dont le nom avait aussi de grandes ressemblances avec le sien, était établie dans les environs de Caen et y jouissait de considération, puisque parmi les témoins attestant que l'évêque de Bayeux avait confirmé une donation faite au prieur et aux chanoines du PlessisGrimould par Philippe de Rosel, figurent Willermus de Vaace et Robertus frater ejus1). Une charte de Guillaume, évêque de Coutances, donnant une date certaine et un caractère irrévocable à une donation faite à l'abbaye de Saint-Sauveur, propter praedia Sancti-Helerii, par deux prêtres, probablement originaires de Jersey, Richard de Saint-Hélier et Richard Wace, se trouve dans le cartulaire de l'abbaye 2): elle est datée de 1120, et l'abbé de La Rue avait cru y reconnaître le nom de l'auteur du Roman de Rou). Mais cette date est une erreur évidente: en 1120, l'évêque de Coutances était Roger'); la charte est émanée de Guillaume de Tournebu qui ne parvint à l'épiscopat qu'en 1179), et appartient nécessairement à une époque où Wace était depuis longtemps chanoine et n'eût pas pris la qualité de simple prêtre. Mais il y a dans la traduction du Cartulaire de Cerisi, conservée aux Archives du département de la Manche, une lettre sans date de Jean Le Rouz, R. Vace et J. de Arrey, chanoines de Bayeux"), et il s'agit sans doute de Richard Wasce, car son nom se retrouve en toutes lettres parmi les chanoines qui ont souscrit comme témoins à une charte de Jean de Longchamps, trésorier de la cathédrale de Bayeux 7). Cette charte n'est pas non plus datée et pourrait autoriser à donner au poëte le prénom de Richard s'il ne se trouvait également dans le Livre noir du Chapitre une charte de l'évêque Henri II, confirmant un accord conclu inter Ricardum Wach cano

1) T. I, Paroisse de Rosel, fol. 1 ro no. 2: la pagination recommence avec chaque paroisse.

2) Cartulaire de Saint-Sauveur, fol. LVI ro, no. 365.

3) Essais historiques sur les bardes, T. II, p. 147.

*) Gallia christiana, T. XI, col. 873.

*) Gallia christiana, T. XI, col. 876.

) P. 403 et 404.

') Liber niger Capit. Baiocensis, fol. XXII vo, no. 80.

nicum nostrum, et Hugonem Labe, presbyterum'), et cette charte est datée du 24. juin 1200: elle est donc certainement postérieure de plusieurs années à la mort de l'auteur du Roman de Rou et ne permet plus de le confondre avec le chanoine Richard Wace. On connait au contraire quatre actes diplomatiques contemporains, souscrits par un chanoine qui n'ajoute aucun prénom à son nom de Wace: comme il en est trois qui sont entièrement inédits, que beaucoup d'autres témoins y ont pris deux noms, et qu'on peut ainsi tenir leur accord pour décisif dans la question qui nous occupe, nous les indiquerons avec quelques détails.

1o. Une lettre de Henri, évêque de Bayeux, datée de 1169, où sont contenus les termes d'un accord avec l'abbé de Troarn, auquel avait assisté Wacius canonicus; elle est relatée dans une lettre de Gislebert, abbé de Troarn, qui a été copiée dans le Livre noir du Chapitre de Bayeux 2).

2o. Une charte de Henri, évêque de Bayeux, confirmant les priviléges et possessions de Saint-Etienne de Caen; elle est datée de 1172, coram Magistro Acio canonico, et a été publiée par d'Achery, dans ses Notae ad vitam beati Lanfranci3).

3o. Une charte de Richard du Hommet, connétable du Roi, arrêtant les termes d'un accord fait dans la chapelle épiscopale, en présence de l'évêque de Bayeux Henri II, et de tout son clergé, parmi lequel figure Wascius: elle est datée de 1174, et a été transcrite dans le Livre noir du Chapitre de Bayeux 1).

4°. Une charte de Henri, évêque de Bayeux, confirmant les priviléges et possessions des chanoines réguliers du Plessis; elle n'est point datée, mais les noms des témoins qui sont cités avec le Magister Wascius paraissent indiquer une date antérieure: elle se trouve dans le cartulaire du

1) Fol. XVI ro, no. 56.
3) P. 30 et 31.

2) Fol. XXXV vo.

4) Fol. XII ro, no. 45.

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