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y a fu renfermer tout ce que le fentiment a d'expreffif; la douleur, de pathétique; l'amour vertueux, d'héroïque & d'attendriffant. Ils font attribués à madame de Tencin (*). Il n'y a guere en effet qu'un auteur de ce genre qui ait pu répandre fur fes productions cet intérêt, cette flamme d'une fenfibilité douce, ces graces fimples & touchantes, bien préférables à tout le luxe du bel efprit. Les femmes auteurs confervent, pour la plupart, dans leur ftyle, un caractere de tendreffe & de féduction qui les diftingue: elles ont, fi on peut le dire, plus de foupleffe dans le cœur, & poffedent mieux que nous le grand art des développemens : l'on diroit que l'attrait de leur fexe fe communique à leurs ouvrages: elles excellent fur-tout dans les peintures où l'amour est la nuance qui domine: l'habitude de ce fentiment leur en facilite l'expreffion ; & en général toutes les vertus, toutes les paffions d'inftinct font faites pour leur ame & pour leur pinceau.

(*) Je m'étois trompé, ou plutôt je l'avois été par des gens qui fe difoient inftruits, en avançant que ces mémoires étoient de la comteffe de Murat. On prétend qu'ils font de madame de Tencin; ce qui n'eft pas fans contradicteurs.

Tome I.

C

J'ai choifi dans la lettre du comte de Comminges, le moment où il vient de perdre fa maitreffe: c'est là que l'ame eft déchirée, que les larmes coulent, & que le grand intérêt commence. Quelle fituation que celle de ce malheureux amant, féparé de l'univers, ne pouvant implorer ni recevoir de confolation, portant aux pieds des autels un cœur brûlant de regrets amoureux, calculant par fes maux tous les points du tems qui compofent les heures, n'ayant pour refuge qu'un Dieu qu'il redoute, qu'une tombe pour demeure, & que l'éternité des fięcles pour perspective!

Plus ce fujet eft admirable, plus j'ai lieu de trembler pour l'exécution. Toutes les langues paroiffent pauvres, lorfqu'il s'agit de donner à certains tableaux le degré de force qu'ils demandent; & il en faudroit, pour ainfi dire, une particuliere pour exprimer les grandes douleurs, les grands plaifirs, & toutes ces émotions profondes qui reftent enfevelies dans le fanctuaire des ames fenfibles.

DE

L ET TRE

DU COMTE

COMMINGES. (*)

C'EST de tous les mortels le plus infortuné,
De tous les malheureux le plus abandonné,
C'eft ton fils qui t'écrit: peux-tu le méconnoître!
Ton fils! depuis long-tems tu l'as pleuré peut-être.
Il refpire, frémis. Au comble de l'horreur,
En attendant la mort, il vit de fa douleur;

Il vit!.. près d'un cercueil ! qu'ai-je dit ? ah, pardonne.
J'entends des cris plaintifs, & l'effroi m'environne:
Mes pleurs coulent... Ma mere!.. ô fort! ô fort affreux!
Je vais troubler tes jours, que je dus rendre heureux :
Mais j'ai besoin d'un cœur compatisfant & tendre,
Où mon cœur oppreffé puiffe enfin fe répandre.
Tout eft muet & fourd au fond de mes déferts,'
Et toi feule à ton fils reftes dans l'univers.

Rappelle-toi... combien je t'ai coûté de larines!..

(*) Le comte de Comminges eft fuppofé écrire quelque tems après l'événement qu'il raconte.

Rappelle-toi ce tems, marqué par tes alarmes,
Où le bras paternel, contre mes vœux armé,
Brifa le plus faint noeud que le ciel ait formé.
Que de maux ont fuivi cette rigueur d'un pere!
Je fus refpectueux autant qu'il fut févere:
Mais j'aimois un objet, tu le fais, tu l'as vu,
Qui prit fur moi les droits que donne la vertu ;
J'aimois Adélaïde !... Ombre à jamais chérie,
Et c'est ce même amour, qui t'arracha la vie !
C'est pour brifer mes fers, pour fermer mon tombeau,
Que tu choifis l'époux qui devint ton bourreau!
Ma mere, il t'en fouvient... j'en frémis d'épouvante,
Dans un cachot ce monftre enferma mon amante.
Auteur de fes tourmens, de fon horrible fort,
Anéanti, trompé par le bruit de fa mort,
Privé de tout, j'errai long-tems à l'aventure;
J'eus la terre pour lit, mes pleurs pour nourriture.
Sombre habitant des bois, dans leurs profonds détours,
Je pleurois mon amante, & la cherchois toujours.
J'allai, je m'enfonçai dans cette folitude,
Où mourir à foi-même eft la premiere étude,
Où d'épaiffes forêts & des rochers affreux
S'élevent triftement fous un ciel ténébreux:
Tombeaux anticipés qu'habite le filence,
Et que le repentir difpute à l'innocence,
Toi-même ignoras tout. Sous ces dômes facrés,

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Figure-toi ton fils, l'œif, la marche égarés,
Parcourant au hazard cette lugubre enceinte,
Séché dans les ennuis, mourant dans la contrainte,
Vers la terre baiffant les yeux noyés de pleurs,
Et flétri, jeune encor, par l'excès des malheurs.
L'aspect religieux de tous nos folitaires,
Pénitens fans orgueil & martyrs volontaires;
Le spectacle touchant de ces fages mortels,
Qu'on voit vivre & mourir, à l'ombre des autels,
Dans le mépris des biens, des efpérances vaines,
Et loin du tourbillon des paffions humaines;
L'intéreffante paix, la majefté d'un lieu,

Où l'homme, en s'oubliant, s'approche de fon Dieu :
Tout réveilloit en moi la plainte & le murmure;
Tout, par un poifon lent, aigriffoit ma bleffure.
Je confiois ma plainte aux antres d'alentour:
Mes traits défigurés peignoient encor l'amour.

Combien de fois, au fond de ma retraite obscure,
Séduits par les attraits d'une vaine impofture,
Mes yeux ont contemplé ce portrait enchanteur,
Que me donna fa main dans mes jours de bonheur!
Cet afpect confolant foutenoit mon courage:
Avec recueillement j'adorois fon image.
J'y retrouvois ce front, fi noble fans fierté,
Où l'art ne fut jamais farder la vérité:
Cette bouche où fouvent, oferai-je le dire?

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